The House that Jack built : l’artiste comme psychopathe

La sélection du dernier film de Lars Von Trier clôt sept ans d’exclusions du cinéaste de la Croisette. La sanction, unique, faisait suite aux déclarations du cinéaste danois en marge de la présentation de son dernier film sélectionné par le Festival et son dernier chef d’œuvre en date, Melancholia. A l’époque la question d’un journaliste revenait sur des propos du cinéaste dans un magazine danois où il avait évoqué son goût pour l’esthétique nazie. Sur la Croisette, l’artiste s’est enfoncé dans le facepalm en évoquant son enfance pendant laquelle, puisque provenant d’une famille allemande, il était appelé « le nazi » au Danemark, concluant son embarrassant monologue par « oui je suis un nazi ». Depuis le cinéaste doit subir les contre-coups de l’affaire Weinstein. Lars Von Trier, comme beaucoup trop de cinéastes est connu par ses méthodes de harcèlement, notamment sur l’actrice et chanteuse islandaise Björk. L’Islandaise avait très mal vécu le tournage de Dancer In The Dark, avait menacé de quitter le tournage. Alors que le Festival n’a pas osé projeter le dernier film de Woody Allen, et qu’il a choisi d’occuper ses écrans par des films bénéficiant du mouvement #MeToo (Les Filles du Soleil, A genoux les gars, Rafiki) il y avait une certaine gène à célébrer certains cinéastes coupables ou suspectés d’agression sexuelle, de viols sur mineur, ou ayant harcelé des actrices. Il faut croire que pour le Festival l’eau a coulé sous les ponts, car Lars Von Trier, par ailleurs continue à choquer. Il est pourtant bien possible que Thierry Frémaux ait perçu dans The House That Jack Built, une lettre d’excuses du cinéaste au festival et au reste de l’humanité.

Jack est Lars, Lars est Jack

Car si The House That Jack Built commence comme une réinterprétation du cinéaste de la figure du serial killer, progressivement le tueur interprété par Matt Dilon commence à disserter sur l’art et l’humanité, face à ce que l’on croit être son psychanalyste. Ces moments en voix off, souvent en amorce de chaque partie du film, guide le spectateur vers une autre lecture bien plus passionnante : l’auto-analyse du cinéaste de son rapport au monde, à l’autre, à l’art et à sa propre monstruosité. Au contraire d’autres accusés, Lars Von Trier ne cache pas être quelqu’un de problématique et violent. Mieux, il revient dans une séquence folle à son rapport aux nazis, au fascisme en général et conclut ce grand moment par une compilation d’images de ses derniers films. Jack est Lars, Lars est Jack. Et la maison qu’il se construit, son œuvre artistique, il l’a construite en manipulant, en harcelant et n’hésitera pas à tuer pour continuer à créer. Mais plus que de parler de lui, de sa violence qu’il ne cherche pas à cacher, The House that Jack Built est aussi étrangement un acte radical qui n’est pas sans rappeler Le Livre d’Image de Jean Luc Godard. Les deux évoquent l’extrême violence du monde actuel et des moyens d’y répondre, les deux artistes rappellent l’importance de l’art et de la philosophie dans construction de la révolte. Mais paradoxalement, Godard est un bâtisseur, là où Lars Von Trier préfère tout détruire, son œuvre, sa maison et lui même. Face à ce qui arrive, on préférera le premier au second.

The House that Jack built, de Lars Von Trier. Avec Matt Dillon, Riley Keough, Uma Thurman, Matt Dillon, Ed Speleers, Bruno Ganz. Sortie prochainement.

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