Salo ou les 120 journées de Sodome

Quand Cinématraque m’a annoncé les règles de ce cycle malsain, j’ai tout de suite essayé d’y échapper. Je ne suis en effet pas un grand aficionado des films qui cherchent dans la démesure le moyen d’attirer l’attention d’un public de voyeurs (= je suis une chochotte). Heureusement, je me suis rappelé que j’avais déjà vu en entier et d’une traite Salo de Pasolini. Je ne pouvais pas passer à côté de cette occasion de partager mon expérience.

D’abord, pourquoi ai-je regardé ce film, puisque contrairement à mes éminents collègues, je n’y étais pas forcé par une lubie de mon rédacteur en chef ? Je ne suis d’ailleurs pas un adepte de Sade dont la lecture m’a toujours profondément ennuyé malgré la riche réflexion politique et littéraire qui entoure son œuvre. Sûrement à cause du nom de Pasolini, alors, un artiste qui me fascine particulièrement, et sûrement aussi parce que c’est un film qui a marqué l’histoire du cinéma, constituant encore aujourd’hui une référence pour de nombreux cinéphiles. La mort du cinéaste peu de temps avant la sortie du film a d’ailleurs fait de celui-ci, à tort peut-être, son œuvre testament.  Je me suis donc installé confortablement dans mon fauteuil et j’ai lancé le film. A nous deux, Salo !

Pasolini s’inspire librement du livre de Sade. Il ne cherche pas à cacher le sous-texte de son film en le plaçant directement dans l’Italie mussolinienne et, plus précisément, la république de Salo. Le film parle en effet du pouvoir absolu et de ce qu’en font les hommes, notamment ceux qui détiennent le pouvoir social (le Curé, le Juge font partie des bourreaux).

Et bien, ils n’en font pas de jolies jolies choses.

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Après l’introduction, le film se découpe en trois parties, trois cercles pour reprendre la citation de Dante faite par Pasolini. Un cercle des passions (centré sur les viols), un cercle de la merde et un cercle du sang. D’ailleurs, regarder ce film est aussi l’occasion de mieux se connaître. Il suffit d’analyser laquelle de ces parties vous choque le plus. Quand est-ce que votre corps commence à réagir aux images que votre cerveau encaisse ? Malheureusement pour moi, alors que j’aurais préféré être révolté par les viols ou les massacres, c’est le caca qui est difficilement passé. C’est en voyant tous ces jeunes gens s’alimenter de leur propres excréments, que mon estomac, peut-être inquiet à la perspective d’un tel repas, a commencé à communiquer avec moi. « Allez, arrête de regarder ça, je vais pas tenir longtemps tu sais, le muffin que tu as pris en dessert n’est pas très à l’aise. » Bref, tout ça pour dire que pour la première fois de ma vie j’ai vraiment été à deux doigts de vomir devant un film. Et l’image de cette fille souriant avec des bouts de fèces collés à ses dents continue à me hanter et à me révulser alors que j’écris ces lignes.

Quelles techniques utiliser devant Salo ? On peut évidemment fermer les yeux mais alors à quoi bon le regarder ? On peut faire des pauses et le regarder en plusieurs fois, mais n’est-ce pas étirer la souffrance ? Cette expérience doit se vivre en un bloc, il faut se sentir piégés comme ces innocents absolument soumis. Reste alors la technique qu’on utilisait enfant devant les films effrayants. « C’est pas vrai, c’est du cinéma, il n’a pas vraiment eu les yeux arrachés, ses tétons vont très bien, ils sont vraiment bien fait ces faux étrons ! » Mais au final, on se laisse avoir. Le cinéma est quand même diabolique et l’horreur nous frappe pleinement.

Que retirer de ce film ? D’abord, contrairement à la plupart des films de ce cycle, Salo reste une œuvre de cinéma majeure et intelligente. Par cette provocation poussée à l’extrême, Pasolini nous confronte au pouvoir absolu. A ce que représente la soumission totale à un ordre parfaitement réglementé. Si le fascisme est au cœur de la critique, c’est de manière plus générale (et plus contemporaine ?) l’écrasement des hommes par des systèmes parfaitement huilés qui est mis en valeur. En décomposant son film en trois parties : le sperme, le sang, la merde, Pasolini décompose l’homme et le réduit à ce qu’il a de plus organique. Il le rend profondément vulnérable, nu face à ses bourreaux, déguisés de manière ridicule lors de leurs cérémonies, maîtres du jeu et des rituels.

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La critique que fait Pasolini de notre société est sans concession, du consumérisme (les personnages mangent leurs propres défections dans un cycle sans finalité) au voyeurisme (les tortures sont observées de loin avec des jumelles, ce qui interroge évidemment la place du spectateur). Seul moment de résistance, et donc d’espoir dans ce sombre tableau : l’un des prisonniers fait l’amour à une servante. Il est évidemment fortement sanctionné par les bourreaux qui ne peuvent supporter cet acte de sexe désiré et donc source de plaisir. Ces maîtres qui ont besoin des pires excès, et même d’histoires racontées par des prostituées, pour ressentir un début d’excitation, ne peuvent pas admettre que d’autres trouvent facilement le plaisir dans un acte qui n’implique ni souffrance, ni domination.

On ne regrette donc pas d’avoir vu Salo. C’est effectivement une œuvre forte et politique. On peut  toutefois être en désaccord avec son message. On lui a ainsi reproché une mauvaise appréhension du fascisme, qui ne trouve pas son origine dans les fantasmes de domination sadien. Mais la réflexion intellectuelle que suscite le film prouve qu’il n’est pas une simple provocation gratuite. Alors allez-y, regardez Salo, ce ne sera peut-être pas le film le plus agréable que vous verrez cette année (sauf pour toi, espèce de détraqué !), mais vous n’aurez pas non plus l’impression d’avoir perdu votre temps. Et je vous promets que vous vous en souviendrez longtemps (notamment quand on vous servira de la mousse au chocolat).

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1 thought on “Salo ou les 120 journées de Sodome

  1. Je lis beaucoup d’analyses et de billets sur ce film (lecture très intéressante, au passage, c’est cool d’avoir atterri ici) mais pour l’instant, je reste la chochotte qui n’ose pas appuyer sur « lecture » (je suis faible, j’aime bien rêver de licornes et de papillons sur un arc en ciel de lumière, lalala #bisounours). J’ai peur de jamais arriver à m’en remettre.

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