Son Non-film, visible ci-dessous, valait déjà le coup d’oeil. Il donnait le ton, il laissait entrevoir quelque chose de fou, quelque chose de singulier, quelque chose de beau. Oui, c’était certain. De Quentin Dupieux on allait entendre beaucoup parler.
Dupieux, aka Mr Oizo s’était déjà fait un nom dans l’univers si exigeant de la BONNE musique électronique, tendance crasseuse. C’est à lui que l’on doit l’entêtant Flat Beat, qui fît danser les teufeurs dans la fin des années 90. Une chanson plus accessible que le reste de la discographie du monsieur, foutraquement géniale, parfois inécoutable, toujours assez virtuose. Toujours à la recherche du son nouveau, de la cassure de rythme inattendue, du son du futur, Quentin Dupieux est à l’electro ce que Philippe Katerine est à la chanson française, un génial OVNI.
Son Non-film le révélant comme vidéaste prometteur, son univers sonore passant parfaitement le cap de l’image, il était tout naturel que Dupieux tente de faire son trou dans le Septième Art. Et ce qu’il y a de chouette avec ce genre de types, c’est qu’ils sont toujours là où on ne l’attend pas.
Ainsi, on le retrouve en 2007. Avec une promo béton, déjà. Dupieux réalise Steak, son premier long-métrage. Il convoque les comiques Eric et Ramzy et bénéficie d’une promo à la hauteur de la popularité des deux zigotos. Evidemment, le film est un échec commercial. 275 000 entrées seulement pour 6 000 000 d’euros de budget et deux grandes stars françaises au générique. Sur le papier, Steak a tout du film raté.
Syncrétisme perdant-perdant, Steak déplait aux adorateurs d’Eric et Ramzy comiques, et rebute les cinéphiles cibles. Et c’est sur le long terme que la sauce prend. Le film, géniale potacherie absurde, et son humour du futur-que-le-spectateur-ne-peut-pas-comprendre-puisque-c’est-le-futur devient culte à coup de bouche-à-oreilles dithyrambiques. Mieux, Eric Judor en sort grandi, affranchi de son passif de délinquant-zigoto-du-PAF. Dupieux aurait-il réussi son pari ? Se serait-il imposé comme l’OVNI réalisateur après s’être imposé comme un OVNI-musicien ? Tout reste à prouver.
Rubber prend vite forme. Les blogs spécialisés relaient vite le pitch, comme une énigme, la possibilité de quelque chose d’exceptionnel : « l’histoire d’un pneu serial-killer ». L’idée est étonnante, assez insolite pour déchaîner les foules. Rubber est très attendu. Parce qu’à Quentin Dupieux on commence à accorder un certain crédit. Les premières images sont époustouflantes de beauté. Dupieux ose le Canon 5-D pour filmer, et donne au désert une beauté chaude jamais vue auparavant.
A Cannes où il est sélectionné à la semaine de la critique, le film est très bien accueilli. Dupieux fait le buzz encore, en trimballant son pneu d’acteur principal sur la Croisette, agaçant ceux qui l’aiment, intriguant ceux qui ne l’aimeront pas. C’est là que le bonhomme est si singulier, dans cette ambivalence inadéquate, requerrant l’amour absolu de ses adorateurs. Dupieux veut qu’on l’aime. Et qu’on déteste l’aimer. Dupieux agace, nargue autant qu’il plaît et s’astreint à toujours surprendre.
Dans sa scène d’ouverture, Rubber époustoufle. Un long monologue vantant les mérites du n’importe quoi. « No reason », explique un personnage. No reason, c’est là l’idée centrale. Pourquoi filmer un pneu tueur ? No reason. Pourquoi faire du cinéma ? No reason. Pour la beauté du geste, comme dirait Monsieur Oscar, dans Holy Motors de Carax.
Dupieux en fait un beau, de Monsieur Oscar. Il se balade de vie en vie, pour la beauté du geste. Mettant en scène un pneu, insultant les festivaliers cannois, déchaînant les clubbers adorateurs de la clique Ed Banger. Le mec a des vies, et jongle, virtuose, gamin amusé, avec.
Rubber étonne, encore. Il n’est pas la mare de sang promise, mais un tableau, une oeuvre d’art, bien moins narrative que Steak, mais en portant néanmoins quelques marques, celles qui font de Dupieux un réalisateur fascinant, addictif : la profondeur des champs, la beauté symétrique de chaque plan, le souci du rythme, lancinant, apathique mais pas trop, millimétré pour époustoufler sans ennuyer. 45 000 spectateurs, c’est peu, mais le film s’exporte bien et atterrit dans toutes les DVDthèques des cinéphiles avertis.
Ca y est, le bonhomme a la confiance des fans. La prochaine marche, c’est la confirmation. La prochaine marche, c’est Wrong.
Wrong, c’est l’histoire d’un type (Jack Plotnik, déjà excellent en comptable taré dans Rubber, extraordinaire ici) qui perd son chien. Oui, je sais.
Dupieux ressort le 5D, très content du résultat qu’il a obtenu sur Rubber, et polisse encore ses plans, tous vraiment magnifiques. Seulement ici, l’image n’est pas au centre de l’oeuvre. Car ce que filme Dupieux, c’est une paisible banlieue américaine, un Desperate Housevives sous acide. Le film est très bavard, et très drôle. Il est le résumé de l’oeuvre costaude de Dupieux : la 5D, Eric Judor, Jack Plotnick, des longues plages de dialogues absurdes façon Steak, des plans-séquence façon Rubber, et une volonté absolue de ne ressembler à rien, à l’instar de ce qu’il essayait de faire dans son Non-Film. Ici, après 7h59, il est 7h60, et les arbres peuvent changer d’espèces. No reason.
Et évidemment, Wrong éblouira autant qu’il agacera. D’aucuns riront aux larmes d’entendre l’accent ridicule d’Eric Judor en jardinier (lol, déjà), tandis que les autres s’enthousiasmeront pour le plan final, tout simplement merveilleux. Tous en tout cas seront confrontés à ce dilemme, centre névralgique de ce que filme Dupieux : doit-on prendre ce type au sérieux ? Où est la frontière entre sens et non-sens ? C’est beau ou c’est chiant ?
Toute la difficulté du truc étant de s’astreindre à ne pas penser, et à se laisser aller à divaguer, à se perdre dans les méandres d’un esprit de créateur génial que l’on n’a pas fini de découvrir, et dont on espère ne jamais avoir fait le tour.
Wrong, de Quentin Dupieux, en salles le 5 septembre 2012
Que de révérence! Pour ma part, je connais mal cet oiseau. Mais j’ai vu Wrong, et j’aurai plutôt envie de le matraquer.
Ce type est un vrai héros moderne comme il faut, à la fourbe limite entre l’ancien Tarantino et Les Robins des Bois. Bref, j’irai le voir, parce que j’ai pas envie de finir en prison.
Tellement hâte. Fat et frais, comme un bon Saint Agur.