Blade of the Immortal : L’âme émoussée de Takashi Miike

Le Festival de Cannes touche à sa fin, et cela se sent. Les salles sont de plus en plus vides sur la croisette, et l’on se prend à préférer une petite ballade le long de la plage à écouter les groupes de musiques itinérants à une séance de film allemand un peu bêta. Oui, vous savez très bien de quel film je parle ; celui qui a comme message central « les nazis sont des méchants ».

Pourtant, quand le soleil tape on préfère s’enfermer dans une des nombreuses séances de rattrapage et se faire la dent sur le nouveau film de Takashi Miike, présenté en Hors Compétition. Ou la preuve par A+B que cette catégorie est vraiment le bouche-trou du festival : on y trouve absolument tout et surtout n’importe quoi. Heureusement pour nous, Thierry Frémeaux a un crush bien sévère sur le réalisateur japonais le plus prolifique de la pop culture ; le Festival, c’est un peu le seul moyen de voir ses créations dans des conditions optimales. A moins bien sûr de faire le trajet jusqu’à Tokyo, ce à quoi je répond invite-moi et on y va.

T’es prêt pour la baston ?

L’an dernier, Miike avait un film totalement pété disponible au marché du film de Cannes, adapté du manga Terraformars. Ça parle de criminels japonais qu’on envoie dans l’espace et qu’on croise avec des insectes pour en faire des mutants prêts à se tabasser avec les cafards de Mars. Si vous trouvez ça totalement stupide, c’est le moment de quitter cette critique et d’aller lire un texte de Pierre Murat pour vous laver les yeux, parce qu’on va rester sur la même lancée. Oui, Blade of the Immortal, c’est AUSSI adapté d’un manga, et ça raconte l’histoire d’un samouraï immortel tenu en vie par des vers de terre bénis par le lama sacré (tmtc) qui aide une jeune fille à se venger parce qu’elle a la même tronche que sa sœur défunte.

Si Terraformars n’a pas eu de chance niveau distribution (comprenez : personne n’a voulu acheter ce nanar gigantesque), Blade of the Immortal commence bien mieux, puisqu’il est en sélection officielle. En revanche, on ne croit pas des masses à une quelconque réussite en France au de là du festival… Parce que c’est quand même devenu bien trop niche comme cinéma. Et sans doute un peu bâclé, mais ça on y reviendra un peu plus loin, alors restez connectés.

C’est par là, la suite de l’article M’sieur Miike.

Le film commence pourtant très bien. On a du noir et blanc faussement art house, du cadrage excellent, un super décor, de la grosse baston à un contre deux cents, de l’hémoglobine à foison. Le héros se fait taillader de toute part, sa frangine crève dans d’atroces souffrances, mamie magique apparaît et décide de le rendre immortel. En gros, des vers de terre – bénis par le lama sacré, ça mérite quand même d’être répété ça – se baladent dans son corps et reforment les trucs découpés/tailladés/amputés. Jusque là, on est à fond dedans. Puis le noir et blanc s’arrête, et comme si c’était totalement voulu, avec toutes ces nouvelles couleurs arrivent trente cinq nouvelles intrigues.

Et bon, parfois c’est cool. Déjà, on dirait un défilé de la Japan Expo – ou des chercheuses de places salle Lumière sur la Croisette – tant les costumes sont fantasques, et toutes les épées semblent tout droit sorties d’un jeu vidéo type Soul Calibur. Ensuite, les chorégraphies sont super, et le héros et la jeune fille qui est le sosie de sa sœur morte sont très attachants. La baston finale, qui doit avoir un body count d’environ quatre cent soldats, mérite à elle seule le détour.

La tête des cosplayeurs après une journée à faire des selfies avec les casuals de la Japan Expo.

Maiiiiiiiiiis ça suffit pas ! Déjà parce que comme souvent, le film part subitement dans tous les sens et abandonne toute notion de rythme ou de structure. Ce qui pourrait être plaisant et rafraîchissant si c’était maîtrisé, mais ça ne l’est pas ! Du coup c’est… Pas plaisant et… Pas rafraîchissant. On passe plus de temps à se demander qui est qui et pourquoi il se bat et qu’est-ce que lui a fait et pourquoi, qu’à observer le film. Tenez, prenez le plan du méchant : le type a décidé de buter les maîtres de dojos parce qu’en temps de paix, exercer le Kendo (l’art du maniement du sabre) comme un art/sport est contraire à ses croyances. Selon lui, le kendo sert à tuer, et pi c’est tout. Et jusque là çaaaaa passe comme plan. Sauf qu’en plus de ça, sa conclusion est qu’il faut unifier tous les dojos sous un seul, créer une espèce de fédération des dojos. Et ça ne plaît pas au gouvernement, qui vient tenter de le buter. Je suis sûr qu’en vrai ça a du sens, mais là c’est juste PAS CLAIR. Et le côté totalement barré du film entre en conflit permanent avec le sérieux monumental de la mise en scène et des comédiens, ce qui encore une fois aurait pu avoir du sens mais là ne fonctionne pas vraiment.

On ne blague pas avec les samouraï immortels remplis de vers de terre bénis par le lama sacré.

En fait, Blade of the Immortal est un très bon exemple des problèmes du cinéma de Takashi Miike de ces dernières années. Le type a beau avoir eu une carrière de génie, avoir la capacité d’enchaîner les films absurdes supra-inventifs avec des comédies musicales et des films très sérieux et maîtrisés, ça fait maintenant une décennie qu’il sort au bas mot cinq films par an, la plupart adapté de mangas. Et quand je dis adapté, je suis gentil ; souvent c’est juste littéralement qu’on lui a filé des pages du manga, il s’en est servi de script et de storyboard et basta ! Je comprends même pas comment il fait ce type. Il tourne des films d’action spectaculaires à gros budgets avec la cadence d’un réalisateur porno. Merde… c’est ça en fait. Takashi Miike est devenu un réalisateur de cinéma de genre façon porno.

Pas la peine de te déshabiller, l’auteur de l’article faisait une métaphore.

Je suis probablement un peu dur avec Blade of the Immortal ; c’est quand même un bon moment à passer. C’est même super plaisant, mais j’ai le droit d’être exigent, merde ! Mais avec un peu plus d’efforts et moins de quantité en permanence, Miike pourrait faire tellement mieux. Et quand il le veut, il le fait. Alors si vous n’avez jamais l’occasion de voir ce film, rabattez-vous sur d’autres de ses productions récentes qui sont très réussies car il y en a : Thirten Assassins, Hara-kiri Death of a Samuraï, Crows Zero, Sukiyaki Western Django, et surtout The Mole Song. Si vous deviez n’en voir qu’un parmi les récents, ça serait ce dernier. Et venez me dire merci ensuite, offrez-moi un verre ou quelque chose là, j’ai soif. En attendant son adaptation à venir de des aventures bizarres de Jojo… Doigts croisés.

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