Souvenirs de Marnie : du roman de Joan G. Robinson au film des studios Ghibli

On pourrait écrire plusieurs thèses sur les emprunts culturels existant entre le légendaire studio Ghibli et l’histoire et la culture européenne ; et la passion qu’avait Isao Takahata pour Grimault et Prévert et les obsessions italiennes et bavaroises de Miyazaki se retrouvent largement dans leur cinéma sans frontières. Une des influences évidentes des productions du studio japonais est la littérature jeunesse britannique, et plus particulièrement la littérature pensée pour les jeunes filles : les œuvres de Diana Wynne Jones notamment, mais aussi Souvenirs de Marnie de Joan G. Robinson que Miyazaki citait souvent dans ses œuvres pour enfants favorites.

C’est sûrement sous cette impulsion qu’est né le projet Souvenirs de Marnie chez Ghibli : le célèbre producteur Toshio Suzuki a chargé le réalisateur Hiromasa Yonebayashi de faire une adaptation, ce qui deviendra son seul long-métrage réussi. Les fans d’Arietty, j’attends vos menaces de mort dans ma boite aux lettres.

En ce mois d’avril, le roman de Joan G. Robinson qui lui a valu son plus grand succès sort pour la première fois en France dans une magnifique édition chez Monsieur Toussaint Louverture, avec une traduction de Patricia Barbe-Girault et une incroyable illustration d’Alex Green. Le roman comme le film racontent l’histoire d’Anna, jeune fille envoyée à la campagne pour profiter du climat, qui va rencontrer une mystérieuse camarade aux beaux cheveux blonds nommée Marnie…

La découverte de ce roman est un plaisir pour deux raisons majeures. La première est la justesse de ce récit d’enfance : Anna est une jeune fille dont le mal-être est sans cesse palpable. Elle n’arrive jamais trop à exprimer ce qu’elle souhaite et a beaucoup de mal à maîtriser ses émotions, tout en les identifiants avec une clarté surprenante dans le même temps… En bref, il lui est difficile d’exister comme il se doit aux yeux des autres, et la plume de l’autrice rend compte de cela merveilleusement bien. En nous plongeant dans la tête d’Anna, elle nous confronte à ce que la jeune fille comprend de ce que les autres attendent d’elle, mais aussi au monde tel qu’elle voudrait qu’il soit ; et l’introduction de la rêverie et du fantastique autour de la figure de Marnie ne fait que souligner cela. Il faut aussi mentionner les quelques scènes où Anna doit écrire une lettre à sa mère adoptive, et voir la minutie avec laquelle elle choisit les mots à employer pour « être » comme il faut. Ce sont dans ces moments que l’on perçoit au mieux la vulnérabilité du personnage.

Par ailleurs le portrait qui est fait de ce petit monde de la côte est de l’Angleterre est particulièrement saisissant, à la fois dans le paysage décrit que dans les interactions sociales des différents habitants. C’est encore plus frappant lorsque Marnie débarque dans le récit ; elle pense d’abord qu’Anna est une mendiante et installe rapidement une relation déséquilibrée (malgré la complicité indéniable) entre sa classe sociale élevée et celle de l’héroïne.

C’est quand même PUTAIN de beau sa mère ce film

L’autre raison qui rend la lecture fascinante est la possibilité de la comparaison avec le film de Yonebayashi. Il paraît évident que c’est le mal-être d’Anna qui l’a convaincu de réaliser le film, tant cet élément est retrouvé à l’identique dans le long métrage. Mais surtout, il ne passe pas du tout par le monologue interne comme dans le roman ; il suffit de visuels, d’expressions faciales et de la poésie de l’animation pour faire comprendre au spectateur l’anxiété paralysante du personnage. Plus intéressant encore est la manière dont le réalisateur s’empare de l’imagerie européenne pour l’ancrer dans une réalité japonaise. Comme nous le mentionnons en début d’article, les passerelles entre Orient et Occident sont palpables dans toutes les créations Ghibli, et il est impossible en voyant le film de penser à une bourgade britannique comme dans le roman. La réalité de la campagne est transposée à la vie nipponne avec une précision irréprochable. Le seul élément européen conservé est la maison de Marnie et sa famille, ce qui apporte encore un plus par rapport au roman en jouant sur cette fascination que peut exercer l’étrange élégance des étrangers (blancs) pour la jeune japonaise.

Nous ne pouvons donc que vous encourager à vous procurer le beau livre de Joan G. Robinson dans son édition française, et de redécouvrir le film de Yonebayashi, qui est je le répète sa seule réussite à ce jour, j’attends toujours les bombes dans ma boite aux lettres.

Souvenirs de Marnie, un roman de Joan G. Robinson disponible en France le 22 avril 2021.

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