Alors que les cinéphiles français peuvent encore découvrir son Senses en salles, Ryusuke Hamaguchi continue sa percée dans le game des cinéastes asiatiques qui comptent. Après son œuvre en 6 parties et cinq heures, c’est avec un film-diptyque que le nippon récolte pour la première fois les honneurs de la compétition officielle. De son nom original Netemo Sametemo, il porte dans son nom occidental celui de son héroïne, Asako.
Pendant près de deux heures, le spectateur va être amené à suivre plusieurs épisodes de la vie de la jeune femme, de son adolescence et de son couple avec le ténébreux et ombrageux Baku à sa vie d’adulte aux côtés du dévoué et adorable Ryohei, qui partage une ressemblance physique plus que troublante avec l’amour de jeunesse d’Asako, disparu du jour au lendemain sans donner de nouvelles. D’indécisions en coups du destin, la jeune femme va apprendre à se construire au-delà de l’épisode traumatique que fut la disparition de l’homme qu’elle aimait des années plus tôt.
Tous les ingrédients de Netemo Sametemo auraient pu donner lieu à un thriller psychologique sur la dualité du désir et des pulsions, mais Hamaguchi entraîne très rapidement son film sur une autre pente. Asako se construit sur le mode de la légèreté, voire de la ténuité. Le rythme lent laisse le temps aux sentiments d’infuser et au trouble de s’instiller dans l’esprit de son héroïne. Comment apprendre à aimer un homme au travers du souvenir d’un autre ? La question, passionnante, pousse le cinéaste vers une relecture du trope du triangle amoureux, où les trois pointes ne seraient pourtant jamais sur le même plan.
Par ces jeux de compositions parallèles (Hamaguchi filme de manière quasi identique les rencontres simultanées d’Asako avec Baku puis Ryohei), le réalisateur figure ce qui reste au fond l’incomplétude de son héroïne, attirée irrémédiablement vers ces deux personnalités antinomiques qui, plus que l’opposition tradition de la raison et de la passion, incarnent le yin et le yang d’un être unique. Cela pourrait être artificiel et froidement théorique, mais Hamaguchi a suffisamment confiance en ses excellents comédiens (Erika Karata, Masashiro Higashide et Koji Seto) pour se permettre de les laisser mener leur propre barque.
Un fragile cocon dans lequel on se love
Il y a un vrai sentiment de liberté à voir chaque séquence cruciale marcher en équilibre sur un fil, comme si l’indécision permanente d’Asako contaminait le film dans son ensemble. C’est parfois beau comme du Hong Sang-soo contemporain, surtout lorsque le film lorgne vers une étrangeté sans jamais plonger à pieds joints dans le fantastique. Il en ressort chez le spectateur une impression de lévitation, comme si le film nous enfermait dans un fragile cocon dans lequel on se love en attendant que le résultat n’éclose.
Il y a beaucoup de délicatesse, et beaucoup de cinéma dans Asako, même si Hamaguchi ne l’expose jamais complètement. Son refus du spectaculaire, auquel il privilégie un rapport intime avec son héroïne, en fait un petit objet de cinéma, tout précieux soit-il. Pas sûr que cette approche lui vaille les faveurs de certains jurés parfois plus facilement épatés par les propositions plus amples, plus « grand cinéma ». Il n’en demeure pas moins qu’on virevolte avec plaisir aux côtés d’Asako, de son chat tout mignon, et de la petite musique intérieur qui traverse ce joli film modeste sur les passions qu’on n’arrive pas à oublier, et sur ces couples-châteaux de cartes qui peuvent s’envoler au moindre coup de vent. On ne demande parfois pas beaucoup plus que ça à un film.
Netemo Sametemo (Asako I & II) de Ryusuke Hamaguchi avec Erika Karata, Masashiro Higashide, Koji Seto…, date de sortie en salles encore inconnue