Les éternels : Après la violence

Si vous sondiez la plupart des festivaliers cannois sur leurs plus grosses attentes de ce Cannes 2018, il n’aurait pas été rare de voir assez vite surgir le nom des Eternels (Ash is the Purest White) du chinois Jia Zhangke. Cinq ans se sont déjà écoulés depuis la sortie d’A Touch of Sin et le choc que l’on connaît, couronné par le Prix du Scénario remis par le jury de Steven Spielberg. Depuis, sentiment renforcé par Mountains May Depart deux ans plus tard, tout le monde attend avec impatience chaque nouvelle œuvre du chouchou du cinéma asiatique, avec la promesse de retrouver la même fièvre ardente.

Ash is the Purest White s’avançait avec cette promesse, ne serait-ce que par son titre, probablement le plus beau de tous ceux en compétition officielle (la Palme d’Or du meilleur titre serait-elle au fond plus débile qu’un César du Public après tout ?). Mais aussi par son ambition narrative, puisque le film entend couvrir 17 ans de la vie d’un couple dans le milieu de la pègre minière, marquée par un événement traumatique qui ira jusqu’à remettre en cause les fondements des sentiments que partagent Qiao (Zhao Tao) et Bin (Liao Fan, Ours d’Argent à la Berlinale 2014 pour Black Coal).


Les Eternels ne laissera pas les habitués de Jia Zhangke en terre inconnue puisque le cinéaste y renoue avec quelques-uns de ses motifs de prédilection : la province minière de Shanxi dont il est natif, la structure narrative en trois actes, et bien sûr son actrice fétiche et épouse Zhao Tao. Tout cela contribue à cette impression rassurante d’un cinéaste en parfait contrôle de ses moyens, mais aussi à un léger sentiment de redite. Le choc qu’avait représenté en son temps A Touch of Sin s’est estompé, et laisse derrière lui l’impression d’un film certes réussi en de très nombreux points, mais peut-être un peu mineurs comparés à ceux qui l’ont élevé à son rang actuel.

Un sentiment de surprise perpétuelle

Il serait cependant hâtif de n’y voir que l’œuvre paresseuse d’un artiste bien content de rester dans sa zone de confort. Car Les éternels n’y reste jamais en tout cas. A l’aide de ruptures de ton radicales, le film se décompose comme un quasi-film à sketchs malgré la continuité des personnages et de leur développement. Le film de truands des débuts laisse assez vite sa place à une chronique amoureuse en apesanteur sur la trahison et la réconciliation, avant de se transformer en road movie ferroviaire « ré-initiatique » sous la forme d’un retour aux sources. Jamais là où on l’attend, Les Eternels tentent perpétuellement de désarçonner son spectateur, particulièrement dans son dernier acte rempli d’ellipses brutales.

Il en résulte un sentiment partagé de surprise perpétuelle doublé malheureusement de quelques longueurs et incompréhensions qui empêchent de savourer le film pleinement. Il n’en reste pas moins que Les Eternels est traversé de moments de grâce, quelques-uns notamment (ne riez pas) au son du YMCA des Village People. Toujours aussi impeccable, Zhao Tao prête parfaitement son art des micro-expressions à une variété de styles toujours surprenante, y compris dans la comédie dans le deuxième arc. Cette variété de tonalités confère au film cette tension caractéristique, renforcée par un travail de titan sur l’aspect sonore, mais aussi ce rythme si décousu sur sa deuxième moitié.


On ressort des Eternels avec l’idée que Jia Zhangke reste un créateur d’atmosphère hors pair, capable de dynamiter en une seconde une situation dans n’importe quelle direction. Véritable accélérateur de particules filmiques, le prodige chinois signe un nouveau tour de force mais perd la spontanéité sur laquelle s’est construite sa réputation. Ça n’en fait pas une déception, mais ça n’en fera peut-être pas une Palme du coup.

Les Eternels (Ash is Purest White) de Jia Zhangke, avec Zhao Tao, Fan Liao, Xiaogang Feng…, sortie en salles prévue le 26 décembre.

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