Complete Unknown : le mensonge cinématographique

Le cinéma est principalement une affaire de jeux de rôles, de faux et de mensonges que le public se raconte à lui-même, par choix, et que le réalisateur aime mettre en scène par ludisme. La manière dont ces rôles sont interprétés varie par la suite, du naturel à l’absurde en passant par sa part théâtrale. La spontanéité du comédien est généralement davantage accentuée que le reste, car il ou elle montre à quel point il peut s’effacer derrière son personnage. Plus le film sera proche de notre représentation du monde alentour et plus il sera apprécié pour ce rendu visuel qu’il nous a retranscrit. Et c’est pour ces idées qui surgissent chez le spectateur que Complete Unknown est jusqu’ici le film le plus passionnant de la compétition Deauvilienne. Dès ses premières minutes, il met en scène une Rachel Weisz multiple. Elle se plaît à changer constamment de nom et de personnalité pour finalement se jeter à l’eau et laisser le titre apparaître, comme une page blanche qu’elle serait prête à remplir. Son problème, c’est qu’elle ne peut pas la combler, car quoiqu’elle fasse elle devra faire face à son passé, en particulier un homme désormais marié, mais qui reste la dernière personne à l’avoir vu avant sa disparition.

Joshua Marston et Julian Sheppard ont beaucoup de talent

Joshua Marston et Julian Sheppard ont beaucoup de talent pour écrire, tant il est impossible de déterminer qui est cette Alice, ou Consuelo, ou Jennie. Jouant avec décontraction, elle se plaît dans le mensonge et dans sa capacité à s’insérer dans une conversation, à faire connaissance avec d’autres gens. Rachel Weisz est l’actrice, et Michael Shannon le spectateur, seule personne ayant compris la supercherie. Le malaise qui arrive par la suite est terrible, parce qu’il est au sein du récit. Au cœur de cette soirée entre amis, mais aussi en nous : une menteuse pathologique ne peut qu’entraîner le rejet automatique des autres, la confiance étant le socle de toute relation durable. L’échec qui s’ensuivra sera synonyme d’une chose : que la société est une entité dont on peut difficilement s’extraire si l’on désire la voir sous tous les angles. Dès lors, Tom tentera en la compagnie d’Alice plusieurs expériences pour comprendre en quoi il peut être aussi enivrant de jouer tous ces rôles. Un peu comme le journaliste face à l’actrice, lui demandant comment elle est rentrée dans son personnage et ce qu’il adviendra ensuite. Ce sous-texte traduit toute la complexité de l’écriture d’un scénario, qui ne tient parfois qu’à quelques menus détails, et de l’interprétation qui n’a pratiquement jamais le droit à l’erreur. C’est pourtant ce qui la rend d’autant plus prégnante, quand la faute s’insinue dans le texte et qu’il reflète une pensée qui devient soudainement plus naturelle qu’un écrit appris et joué à la virgule près.

Le film prend ce facteur en compte et considère que le cinéma n’est pas qu’une affaire de véracité. Il convient aussi d’une question de connexions et de détails qui doivent généralement faire sens, mais qui ne seront jamais acquis si la vision qu’un interprète a de lui-même est biaisée. La relation à sens unique de Complete Unknown est brillante grâce à cette idée, et s’interrompt avec le plan final qui nous présente cette femme zigzaguant entre de multiples personnalités, à la recherche perpétuelle d’un nouveau jeu. C’est une menteuse, certes, mais aussi un être humain comme un autre qui ne peut accepter l’idée que le cinéma qu’est sa vie lui attribue un seul rôle.

Complete Unknown de Joshua Marston, avec Rachel Weisz, Michael Shannon, Kathy Bates, Danny Glover. Sortie inconnue. 1 h 30.

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