Que s’est-il passé, le 25 juillet dernier ? L’ouverture d’un couloir aérien au-dessus de Damas ? L’arrivée de la tempête du siècle sur les côtes françaises ?
Rien de tout cela – juste la sortie en grandes pompes du dernier volet de la trilogie Dark Knight. Promotion massive et fan-base sur le qui-vive, critique dithyrambique, box-office pris d’assaut dès les premières séances : The Dark Knight Rises aura littéralement trusté l’actualité – jusqu’à une bien sinistre publicité, dont Nolan se serait évidemment passé, le massacre perpétré à Aurora lors d’une avant-première du film.
Le règne de l’esbroufe ?
Oui, mais le film à proprement parler ?
Combien de voix discordantes dans le concert de louanges ? Qui, pour dire que The Dark Knight Rises flirte avec le fiasco ?
Que, sous ses airs de blockbuster finaud, le film est en fait pesamment programmatique (si Nolan n’a jamais donné dans l’allusion, il se surpasse ici dans le surlignage systématique des enjeux) ? Qu’il masque la faiblesse de son récit en abusant du montage alterné (l’auteur survole ses intrigues parallèles comme iTélé l’actualité, le zapping est son horizon) ? Qu’il multiplie les références au contemporain (Occupy Wall Street, le Patriot Act) sans trop sembler savoir qu’en faire (si ce n’est une énième resucée du cinéma post-11/09, l’Amérique hantée par le terrorisme – on connaît le refrain), et tâche de faire prendre sa confusion pour de l’ambiguïté ? Qu’il expédie quelques twists et ellipses des plus fumeux, et qu’en termes d’action, la seule ouverture du second volet vaut bien toutes les poursuites de The Dark Knight Rises ? Qu’Anne Hathaway a bien du mérite d’exister, tant Nolan échoue une fois encore à filmer les femmes ? Que si l’on tressaute dans son siège, c’est plus souvent en raison du score pompier de Hans Zimmer que par la grâce des pyrotechnies nolaniennes ? Que lorsqu’il interrompt son vacarme, c’est pour céder la place à un verbiage pontifiant, à la limite du risible (philosophes de comptoir, bonsoir) ?
Qui, surtout, pour demander aux critiques d’être plus que des fans transis (le contraire de cinéphiles), ou des relais promotionnels ? Pour souhaiter qu’ils consacrent un peu de leur attention aux dix à douze autres sorties hebdomadaires, dont la carrière se joue parfois en quelques jours ?
The Dark Knight Rises ou le syndrôme déceptif
On a pu lire, entre deux critiques enthousiastes, quelques assertions improbables. « Pas très réussi, mais il boucle la saga… » Depuis quand un film n’est-il plus censé valoir pour lui-même ? D’aucuns chercheraient-ils à dissimuler leur (relative) déconvenue, en trouvant au film des circonstances atténuantes ?
Si l’on veut être honnête, The Dark Knight Rises ne pouvait sans doute que décevoir : c’est qu’il n’est en définitive qu’un film, quand on attendait de lui qu’il accomplît l’impossible : relever de l’oeuvre générationnelle autant que du fantasme geek, tenir les promesses suscitées par quatre ans d’attente, de rumeurs, de pré-promotion intensive. Et, si possible, renouveler l’effet produit – l’avantage de la surprise en moins – par un second volet de toute beauté, porté notamment par l’interprétation hallucinée de Ledger.
C’est aussi que le temps du film ne se suffit plus : il semble pris en étau entre celui de son attente et celui de son commentaire. Continuer, trois semaines après sa sortie, à parler de The Dark Knight Rises, c’est d’une part – davantage que prolonger le plaisir – faire son travail de deuil, dépasser l’abandon (la trilogie est bouclée, Nolan a quitté le navire), grapiller quelques derniers moments avec ceux qui nous ont tant donné (il y a, dans le rapport d’un certain nombre de fans à la saga, une dimension affective un brin flippante) ; c’est ensuite, peut-être, travailler soi-même à combler les attentes que le film n’aura pas satisfaites (comme bon nombre de fans se seront avant cela substitués à la Warner, assurant eux-mêmes, en amont, la promotion du film – le fameux marketing viral, du pain bénit pour les studios).
« Now, the geeks are in charge »
Ce qui déconcerte, c’est la façon dont un tel délire médiatique (et relativement univoque) a pu se déployer ainsi, sans rencontrer plus de réserves.
