After Blue (Paradis Sale) : mécanique et fluides

Le retour du fils prodigue. Bertrand Mandico, figure emblématique de l’Etrange Festival, était présent avec son équipe en ce mois de septembre au Forum des images pour présenter son deuxième exercice au sein d’un format qui ne lui est pas clément : le long-métrage. Après le succès critique de son premier, Les Garçons Sauvages, et la réussite populaire de son superbe moyen-métrage Ultra Pulpe, revoilà le type à l’inventivité visuelle sans égale au sein de la production française, et aux histoires toujours débordantes de cul, de sécrétions et de profusions phalliques extraterrestres. Bienvenue dans After Blue, le paradis sale post-terrestre…

Tout commence dans un cosmos moite et abîmé, sur une bobine 35mm volontairement vieillie et amochée qui respire la vieille VHS des familles : la planète bleue n’est plus, et les hommes non plus. Sur leur nouvelle planète, des femmes aux poils qui poussent sur les épaules (Mandiquoi ? Mandico.) vivent en petits clans. L’héroïne, Toxique, n’est pas franchement aimée du sien. Et lorsque sur la plage, elle et ses camarades trouvent une femme enfoncée dans le sable jusqu’à la tête, l’univers bascule : Toxique la libère, puis cette ange démoniaque nommée Kate Bush (véridique) tue les autres femmes.

Voici donc Toxique punie par le clan ; sa mère, la coiffeuse du coin (qui rase les poils d’épaules avec un genre de bitoniau à diodes bleues, parce que Mandico) et elle sont forcées de partir dans la montagne à la recherche de la terrible Kate Bush pour s’en débarrasser. Lors de leur voyage, elles rencontreront toutes sortes de dangers, créatures monstrueuses et monstrueusement sexuelles, sans parler d’une grande artiste un brin timbrée (Vimala Pons, égale à elle-même c’est-à-dire totalement irrésistible) et de son automate aux airs masculins.

C’est donc une sorte de western que propose Bertrand Mandico ; un choix évident tant son cinéma est un commentaire sur le septième art. En effet on peut penser le western non pas comme un genre purement américain mais comme un méta cinéma qui est parvenu à infuser dans le monde entier sa grammaire, sa philosophie, et surtout sa mythologie. Car malgré la complexité de l’univers spatialo-baisodromatique du film, ainsi que de sa narration fourre-tout, After Blue (Paradis Sale) n’est rien d’autre qu’une exploration du cinéma via ses mythes. Dans le voyage jusqu’aux territoires inconnus avant le retour au bercail, dans les figures de jeune ingénue et de mentoresse énigmatique, on retrouve des réflexions tout droit héritées du monomythe de Joseph Campbell. Quant au western, il le cuisine à sa sauce : les pistolets à long canon et fusils à deux coups des cow-girls de l’espace sont des produits de luxe estampillés Gucci ou Prada, les natifs américains sont remplacés par des « indiams », créatures incomprises dont la mâchoire renferme des illusions ornées de diamants… Ce n’est pas un grain qu’a Mandico dans le cerveau, c’est un grain à la place du cerveau.

Les influences de Mandico transpirent par tous les pores de ses plantes extraterrestres suintantes : la galaxie lointaine des trans de Transylvania n’est pas très loin, ni tous les nanars pseudos érotiques qui ont connu une explosion dans le cinéma cassettes vidéos des années 80 (eux-mêmes forcément inspirés des délires à la Barbarella, consécration en 1968 d’une SF influencée par la révolution sexuelle). Et pourtant il serait malhonnête de trop le comparer à ses prédécesseurs, tant ce qu’il arrive à bricoler n’appartient qu’à lui. Chaque plan, chaque décor, chaque accessoire parvient à rendre compte d’une planète qui ne ressemble à rien de connu, où tout est étrange et étrangement cohérent. Même les rares séquences tournées dans des décors naturels pourraient laisser croire que le type a réalisé un voyage interstellaire pour ses prises de vues ; grâce aux jeux de lumières, à une obsession pour les effets de fumée et à des constructions phalliques qui jaillissent à perte de vue.

Car si les hommes ont disparu de l’univers dépeint, il n’en reste pas moins foncièrement masculin ; lorsque Mandico se revendique d’un cinéma transgenre, il a raison pour le jeu de mot sur le mélange des genres cinématographiques, mais son approche des corps dans le film reste ancrée dans l’héritage qu’il revendique : c’est un univers plus cisnormatif que son long précédent. C’est aussi cela qui fait de cette œuvre une curiosité : le regard du cinéaste sur les corps et sur le cinéma est réellement unique. Le résultat est probablement indigeste (2h07 de dingueries, c’est long), parfois incompréhensible, mais ça fait partie du jeu : si l’on se laisse prendre à celui-ci, on ne peut qu’avoir envie de connaître ce paradis sale.

After Blue (Paradis Sale), un film de Bertrand Mandico, présenté à l’Étrange Festival 2021, en salles en février 2022 via UFO Distributions.

About The Author

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.