Nocturama : « Il fallait que ça pète »

Après Saint Laurent, un film de commande élégant mais pas franchement enthousiasmant, l’esthète et musicien de l’image Bertrand Bonello a décidé de frapper violemment et bruyamment au sein du cinéma français : Nocturama, ou la réalisation soudaine du spectateur que oui, nous en sommes politiquement à un point où le cinéma centré sur le terrorisme est inévitable. Pire, il est nécessaire.

L’intrigue

Nocturama raconte comment une bande de jeunes (et un adulte) orchestrent un quadruple attentat visant les symboles de la République française et ceux du capitalisme globalisant. Des terroristes qui n’ont rien d’étrange, dans le sens où ils sont très familiers : ce sont, comme le disent les journalistes dans la diégèse du film, des Français. Un futur diplômé de Sciences-Po, un serveur, un agent de sécurité, des étudiants…

Si l’on oublie l’adulte interprété par Vincent Rottiers, qui reste malgré tout peu présent dans le film, nous sommes donc en présence d’un groupe hétéroclite aux milieux sociaux hétérogènes, mais tous rassemblés dans un objectif commun : une attaque terroriste. Le film est structuré en deux grands moments qui s’articulent autour de l’acte même, qui fait figure de point d’orgue. D’abord, on suit l’équipe en journée, dans les différents sites de Paris en simultané, le cul dans son fauteuil de cinéma, anxieux de voir quand/où/si ça va péter. La deuxième heure raconte leur nuit, cachés dans un des Grands Magasins du boulevard Haussman, jusqu’au dénouement, cela va de soi, tragique.

Dramatisation de l’espace-temps par le mouvement

C’est en premier lieu par le silence que se caractérise l’action ; on suit les personnages qui se croisent et se reconnaissent discrètement sans dire mot, échangeant majoritairement des MMS, plutôt que de s’écrire des messages qui pourraient être décryptés. Ce sont leurs déplacements dans l’espace et le montage, qui superpose différentes temporalités en sautant brusquement en avant ou en revenant en arrière à sa guise, qui rythment la première moitié du film.

Dans ce cadre, Bonello filme Paris avec une franchise qui n’est que très rare au cinéma ; ce n’est pas le Paris fictif qu’inventaient les studios hollywoodiens à l’époque de Capra et Lubitsch, ce n’est pas celui en forme d’îlots de la Nouvelle Vague, ou celui du romantisme de Linklater… C’est tout simplement une représentation de l’espace parisien (et de son métro) à l’identique de celle que lui connaît son habitant. Le premier plan annonce directement la couleur ; un plan aérien du centre de Paris. Rien d’original, mais il reste longtemps, jusqu’à déranger.

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« tandis qu’un autre éclat traverse le visage d’une jeune femme, lui coupant la tête en deux mais sans la tuer vraiment. » Glamorama, Breat Easton Ellis

C’est cette spatialisation qui renforce le sentiment de gêne que l’on ressent en suivant, impuissant, la mise en place de l’attentat : toute personne connaissant Paris risque d’avoir un haut le cœur parce que l’on se retrouve happé dans la géographie de la fiction. Cette fiction dérobe le réel et insiste donc d’autant plus sur la force de son actualité, sur la brutalité de son propos qu’il est impossible de détacher de notre réalité politique. Nocturama est donc bien trop familier pour ne pas mettre mal à l’aise.

