First Date : Coup de Foudre à Chicago

Oui, First Date raconte bien le premier rencard entre le 44e président des États unis et Michelle Obama. Oui, je vous assure, quelque part une équipe créative et des producteurs se sont mis d’accord et ont décidé que c’était une histoire qui méritait d’être racontée par l’art mensonger le plus efficace : le cinéma.

On pourrait tout à fait parler de First Date — Southside With You pour le titre original, une référence aux quartiers de Chicago qui pourraient perdre le petit Français moyen — comme d’une preuve ineffable de la décadence de la société moderne. Ou bien de la mort de l’esprit et de l’apogée du voyeurisme vil qui préfère à la vie vivace une fiction rêvée. On ne le fera pas ; la mauvaise foi et le pédantisme sont les armes de ceux qui ne prennent plus le temps de réfléchir.

Comme The Social Network ou The Fifth Estate, First Date rentre dans cette étrange catégorie de biopics modernes qui s’intéressent aux mythes de figures publiques importantes en explorant leurs origines privées. Ce qui n’était qu’un gag du dîner de presse en 2012 pour Steven Spielberg et Barack Obama (un petit sketch où Spielberg annonçait qu’après Lincoln, il allait tourner Obama avec Daniel-Day Lewis dans le premier rôle) est devenu réalité. Enfin, presque. Parce que ce qui fait la particularité de First Date, c’est qu’il ne se concentre que sur une seule journée de la vie du président et de sa future femme, et ce sans exagérément forcer le trait sur leur avenir. En vérité, First Date pourrait être une fiction complète sur un couple noir tentant d’exister en 1989 dans un monde blanc qui ne les accepte jamais totalement. Cela fonctionnerait tout à fait comme petit bon film sans prétention, à la Before Sunrise de Richard Linklater.

pourquoi est-ce que ce film existe ?

Il n’y a presque pas d’enjeu, ou de conflit ; Barack, stagiaire dans un cabinet d’avocats, invite sa supérieure Michelle à un meeting communautaire dans un quartier défavorisé de Chicago. Ce beau parleur qui transpire le swag (comme le vrai ! L’acteur fait une imitation remarquable) tente de transformer cette journée en rendez-vous romantique. Michelle se refuse à sortir avec son stagiaire, à cause de leur relation de travail, mais aussi pour des raisons raciales que je ne souhaite pas développer ici, mais qui sont tout bonnement fascinantes, et frappantes. Vous n’avez qu’à voir First Date.

Mais si le long métrage est vide à ce point, vous allez me demander : « pourquoi cette œuvre existe-t-elle ?  » Ou alors, si vous êtes très franc, vous allez lui demander directement : « film, pourquoi existes-tu ?« 

Et c’est là que tout apparaît plus clair, puisque cette question est exactement ce qui fait de First Date une œuvre fascinante au-delà de son contenu. Parce que oui, dans l’absolu First Date est un simple film romantique indépendant sans prétention ; seulement, l’absolu n’existe pas, nous devons donc oser et nous poser cette question brûlante pour de vrai : pourquoi est-ce que ce film existe ?

Parce qu’il y a États-Unis et Amérique, et que l’un est l’image fantasmée de l’autre. Parce que depuis sa première élection en 2008, Barack Obama est une figure emblématique de l’Amérique, il est un morceau de son mythe et sans conteste le plus important de ces cent dernières années. Ne vous agacez pas, j’ai dit pas de contestation. L’époque actuelle, qu’on le veuille ou non, mélange autant le politique, les people et les héros. Barack et Michelle sont devenus tout ça ces huits précédentes années.

First Date ne raconte pas l’Histoire

First Date ne raconte pas l’Histoire d’« une-rencontre-qui-a-mené-à-la-formation-d’un-couple-qui-a-transformé-radicalement [oui, je pèse mes mots, et oui ils sont lourds, mais arrêtez donc ce fat-shaming] le-pays-le-plus-influent-du monde ». Ce long métrage en raconte l’histoire, sans majuscule, celle qui devient le mythe. Bien sûr que le film fait l’effort d’être réaliste et de ne pas trop jouer avec les faits. Il est même surprenant lorsqu’il insiste sur deux éléments connus de la vie d’Obama, mais dont il ne parle jamais à cause de son statut de président. Barack Obama ne croit pas en Dieu et n’était pas contre fumer un petit joint quand il était plus jeune. En vérité, le seul moment qui ait été dramatisé à outrance, c’est la confrontation avec le couple blanc du cabinet d’avocats à la sortie du cinéma, après une séance de Do The Right Thing de Spike Lee ; la vraie rencontre fut apparemment bien plus plaisante.

Mais ce qui compte, ce ne sont pas les faits, ce sont les mythes. Quand Barack Obama prend la parole lors du fameux meeting, c’est le Président Obama qui évoque l’absence de soutien des projets de cette communauté, pas le jeune Barack de 27 ans. Dans cette scène, il démontre ses talents d’orateur et son idéalisme. Il révèle également un pragmatisme qui allie convictions et bons mots avec actions et solutions. C’est le point d’orgue du film, ce qui le rend similaire à Young Mr Lincoln, de John Ford. Dans ce dernier, le grand maitre du cinéma étasunien raconte une affaire fictive menée par Abraham Lincoln lorsqu’il était avocat : C’est là que le mythe s’installe.

Dans vingt ans, ce discours prononcé par un jeune comédien sur un tournage ne sera plus discernable des allocutions proférées par Barack Obama tout au long de sa carrière. L’existence d’un film comme First Date, aujourd’hui, est une évidence : pour raconter un mythe, quoi de mieux qu’un autre mythe ?

First Date, Richard Tanne avec Parker Sawyers, Tika Sumpter, Jerod Haynes. 31 août 2016. 1h24

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