On s’offusquait autrefois de ce qu’un film occupât plus de 600 écrans. Avec le temps, ces réserves sont tombées. 900 copies/France – soit plus d’un écran sur sept – pour les récentes cylindrées de Nolan et Whedon ? Nul n’y trouve plus rien à redire.
C’est qu’en dix ans, la donne a changé. D’une part, comme le dit un personnage du joli Paranorman (sortie le 22 août) : “OK. Now, the geeks are in charge.” Et certains de leurs critères font désormais autorité.
D’autre part, Nolan a une vision. C’est du moins ce sur quoi l’on s’accorde en choeur. Rien à voir avec les tâcherons et actioners des années 90, non ? Nolan est un auteur. S’il en exhibe, avec un tel aplomb, tous les attributs, tous les signes extérieurs, c’est qu’il doit en être un, n’est-ce pas ? Étonnant renversement à vrai dire : la presse, qui aura pris son temps pour adouber un McTiernan, décerne fissa ses galons d’auteur à Nolan. D’un errement l’autre…
Il y a vingt ans, on félicitait Burton (le premier des wondergeeks adoubés par Hollywood, celui à qui Nolan et consorts doivent leur entrée dans le sérail, leur père à tous) d’avoir su investir de ses propres motifs un univers dont, par ailleurs, beaucoup se moquaient plus ou moins. Quelques années plus tard, on ne reprochait qu’une chose à Schumacher : d’avoir commis des divertissements d’une laideur et d’une bêtise invraisemblables.
Autres temps, autres moeurs. La qualité d’un film de super-héros se mesure désormais, notamment, à la fidélité qu’elle témoigne aux comics dont elle s’inspire. Ici et là, les experts se penchent sur l’objet (comme une armée de laborantins, chargés d’évaluer la validité d’une expérience) : est-ce fidèle à l’esprit d’origine ? Y a-t-il contresens, maldonne ou – pire encore – trahison ?
Significativement, certains critiques n’auront fait que s’en tenir au pré carré déterminé par la fan-base. Soit des problématiques n’ayant que peu à voir avec le cinéma, sa grammaire, ses attributs propres. Quel serait l’adversaire de Batman ? Le héros porterait-il une nouvelle combinaison ? Selina Kyle serait-elle nommée Catwoman ? Le film serait-il plus ou moins sombre que le précédent ?…
Il fut aussi un temps où, sans doute, on était un peu moins dupes à l’égard de telles machineries industrielles. En 99, à l’époque de La Menace Fantôme, chacun en convenait : George Lucas était un vendu. Ses films n’étaient qu’un élément de marketing, un prétexte au déferlement d’une foule de produits dérivés. Que le film de Nolan serve aujourd’hui à vendre des camions entiers de Batmobiles téléguidées, cela n’interroge plus personne. On était sans doute un peu méchants avec l’oncle George. Ne serait-on pas, aujourd’hui, un poil naïfs avec Nolan ?
Car s’il a beau surjouer la noirceur (avec toute la solennité d’une formation de death metal : rarement aura-t-on vu blockbuster empestant à ce point le tombeau), ou se revendiquer adulte à tout crin, The Dark Knight Rises – pourvu qu’on le considère pour ce qu’il est, un simple film, plutôt que l’achèvement de la saga, l’accomplissement de la légende, ou je ne sais quoi – est un divertissement relativement banal, moins ample que bouffi, moins complexe qu’embrouillé.
Statut à part, journée spéciale
Quoi qu’on en dise, Nolan, qui en quelques années a pris un pouvoir conséquent à Hollywood, méritait bien, pour solde de tout compte (et parce qu’au sein de la rédaction, les avis divergent), une journée spéciale. L’occasion de recueillir vos commentaires, et de revenir, pêle-mêle, sur The Dark Knight Rises (et le vilain sort fait à Marion Cotillard), les thématiques à l’oeuvre dans la trilogie Nolan, une influence majeure (et le plus souvent insoupçonnée) d’Inception…
Avec les compliments de V.S., John C. Leroy, Dzibz et Gaël Martin – et dans l’attente de vos commentaires.
Tu poses la seule bonne question concernant ce film : le lavage de cerveau au brou de noix est-il préférable au lavage de cerveau à la guimauve? L’important, c’est qu’on en ressort avec une migraine…
J’aimerais apporter une précision, ou tout du moins un point de vue, suite à votre commentaire, Miguel. Chaque adaptation ciné ou télé de Batman est en soi fidèle aux comics, du moins à certains aspects d’entre eux.
