Un sniper abat cinq personnes. Le principal suspect, que tout semble incriminer, demande, pour toute défense, que l’on contacte un dénommé Jack Reacher…
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Le second film de Christopher McQuarrie (scénariste de Usual Suspects et Mission Impossible : Protocole fantôme) est un thriller désuet, une série B surbudgétisée, que transcende l’inoxydable Tom Cruise.
Une fois évacué l’espoir de voir le récit tourner autour de sa scène de crime (angle de tir, précision, nombre des impacts), en même temps que celui de voir la mise en scène questionner le point de vue, forcément problématique, par lequel nous étaient montrés les meurtres (le viseur d’un fusil d’élite, en l’occurrence), le film de Christopher McQuarrie prend la voie d’un très classique actioner 90’s, à l’intrigue aberrante et aux ressorts datés. Malgré son casting haut de gamme (Robert Duvall, Richard Jenkins et Werner Herzog) et la photographie soignée de Caleb Deschanel, Jack Reacher n’est en définitive qu’une série B d’une tenue variable, où Tom Cruise pourrait n’être qu’un Expendable lâché par son unité.
Là n’est pas l’essentiel. Jack Reacher marque sans doute une nouvelle étape dans la carrière de Cruise ; peut-être bien la fin de sa période classique (trente ans déjà depuis l’Outsiders de Coppola, l’une de ses premières apparitions), et le début de son commentaire. C’est l’entreprise qu’initiait d’ailleurs le quatrième opus de Mission Impossible, le Protocole fantôme de Brad Bird (au scénario signé McQuarrie) : une relecture de la saga, dont l’un des temps forts (la scène en apesanteur) fonctionnait en miroir avec le volet inaugural.
Ici, plutôt que de s’effacer derrière Reacher, Cruise le déborde à chaque instant, s’interprète lui-même autant que son personnage (de même que jadis, s’amusait Malraux, l’on allait voir « Garbo reine et Garbo courtisane, Marlène putain et Marlène espionne, Stroheim à Gibraltar et Stroheim à la guerre », c’est aujourd’hui Cruise justicier badass que l’on va quérir chez Reacher). Tout est prétexte à souligner le sens de l’auto-dérision et les facultés athlétiques du fringant quinquagénaire. Ses contrats prévoient-ils désormais (à plus forte raison s’il est producteur), comme ceux de Will Smith, qu’il exhibe ses muscles à intervalles réguliers ? Torse nu, Reacher reçoit son acolyte féminine (Rosamund Pike) dans la chambre qu’il a louée. Après quelques échanges à propos de l’enquête, Pike, mi-troublée, mi-gênée, finit par exprimer le sentiment du spectateur : « Vous ne voulez pas enfiler une chemise ? » C’est alors tout le film qui s’en ressent. Dans un bar, un homme demande son nom à Reacher. Souhaitant passer inaperçu, celui-ci en invente un. « Le type a eu l’air surpris, remarquera-t-il plus tard. Il s’attendait à ce que je lui réponde Jack Reacher. » Le spectateur s’étonne, lui aussi. Ne s’attendait-il pas à entendre plutôt « Tom Cruise » ?
Mettons que le gros de la carrière de Cruise soit compris entre deux danses (celle inaugurale de Risky Business – sans doute l’un des films les plus pertinents sur l’Amérique de Reagan – et, quinze ans plus tard, son versant parodique dans Tonnerre sous les tropiques), dans lesquelles l’acteur trouve à se déborder, lui, le control freak que résume la chorégraphie de Mission Impossible (lorsque Cruise, suspendu à un câble, à quelques centimètres d’un sol sensible à tout contact, contrôle ses mouvements, sa respiration, la température de son corps, et jusqu’à la chute d’une goutte de sueur). Cette maîtrise, dont l’acteur a fait – à la ville comme à la scène – plus qu’un souci, une signature, a ses limites. On le sait depuis son passage inquiétant sur le plateau d’Oprah Winfrey : gare à l’animal aux pulsions trop longtemps retenues.
