Peu de réalisateurs dans la compétition de cette année peuvent se targuer d’avoir une histoire d’amour aussi prospère avec le festival de Cannes que Matteo Garrone. Quatrième sélection consécutive pour le cinéaste transalpin, qui hormis l’accident de parcours Tale of Tales il y a quatre ans, est toujours reparti de la Croisette avec une place au palmarès, et pas la moindre puisque pour Gomorra et Reality ce fut le Grand Prix (même si honnêtement, le second relève encore aujourd’hui de l’hallucination, voire du copinage de la part du président du jury de l’époque, Nanni Moretti).
Garrone n’a jamais été réputé pour la légèreté de son style, même si son approche ultra-réaliste à l’exception de Tale of Tales lui a valu moins de détracteurs que son pendant lyrique des habitués cannois Paolo Sorrentino (qui a clairement la préférence de l’auteur de ces lignes mais passons). Le revoir donc dans le créneau du thriller naturaliste n’était guère étonnant à défaut d’être la proposition la plus excitante de cette compétition officielle. Mais alors que l’enthousiasme des débuts du Festival s’est peu à peu (légèrement, on vous rassure) émoussé, Dogman s’est avancé avec la promesse d’un film solide sur ses acquis, ce qui n’est pas plus mal.
Dogman, c’est le nom du salon de toilettage canin tenu au beau milieu d’une cité pauvre du sud de l’Italie par Marcello, bon Samaritain de sa communauté locale. Toujours prêt à aider son prochain et vivant pour l’amour de sa fille, cet amoureux des canidés est comme tous les habitants de la cité victime de la brutalité de Simoncino, carcasse de boxeur accro à la coke rackettant tout le monde, ne respectant personne, et entraînant régulièrement le frêle Marcello dans ses combines de gangster. Incapable de lui résister, le pauvre Marcello se laisse alors entraîner dans une spirale destructrice contre laquelle il ne peut pas lutter.
On pouvait craindre que Matteo Garrone n’empoigne ce sujet délicat à bras le corps et n’en fasse la chronique d’une auto-destruction chargée de misérabilisme et de voyeurisme. Un sujet piège comme celui-ci pouvait vous exposer à une overdose de scènes pathétiques pour figurer le calvaire d’un homme pris dans un engrenage tragique. Sauf que là où tant de films de cette sélection ont passé leur temps à s’appesantir sur leur sujet (ce qui n’est pas un mal en soi), Garrone lui préfère livre un thriller sec jusqu’à l’os, qui ne se perd pas dans les louvoiements psychologisants et préférant les actes aux paroles.
Un retour à une forme plus maîtrisée
Dépouillant ses scènes de tout superflu avec une énergie très proche dans l’esprit de la série B, le cinéaste livre un thriller glaçant, esthétiquement magnifique, profitant du travail d’orfèvre du chef opérateur Nicholai Brüel, qui impose ici une patte presque poétique dans un style presque hybride entre le réalisme cru de Gomorra et les identités plus colorées de Reality ou Tale of Tales. Peut-être le film cannois de Garrone le plus modeste dans ses intentions narratives, Dogman est son plus abouti sur le plan formel, celui où son sens du symbolisme parfois un peu lourdingue se fond le mieux dans ses obsessions de violence visuelles.
Cinéaste adepte comme quelques-uns de ses contemporains de l’outrance, Matteo Garrone semble ici se ressourcer vers, à défaut de modestie, une forme plus maîtrisée. Cela passe notamment par la direction d’acteurs de son tandem principal, où Edoardo Pesce apporte sa silhouette brute et son mutisme inquiétant au bully Simoncino. Mais ce n’est rien à côté de la révélation Marcello Fonte, aperçu déjà à Cannes dans L’Intrusa à la Quinzaine des Réalisateurs l’an dernier. Sosie rabougri de l’Argentin du PSG Angel di Maria, il porte le personnage qui porte son prénom avec une humanité qui ne plonge jamais dans la mièvrerie misérabiliste. Attendrissant, par moments inquiétant, il forme avec son partenaire à l’écran un duo remarquable, une sorte de Laurel et Hardy version gangsters de pacotille, le réalisateur exploitant à merveille par sa gestion du cadre la différence colossale de gabarit entre les deux hommes. Prix d’interprétation masculine en vue?
Dogman ne restera peut-être pas pour tout le monde le meilleur film de Matteo Garrone (c’est le cas pour l’auteur de ces lignes cela dit) mais il est à coup la proposition la plus efficace de ses œuvres cannoises. Sans afféteries, noir sans être plombant, grinçant sans jamais sombrer dans la misanthropie gratuite, il montre un retour vers ce que le cinéaste italien maîtrise sans doute le mieux : ausculter la violence latente et les pulsions animales qui sommeillent en nous jusqu’à ce qu’elles explosent. Est-ce que ça mérite une Palme ? Seul samedi nous le dira, mais comme Marcello dans un concours canin, une petite place sur le podium serait loin d’être un scandale.
Dogman de Matteo Garrone, avec Marcello Fonte, Edoardo Pesce, Francesco Acquaroli…, en salles à partir du 11 juillet.