Evacuons tout de suite le principal poncif lié au cinéma de Brian De Palma : oui, Pulsions est bien l’un des quatre «thrillers hitchcockiens» – après Sisters et Obsession, et avant Body Double – réalisés par celui qui a connu le même sort critique que son maître (méprisé dans son pays et défendu par les cinéphiles français, avant de faire partie des cinéastes hollywoodiens les plus convoités par les studios). Revoir Pulsions aujourd’hui, plus de trente ans après sa sortie, produit un curieux effet, comme si le film, à l’image de son personnage principal, était un peu schizophrène. Le scénario, comme souvent lorsque De Palma écrit seul, manque de subtilité. On a ainsi droit à une description particulièrement gratinée de la sexualité chez les femmes mûres : sur ce sujet, De Palma réussit l’exploit, en une petite demi-heure, de se montrer à la fois salement graveleux et terriblement puritain.
Il jongle également avec les invraisemblances, notamment lors du dénouement. Mais ces lourdeurs sont contrebalancées par la pure magie de la mise en scène de De Palma, qui est capable d’exploits surhumains, comme de transformer une scène de drague absurde et sordide, pompée sur Vertigo, en suspense insoutenable, grâce à son traitement méthodique de l’action. Tout se passe en deux temps : dilatation et sens du détail. Dans un premier temps, le cinéaste installe une ambiance bizarre (Angie Dickinson qui écrit des trucs idiots dans son carnet en regardant rêveusement des tableaux hideux) et crée une temporalité dilatée, ralentie et tendue à la fois, en prolongeant les raccords regards jusqu’à atteindre un point limite (Dickinson regarde le premier tableau, puis les gens qui passent; elle regarde à nouveau le tableau, puis écrit quelque choses dans son carnet; puis elle regarde à nouveau le tableau avant de passer au suivant, etc). Une fois la temporalitée de la séquence mise en place (grâce également à des plans subjectifs en steadycam d’une perfection rarement atteinte), il focalise notre attention sur un détail (le gant perdu, récupéré par le bellâtre qui attire ainsi Dickinson jusqu’à son taxi, tandis qu’elle perd l’autre gant, cette fois ramassé par le tueur). Cette focalisation détourne à la fois notre attention du danger (et des faiblesses du scénario) tout en accentuant la tension de la scène.
De Palma procède de cette manière dans toutes les scènes importantes, en ajoutant parfois un jeu de regard à la fin, comme dans la séquence du meurtre : après avoir dilaté le temps de la séquence par des inserts sur les numéros d’étage de l’ascenseur et par l’échange de regard entre Dickinson et la petite fille – qu’il prolonge encore une fois jusqu’à son extrême limite – il détourne notre attention en se focalisant sur la bague manquante. A la fin de la scène, Nancy Allen, attirée par le regard implorant de Dickinson, s’approche et voit le tueur dans le miroir de l’ascenseur, tandis que le rasoir tombe lentement sur sa main, empêchant le sauvetage de la victime. Plans subjectifs, ralentis, rien ne fait peur à De Palma pour atteindre son objectif : nous focaliser sur les détails, qui ont eux-mêmes pour double fonction de détourner notre attention et d’accentuer le suspense. Par ailleurs, De Palma place au coeur du film une indication autobiographique passionnante : le jeune Keith Gordon, qui joue le fils d’Angie Dickinson, est en effet une projection de De Palma adolescent, fou de technologie espionnant son père pour le compte de sa mère. Il n’insiste pas sur cet élément qu’il intègre assez bien au scénario, mais il s’agit bien là d’un des fondements de son cinéma: le voyeurisme comme motivation essentielle pour filmer.
Si l’on regarde les coutures scénaristiques de trop près, le film ne tient pas debout, les cheveux dépassent de sous la perruque. Mais on peut aussi se laisser éblouir par le reflet de la lumière dans le rasoir, et voir dans Pulsions l’un des sommets formels de Brian De Palma, et donc l’un de ses meilleurs films.
De mon côté, ça m’a aussi donné envie de revoir Obsession, qui m’avait laissé un souvenir étrange (et pour tout dire assez malsain)…
Oui, je suis bien d’accord avec toi, la mise en scène éclipse les problèmes de scénario, les personnages assez clichés et les dialogues pas terribles. La scène du musée est superbe, toute en tension, avec cette insistance sur les détails que tu décris (et, en plus des jeux sur le regard, on a aussi ce bruit entêtant des talons sur le sol). On retrouve un peu le même principe de détournement par le détail dans la scène dans le métro (la scène avec le contrôleur et les regards échangés entre eux, la tension détournée sur les voyous…).
Hyper bien !
Oui c’est un beau film.
Forcement, maintenant, j’ai envie de le revoir… j’va me le choper en dvd d’ici deux trois mois…