Entre Risky Business et Tonnerre sous les tropiques, quinze années, donc, au cours desquelles l’acteur, sans doute le plus brillant de sa génération (Eyes Wide Shut, La Guerre des Mondes et Collateral ne sont pas le fruit du hasard), aura incarné l’Amérique, sa fortune et ses revers (golden boys, entrepreneurs décomplexés et compétiteurs de Top Gun, Jours de Tonnerre, La Firme ou Jerry Maguire) ; une dichotomie héros / paria que la saga Mission Impossible poussera jusqu’à l’absurde (le désaveu permanent dont l’emblématique Ethan Hunt est l’objet, avant sa rituelle et triomphale réintégration).
Nouvelle époque, nouvelle incarnation. Place désormais à l’infaillible Reacher, héros d’un autre temps, dernier recours – et, sans trop en dévoiler, exécuteur des peines – de l’Amérique. Qui se terre, anonyme, dans ses petits bleds, loge dans ses motels impersonnels, à attendre qu’à la faveur d’une injustice, d’un mystère à élucider, quelqu’un, quelque part, le réclame (comme Lily, trente ans plus tôt, appelait son Jack dans les bois de Legend), l’invoque, le somme de s’incarner à nouveau. S’il semble envisageable de se figurer Ethan Hunt entre deux missions (à la fin de Protocole fantôme, Bird saute le pas et montre Hunt à la terrasse d’un café, avec ses « collègues de bureau »), l’exercice s’avère plus délicat avec Jack Reacher : une fois son office accompli, le personnage est rendu à la nuit, comme il en avait été tiré.
En toute fin, une brève séquence oppose Cruise à Herzog (dans le rôle du « Zec », incarnation du mal absolu, dans le voisinage duquel l’auteur d’Aguirre a quelque compétence). Leur affrontement n’en est pas vraiment un. Ou plutôt, il se joue uniquement sur le plan symbolique. Peu importent les hommes de main et petites frappes croisés jusque là par Reacher, obstacles intermédiaires qui, en fin de compte, n’auront pas pesé bien lourd. Reacher et le Zec, eux, se comprennent. Ils parlent la même langue : celle des personnages de fiction, rompus à passer d’une incarnation à l’autre ; qui, au fond, ne sont pas à une mort près.
« Jack Reacher is a ghost », affirmait un personnage au début du film. Soit le Tom Joad de Steinbeck & Ford (lorsqu’il s’évanouit dans la nuit californienne, pour mieux se déployer, symboliquement, dans l’Amérique entière : « Je serai partout, dans l’ombre, dit-il à Ma Joad : je serai partout où tu pourras me voir… »), revu et corrigé par le cinéma de Walter Hill.
Entreprise opportuniste (il s’agit d’initier une nouvelle franchise, en recyclant les codes d’un thriller usé jusqu’à la corde), Jack Reacher n’en témoigne pas moins du statut singulier de son producteur/interprète. Tom Cruise est peut-être à la traîne. Oui, mais à la traîne de Tom Cruise. C’est déjà pas si mal.
Jack Reacher, Christopher McQuarrie, avec Tom Cruise, Rosamund Pike, Robert Duvall, Richard Jenkins, Werner Herzog, Etats-Unis, 2h11.
hm ça peut être pas mal pour un soir un peu blue
je le garde en mémoire
Je suis d’accord en ce qui concerne le faux rythme que tu évoques… Mais au-delà des quelques qualités éparses dont témoigne le film (et hormis Cruise, donc), c’est bien l’horizon d’un divertissement acquis au vintage et à la nostalgie qui me fatigue…
Moi je trouve ce film bien mieux qu’il n’en a l’air…
Tout d’abord, il y a un faux rythme assez plaisant, des scènes franchement cocasses (notamment Cruise attaqué par deux tocards incapables de profiter de l’avantage de la surprise), et, aussi, une certaine sécheresse humble des corps à corps, traités sur un mode bien plus réaliste que ce à quoi nous avaient habitués les autres franchises dominées par Cruise.
Bien sûr, les interventions parachutées d’Herzog et Duvall sont à contre-temps, mais presque de manière voulue je pense… Il se dégage une certaine nostalgie 90’s de tout ça, que la bande annonce escamote complètement en nous annonçant persqu’un fast and furious 6 (ou 7?)