[L’image de l’année] Tabou et les films fauchés

S’il fallait garder de 2012 une image, un plan, un photogramme : les rédacteurs de Cinématraque se prêtent à l’exercice.

Le bilan de l’année, pour qui n’a pas pu voir l’intégralité des plus de 600 films sortis en salle, est forcément subjectif.

Pour ma part, chaque année semble renforcer mon indifférence à l’égard du cinéma hollywoodien : si j’ai pu être amusé par l’humour inoffensif de la bande Avengers, j’ai par contre été déçu par le manque d’ambition d’un Fincher, je suis resté amorphe devant la routine de Burton, avant d’être abasourdi par le pompeux d’un Christopher Nolan qui, sans rival économique dans la cité des anges, en est venu à se prendre pour Kubrick. Passons.

Non, les films qui m’ont parlé cette année sont, le plus souvent, des films fauchés, pour la plupart européens, réalisés par des cinéastes à la personnalité affirmée : Miguel Gomes, Stan Neumann, Hong Sang-soo, Rabah Ameur-Zaïmeche sont ceux dont la démarche me touche le plus. Leurs films ne sont pas toujours parfaits, mais au moins il s’y passe des choses, les récits prennent des tournures inattendues, parfois ludiques, les personnages nous semblent proches, incarnés, vivants. Ce sont des films construits à partir de morceaux de réel brut mais aussi d’une constante inventivité formelle. Malheureusement, on constate que ce sont aussi, encore et toujours, les films les moins bien distribués : une quarantaine de salles en moyenne sur l’ensemble du territoire. Solitude et tristesse de celui qui défend ces films, en sachant que la plupart des spectateurs ne pourront pas les voir… Mais pourront suivre sans difficulté la couverture médiatique intense d’un « Roméo et Juliette moderne » : typiquement, Rengaine est un film sympathique, mais dont l’énergie ne peut à aucun moment cacher le manque criant de mise en scène. Mais le véritable problème d’un tel film est que son succès semble cautionner, par son «sens de la  débrouille » (comprenez l’absence totale d’apports financiers – et donc de salaires) la disparition enfin avérée d’un cinéma du milieu de moins en mois renversant (Adieu Berthe, Camille redouble, pas mal sans plus).

Elire un seul de ces films prolétaires, le porter en étendard, c’est condamner tous les autres : ceux que j’ai cités plus haut (dont on pourra exclure Tabou, succès dû, pour une fois, à son exceptionnelle réception critique – et auxquels on pourra ajouter les films de Sylvain George, Les Eclats et L’Impossible) et qui me semblent le produit de véritables cinéastes.

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3 thoughts on “[L’image de l’année] Tabou et les films fauchés

  1. Merci Eve: ton article m’avait échappé, je m’y dirige de suite.
    En ce qui me concerne, le sentiment que j’exprime ici est le mien depuis déjà quelques années, mais je sais qu’il y a aussi une part de mauvaise foi puisque je rate régulièrement, et plus ou moins volontairement, des films de grands auteurs qui peut-être me feraient changer d’optique: cette année, par exemple, le Resnais (entre autres).

  2. Tellement tellement d’accord! c’est exactement le sentiment que me donne cette année aussi, ma préférence allant vers les films turc ou iraniens, dans lesquels il me semble se passer de réelles choses, ou des choses tout à fait anciennes dites de manière tellement différente, pas rabâchées pour un sou.
    Mais c’est effectivement l’échec presque flagrant du « grand cinéma » qui marque cette année 2012.

    En ce sens, l’article sur la fin du monde, la fin du film et peut-être la fin du cinéma de FBP m’a beaucoup marquée, à relire sur Cinématraque:
    http://www.cinematraque.com/2012/12/apocalypse-j-3-take-shelter-jusqua-ce-que-la-fin-du-monde-nous-separe-la-fin-des-fins-ou-le-contraire/

    et ceux qui veulent s’inspirer de « petits films grandioses », vous pouvez aussi relire un article qui va complètement dans le sens de ce que dit Benjamin, à propos des réalisateurs turcs et iraniens qui nous ont éblouis cette année:
    http://www.cinematraque.com/2012/08/ces-realisateurs-qui-nous-font-trembler/

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