Nolan puise son inspiration dans les plus sombres et sans doutes les stand-alone les plus populaires des aventures du Chevalier Noir. Cela étant, si vous vous penchez sur la série des années 60, elle aussi fidèle à certains aspects des comics bien que le timing ait été assez mauvais. En effet, quand la série est sortie, DC souhaitait reprendre des histoires un peu plus sérieuses, sortant d’au moins deux décennies d’histoires avec des extra-terrestres, gnomes et autres créatures magiques. Le ton (très) (trop, peut-être) léger de la série contrastait donc avec les souhaits de DC.
Batman a eu plusieurs époques. Et je rappellerai que dans les premiers comics, le Chevalier Noir n’avait pas encore sa ceinture et a même utilisé des armes dans le but de tuer certains de ses adversaires.
Dans un sens, dans le spectacle grandiloquent et ridicule qu’ils offrent, Batman Forever et Batman & Robin (même si ça me fait très, très mal de le dire) sont eux aussi fidèle à certains comics.
Et je ne peux m’empêcher de rejoindre Thomas sur la posture cérébrale qu’adopte Nolan. J’ai adoré TDKR, personnellement, et j’étais comme un gamin quand je l’ai vu, la première comme la deuxième fois. Cela étant, ça n’empêche pas le recul et la réflexion sur le film une fois la projection terminée =)
Je suis un fan, non pas un fan du comics Batman (enfin si mais avec une certaine mesure), mais un fan du personnage, tel qu’il a été mis en avant dans Begins et The Dark Knight. Comment peut on anéantir une telle mise en valeur du Dark Knight avec TDKR? Personne ou peu de gens ne souhaitaient voir un Batman (et Bruce Wayne) anéanti et asservi a des discours de psychologie de comptoir… Batman est un être humain, mais aussi un super héros sans super pouvoir, il est un symbole de foi. J’ai adoré Batman disant à Kim Basinger « vous pesez un peu plus de 54 kilos », j’ai adoré Batman pendant qu’il devenait Batman dans Begins et mon préféré restera Batman The Dark Knight mais TDKR n’est pas Batman, il me fait penser à un ersatz de Batman. Le « bobo » des Batman… Les comics eux aussi sont des entités qui peuvent être amenées à être corrigées. TDKR n’a rien à faire après TDK. Batman n’est pas un dépressif, il est un symbole, on nous l’a assez répété et on ne peut détruire et/ou tuer un symbole. Voir Alfred « freudien » tentant de faire se relever le Bat de Gotham de sa torpeur digne d’un burn out fut une aberration… il a vaincu la ligue des ombres (et Superman plus tard mais c’est un autre sujet), le joker (interprété avec brio par J Nicholson et feu Heath Ledger) et bien d’autres encore. J’ai mis longtemps avant de réagir sur un média quel qu’il soit mais TDKR fut le Tchernobyl de Batman.
Bonjour Miguel,
Merci pour votre commentaire !
En fait, je n’ai vu le film qu’une seule fois ! 😉
Bon, je reconnais que je suis parfois un peu méchant avec TDKR (d’où l’impression d’assassinat), et que tout ne m’a pas déplu… Je le trouve juste très, très surestimé.
Par contre, je ne crois pas penser à la place du réalisateur : le souci, c’est que Nolan, au-delà de l’histoire qu’il raconte (et pour le coup, plutôt paresseusement, de mon point de vue), se positionne lui-même dans une posture cérébrale, et qu’il intellectualise beaucoup… Je considère donc le film sous l’angle choisi par l’auteur lui-même, et je trouve (hélas) que ça ne fonctionne pas.
Par ailleurs, le fait que le héros de Nolan soit plus ou moins fidèle aux comics n’en fait pas un meilleur (ni un pire) film que ceux de Burton : je pense (et c’était un peu l’esprit de cet article) qu’il faut juger les films avant tout selon des critères cinématographiques. Or, en termes de récit, de rythme, de mise en scène, etc. TDKR m’a déçu.
Mais je comprends que vous soyez plus attaché au Wayne / Batman de Nolan qu’à celui de Burton. Parce que (je vais peut-être vous étonner) c’est aussi mon cas !
J’ai sans doute été un burtonien, mais je ne le suis plus depuis un bon bout de temps (une décennie de déceptions…). Et j’aime beaucoup les deux premiers volets de la trilogie Dark Knight (dans lesquels Nolan a effectivement réussi à faire vivre Batman en tant que personnage, ce en quoi Burton avait échoué), qui pour moi n’ont pas à rougir de la comparaison avec les 2 Burton, loin de là !
Rassurez-vous, je trouve chaque semaine de nouvelles occasions de m’enthousiasmer pour de nouvelles créations !
