En guerre : Lindon fait son Strip-Tease

Alors que l’on navigue tranquillement vers la fin du Festival avec encore l’espoir de voir un film prendre la tête d’une compétition qui s’annonce définitivement serrée mais pour l’instant sans grande claque, il y a ce moment où on se demande si tout cela en vaut bien la peine. C’est notamment ce sentiment qui vous envahit quand vous vous retrouvez dans la file d’attente pour aller voir, après une semaine de projections intensives, un nouveau film social de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon. Qu’on se comprenne, Brizé est un cinéaste honorable et son association avec Lindon a déjà donné lieu à un film réussi dans le même type d’exercice avec La loi du marché. Mais la perspective de voir le tandem se refrotter à un sujet qu’ils ont déjà effleuré il y a quelques années n’était pas forcément la perspective la plus excitante qui s’ouvrait à nous pendant ce festival.

En guerre réunit donc le cinéaste et son acteur fétiche pour la quatrième fois, ce dernier incarnant ici Laurent Amédéo, le leader syndical de la filiale agenaise d’une usine automobile qui subit une délocalisation forcée vers la Roumanie malgré la rentabilité du site. A la tête du mouvement réunissant les 1100 employés, il se lance dans une bataille de David contre Goliath pour arracher le droit de continuer à travailler dans une région à la situation de l’emploi sinistrée, et ce malgré la décision de la multinationale allemande de mettre l’ensemble des employés au chômage.

Le film de Brizé épouse constamment le combat de Laurent, que ce soit contre l’impuissance des pouvoirs publics (du maire au gouvernement), les décisions hâtives de justice et le mépris d’une direction qui ne daigne même pas les recevoir à la tables des négociations. Elle prend également son parti au sein des dissensions internes du mouvement à mesure que celui-ci s’enlise et que les réalités économiques commencent à ressurgir. Brizé épouse la ligne syndicaliste « à la dure » d’Amédéo pour qui l’argent ne compte que s’il vient du fruit de son travail et parfaitement conscient que dans une région où pas grand monde de ceux qui resteront sur le carreau pourront retrouver du travail, il vaut mieux un chèque tous les mois qu’une grosse prime de licenciement.

La limite du film, ce sont les limites de la fiction

Le point de vue du cinéaste se défend, sauf que celui-ci se retrouve vite remis en question au sein même du film, lorsque le mouvement syndical sent le combat lui échapper. En Guerre réduit trop souvent le combat de 1100 personnes à celui d’une seule, deux à la limite en comptant Mélanie (Mélanie Rover), syndicaliste CGT et fidèle soutien de Laurent. En individualisant tous les enjeux autour du seul personnage de Laurent, Brizé regarde le mouvement syndical par le petit bout de la lorgnette au lieu de l’envisager, y compris dans ses dissensions internes, comme une organisation collective. Mais difficile de faire autrement quand on entoure une bande d’acteurs amateurs d’un des acteurs les plus populaires du cinéma français.

On touche là à ce qui fait la limite d’En Guerre, et par-delà de ce genre de fictions sociales. N’importe qui s’intéressant aux mouvements sociaux dans ce pays ne sera jamais étonné par le déroulé des événements, qui suit à peu près toujours le même type de trajectoire. La tragédie de ces ouvriers trouve racine dans de nombreux exemples, dont certains ont déjà été filmés. L’histoire des ouvriers automobiles de Perrin Agen, c’est la même que celle des Goodyear, des Fralib ou des PSA qu’un documentaire comme Comme des lions avait en son temps chroniqué. Et cette histoire ne mérite-t-elle pas mieux que d’être racontée par ceux qui l’ont vécue ?

C’est sans doute là que repose le principal écueil d’En Guerre, dans son choix de recourir à la fiction, et aux choix de mise en scène qui en découlent. Noyant certaines de ses scènes de combat sur le piquet de grève sous des effets de caméra au poing et une musique qui étouffe les cris des ouvriers plus qu’autre chose, Stéphane Brizé impose cette distance de la fiction symbolisée par son acteur principal. Voir le visage connu de Vincent Lindon sous la chasuble d’un leader de mouvement ouvrier a quelque chose qui sonne faux, qui nous rappelle que nous sommes devant une re-création d’un mouvement social, où les noms et les rôles sont fictifs. Il n’est pas impossible de faire de grands films de fiction sur les luttes sociales, mais cela reste un exercice complexe qu’En guerre ne parvient pas réellement à faire tenir. Le résultat est efficace, par moments émouvant, nous arrache parfois un rire nerveux face au mépris dont font face ces ouvriers en lutte. Mais ces sentiments, ce sont les mêmes que nous ressentons (du moins quand on n’est pas de droite, hein) devant les reportages télévisés et les documentaires. La fiction doit savoir trouver sa place dans cette équation, et dans En guerre, celle-ci ne fait que nous mettre toujours plus à distance du cœur même du combat.

En guerre ne manque pas de qualités. Son recours aux plans longs, qui laissent le temps au verbe de se libérer et aux dynamiques de force s’installer ou se renverser, en font une vraie proposition qu’il ne faut pas balayer d’un revers de main. Mais son discours empathique louable ne s’applique pas toujours de la meilleure des façons. Ça n’en fait pas un film détestable. Mais si c’est juste pour y voir Vincent Lindon rejouer (avec beaucoup de conviction certes) les meilleurs documentaires déjà faits sur le même sujet, autant aller voir les originaux directement.

En guerre de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon, Mélanie Rover, Jacques Borderie…, en salles depuis le 16 mai.

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