Robert Zemeckis est le cinéaste de la déflagration. Faille temporelle dans la franchise Retour vers le futur, brèche quasi mortelle qui entraîne le crash de l’avion dans Seul au monde, la déflagration signale un dysfonctionnement qui libère en même temps une trame où se cale son style souverain et rayonnant.
Flight reprend la scène du crash de Seul au monde. Le début du film capitalise l’effet spécial qui ouvre Seul au monde, en optant pour une restitution en temps réel de l’accident. L’effet spécial se double d’une profondeur inouïe. À nouveau, un éclair troue le récit ; la scène touche au surnaturel dans un traitement des éléments (vent, soleil, apesanteur…), qui fait du ciel le lieu des possibles. La mise en scène aiguise la tension. D’un côté, elle délègue à la technique une part de son pouvoir enchanteur, agençant des plans comme de petites bulles traumatiques. De l’autre, son dispositif minimal, en prise avec l’imaginaire du spectateur, atteint une démesure inattendue.
Cette croyance dans l’image constitue un moteur et un horizon : le virtuel, dont Zemeckis tire de nouveaux enjeux, dans la lignée des plus grands, James Cameron et David Fincher en tête. Quand certains appliquent leur savoir-faire besogneux et documenté le nez collé aux faits (l’atroce Vol 93), d’autres planent mille coudées au-dessus des enjeux de représentation : la force baroque de l’ouverture voit le récit se déconnecter de la catastrophe, à l’image du pilote en plein vol qui somatise le crash en cours plutôt qu’il ne le subit.
Nul recours à une poésie de la catastrophe dans Flight. Regardez le personnage de Whip Withaker (Denzel Washington), son sourire émail qui ne dure qu’un instant, et se fige, se faisant existentiel. La déchéance de Whip permet au scénario de déjouer l’héroïsme attendu, de défaire son monolithisme. Ici, la manière dont il s’écroule ivre mort au milieu de son salon ; là, l’inclination de son visage intense, à l’écoute d’un anonyme confessant une vie de mensonges : il s’agit toujours d’entériner sa prise de conscience, sans l’acculer ni le fustiger. Le film décolle quand il fait de l’alcool son carburant, relançant plusieurs fois l’hypothèse d’un sevrage qui dynamite le récit. Aucune corde sensible (la dérive sans fin du sauveur) ni de salut possible, Zemeckis trouve dans cette matière statique (une table, des bouteilles), peu cinématographique, une énergie sèche d’où filtre la question du déni.
Sinon chez Billy Wilder avec Le Poison, rarement l’alcoolisme n’a été saisi avec autant de finesse, notamment à travers l’altération du langage. Le cinéaste lui confère une dimension inédite en l’adossant à la religion, qu’il pointe comme un fléau de l’Amérique redneck. Empruntant au spectre seventies du film à dossiers, Flight raconte surtout la naissance à rebours d’un alcoolique anonyme, la chute d’un héros fragile ayant pris la place du mort.
Flight, Robert Zemeckis, avec Denzel Washington, Don Cheadle, Kelly Reilly, John Goodman, Etats-Unis, 2h18.
C’est l’eternel travelling de Kapo. Une purge de 1h30 que ce Vol, mais ce qui me gene c’est la conception du spectacle qui en emane, moins la formule.
Je n’ai pas encore vu le film, et le texte est très bien écrit, MAIS… Je ne peux pas laisser à une simple parenthèse, aussi brève que dédaigneuse, le droit d’évacuer Vol 93 comme un film « atroce ».
Je trouve au contraire que ce film est l’un des tout meilleurs de Paul Greengrass, qui mérite toute notre attention.
Oui, je sais, les goûts et les couleurs… 🙂