[Apocalypse, J-4] Kaboom, épiphanie post-moderne

Orgasme terminal, extinction des sens, châtiment divin ou catastrophe naturelle : à quoi la fin, prévue pour le 21, ressemblera-t-elle ? Cinématraque, qui prend l’affaire très au sérieux, passe en revue quelques hypothèses.

Kaboom, c’est une déflagration des sens. Avec sa mise en scène décapante, le film est un concentré de pur plaisir visuel, couplé à la vision délirante d’une révolution apocalyptique : le passage à l’âge adulte. Car pour Gregg Araki, dont l’oeuvre est traversée d’une réflexion sur la fin du monde, l’adolescence est nécessairement empreinte de doute existentiel.

Malgré une thématique similaire, le film se situe aux antipodes des univers froids et désenchantés de Larry Clark dans Kids, Bully et Ken Park : Kaboom n’a aucune visée sociologique. C’est simplement la chronique sexy et corrosive d’une période charnière à la fois excitante et douloureuse. En cela, le film opère comme une synthèse contemporaine de sa trilogie des années 1990 (Totally F***ed up, The Doom Generation et Nowhere), mais s’en distingue, et les surpasse. Moins provocateur, Kaboom est surtout plus innovant par sa réalisation virtuose. C’est une véritable pépite visuelle, incandescente comme les sentiments adolescents qui habitent le film. Pour Smith et ses amis étudiants, chaque expérience est vécue avec une intensité hors norme. Les effets visuels suivent donc le même principe d’explosion continue : éclatement de l’image dans les transitions entre chaque séquence, rythme soutenu du montage qui s’accélère jusqu’au climax halluciné, utilisation généreuse de teintes chromatiques fluorescentes. S’ajoutent à cela les jeunes corps et les visages parfaits de ces ados hyper sexys et magnifiés par la caméra, ainsi que les dialogues et répliques savoureuses, comme celle de London (interprétée par la pétillante Juno Temple), à la fin d’un coït abrégé : « J’ai eu des frottis vaginaux qui ont duré plus longtemps que ça ». Bref, ça vit, ça vibre, ça jouit.

Gregg Araki ne s’arrête pas à cette vision idyllique de l’adolescence version teen-movie, et distille progressivement une pointe d’angoisse qui vient troubler cet état de grâce. Rêves prémonitoires, hallucinations visuelles et sorcellerie s’immiscent dans la routine du campus : les hommes à tête d’animaux et la mystérieuse fille rousse semblent tout droit sortis de l’univers de David Lynch. Pour autant, Kaboom n’est pas un film d’angoisse, le fantastique y étant intégré, presque quotidien, comme si l’horreur était partie prenante du développement normal de l’adolescent. Lorsque Stella raconte à Smith que sa petite amie est en fait une sorcière, elle est surtout déçue de s’être trompée sur la marchandise. Mais lorsque les affres de l’existence se font trop pressants (symboliquement, ce sera le jour du dix-neuvième anniversaire de Smith), tout se dérègle, et le film prend des allures de parodie de théorie du complot pour finir en un crescendo apocalyptique. C’est drôle, c’est rocambolesque, c’est n’importe quoi.

Car Gregg Araki a de drôles de manières d’envisager l’apocalypse. Dans Kaboom, la fin du monde s’incarne en un vieux déguisé en Jules César qui appuie sur un bouton en carton pâte et fait exploser la planète. Dans Nowhere, c’était un extraterrestre reptilien et sanguinaire. On reste donc très clairement dans le domaine de la métaphore. Dans cette version déglinguée de l’apocalypse, Gregg Araki nous livre ainsi sa vision de la quête d’identité et de la peur de l’avenir. Une vision angoissée, certes, mais humaniste. Kaboom se situe par là aux antipodes de l’univers nihiliste de Melancholia, dans lequel la fin du monde délivre d’une vie terrestre laborieuse. Dans Kaboom, la fin du monde est une épiphanie postmoderne.

Kaboom, de Gregg Araki, avec Thomas Dekker, Juno Temple, Roxane Mesquida, Etats-Unis, 1h26.

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