Amitiés, à bientôt sur Cinématraque !
Ca reste basé sur de pas mauvais arguments, mais votre assassinat de ce film et surtout de son realisateur me laisse a penser que vous etes des burtoniens aigris qui ont du mal a laisser la place aux nouvelles creations. Jai ete voir le film deux fois, jlui ai trouvé quelques defauts ( lenteur, prechi precha, marion cotillard ) mais vous avez du aller quant a vous vous le taper cinq ou six fois pour le demolir comme ca. Meme la partie qui parle de Hans zimmer et qui semble etre positif maparait comme un sarcasme issu de buffy contre les vampires.
Je trouve ce film a l image des deux precedents, parfois long et moralisateur exageré mais fidele au superheros de Dc, bien plus que celui de Tim Burton en ce qui me concerne. Nolan a su faire revivre Batman meme au travers dun heros qui semble prisonnier dun costume lesté au plomb. Jai pas vraiment d arme a polemique assez puissant pour contrer un pamphlet comme celui la mais je ne suis pas daccord avec nombre d affirmation. Ce film fait partie des grands noms de cette annee pour moi ( je citerai pas le box office ) parce que la plupart des gens vont au cinema pour se laisser raconter une histoire, pas pour tout decortiquer et penser a la place du Realisateur.
Bonjour David. Comme vous êtes sympathique ! Je vois bien que vous tentez là d’exprimer votre mépris sans trop vous fatiguer ! Je serais pourtant curieux de savoir pourquoi vous trouvez mes raisons « pompeuses et alambiquées ».
Une petite précision, cependant : l’adjectif « béni », en général, s’écrit tout à fait comme vous le dites. MAIS dans le cadre de l’expression « pain béniT », et se rapportant donc à toute chose ayant été consacrée lors d’une cérémonie, cela s’écrit avec un T au bout.
Voilà, c’est un fait : J’AI RAISON ET VOUS AVEZ TORT. Maintenant que la chose est établie, pouvons-nous parler de cinéma ?
Bien à vous.
Du pain bénI. Merci. Je n’ai pas le temps de vous expliquer pourquoi votre argumentation est creuse, je me contenterai de corriger vos fautes d’orthographe. Et pourtant, #tdkr est un mauvais film, en effet. Pas pour les raisons pompeuses et alambiquées que vous invoquez.
Bien à vous.
Cette argumentation est autant renversante que bouleversifiante. J’en suis tout bouleversifié.
je vais m’y pencher, mais l’inconvénient c’est qu’après je risque de vouloir écrire un nouveau truc !…
il serait intéressant de relire la théorie de Kracauer et regarder si il y a similitude avec le IIIe volet, je pense que oui!
Je suis d’accord (tout particulièrement pour M le Maudit) ; et ça sent effectivement le manque de passion et l’usure pour Nolan…
le plus gros problème de ce film, outre les faiblesses de fond voir absence total, c’est la charge dramatique et héroïque mélangé dans des préoccupations de Fritz Lang (je ne peux m’empêcher de penser à M le Maudit pour le deuxième) qui ne sont plus là. Comme si Théa Von Harbou avait réapparu mais malheureusement dans les affres de la 2nd guerre Mondiale. Siegfried Kracauer avait peut être raison mais pour Nolan. Le manque de passion flagrante…
On parle trop peu du harcèlement des geeks, des procédures de reconduite à la frontière qui frappent les geeks itinérants. Honte au gouvernement de Jean-Marc Ayrault.
C’est vrai que les geeks ne sont plus assez stigmatisés, de nos jours. Tout le monde se revendique geek, d’ailleurs. Où est passé le bon temps où ils finissaient la tête la première dans une poubelle ou des toilettes ? (Nostalgie, quand tu nous tiens…) ^^
Voila une bonne chose, c’est pas les Inrocks ici!
J’aime stigmatiser des communautés 😉
Ils t’ont fait quoi les Geeks? ils t’on piqués ton amoureuse à la cour de récrée? Tu t’es fait agresser par un Geek quand tu étais petit?
Pour ma part, je n’avais pas revu The Dark Knight depuis sa sortie en salles, du coup c’est la faiblesse du troisième volet qui me saute aux yeux, plutôt que le fait qu’il s’intègre à une saga… Effectivement, ton point de vue est à suivre dans ton article à venir…
Je reconnais avoir du mal à considérer The Dark Knight Rises comme autre chose que le dernier volet d’une trilogie… Manque de recul, peut-être. Mais c’est en partie expliquer dans un article à venir ^^