Dès que le mouvement laisse place au son, c’est là où les failles des héros (si l’on peut les appeler ainsi, mais on reviendra) viennent craqueler la plastique parfaite de leur plan idéalisé quelque peu stupide. Parce que oui, excusez-moi, mais c’est tout de même assez absurde de tous se retrouver au même endroit, cachés dans un grand magasin fermé. Surtout pour qu’ensuite ils rentrent tous chez eux. Ils n’ont pas de réseau, ne peuvent parler à leurs proches, du coup eux peuvent s’inquiéter, les signaler… si le moindre d’entre eux se fait arrêter et balance le lieu de rendez-vous, ils sont fichus. Mais bref. Dès que la parole s’en mêle, l’équipe perd le contrôle… la musique qu’ils passent à fond dans le magasin toute la nuit, sous prétexte que tout est insonorisé, ce n’est pas une célébration, c’est un aveu de faiblesse, une dernière volonté. Car le souci avec les mots, et c’est ce que l’on découvre dans les dernières secondes du film, c’est que passé un certain point, ils ne peuvent plus nous sauver. Ils sont impuissants face au sifflement des balles sans consciences.

Les bombes de Tchekov

Nocturama fonctionne sur un processus d’attente double : d’abord celui de l’attentat, et ensuite celui de la chute des héros. Bonello a l’intelligence de placer son spectateur dans une situation où quoi qu’il arrive, l’instant présent ne sert qu’à installer ce qui suit, à tenter désespérément de lui donner du sens. C’est pour cela que la deuxième partie du film est la plus impressionnante, celle qui donne son nom au film (Nocturama veut dire spectacle de nuit) : chaque petit détail semble être construit pour ensuite mener à une crise, qui aboutira sur la fin tragique des terroristes. Pour le coup, on ne peut plus parler de fusil de Tchekov, cette fois ce sont des bombes que Bonello dissémine partout dans le magasin, comme lorsque l’un des jeunes décide de laisser une porte entrouverte pour permettre à un couple de SDF de rentrer dans le grand magasin et dîner comme des rois. Paye ta symbolique, le terroriste a accompli son but, renverser les codes de la société en projetant les pauvres dans le royaume des riches.

Nocturama, un film politique ?

Ce point d’interrogation n’en est pas un vrai, il est simplement là pour attirer l’oeil. Oui, car contrairement à ce que semble penser d’autres critiques éminents, il n’est pas possible de penser Nocturama autrement que comme une oeuvre politique. En revanche, ce qui fait sa force, c’est précisément qu’elle n’est pas engagée. La fiction se fait témoin d’une réalité sans porter de jugement. Alors oui, ça fait mal, mais c’est un peu le but : un constat, c’est brutal. Ça te pète à la gueule sans que tu puisses lui rétorquer quoi que ce soit. C’est exactement ce que dit le personnage d’Adèle Haenel dit au jeune personnage interprété par Finnegan Oldfield (que l’on avait déjà vu briller et parler de terrorisme, dans l’infect premier film de Thomas Bidegain Les Cowboys) lors de son escapade nocturne hors du magasin : « il fallait bien que ça pète« . Certains s’en réjouissent, d’autres disent qu’on est en guerre.

On ne sait que peu de ces personnages. Ils n’existent pour le spectateur qu’au travers de leurs actes ; celui de Hamza Meziani par exemple, est terrifiant de naïveté dans son aveuglement volontaire (la scène dans la baignoire où il parle des terrains minés montre bien qu’il n’a pas l’air d’être si sûr de lui au fond). Tous n’ont pas à expliquer les raisons de leurs actes, et Bonello se garde bien de les juger. Il permet au spectateur de se forger un jugement qui lui sera propre, et ce sans aucune honte. Il n’en fait pas des héros, il n’en fait pas des monstres. Il en fait ce que nous y voyons à l’écran ; des terroristes paumés, qui s’attaque à des symboles, et qui finissent de la pire des manière. Est-ce normal d’être horrifié par la fin du film, par le destin terrible qui attend chacun de ces enfants ? Oui. Nocturama n’a pas peur d’être complexe, de simplifier le réel. Ce dont il parle, c’est de la France d’aujourd’hui avant tout, et ce qu’il montre fait très, très mal. Et ce n’est pas un hasard.

Nocturama, Bertrand Bonello avec Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers, Hamza Meziani, Manal Issa. Sortie le 31 Aout 2016. 2h10

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