Quand on considère que le jumpscare est l’effet cinématographique le plus insupportable que le cinéma ait enfanté, la période d’Halloween s’apparente souvent à un long chemin de croix cinématographique.

On m’a dit que le pire truc, c’était mater un film d’horreur cracra ou encore faire la critique du prochain Vin Diesel, alors que ma définition ultime de l’horreur au cinéma, c’est Natalie Portman qui se pèle la peau des doigts dans Black Swan.

On m’a donc demandé de regarder Saw III. Alors j’ai regardé Saw III. Deux fois. Moins par conscience professionnelle que pour juste faire cette vanne de merde, que j’ai choisi d’évacuer tout de suite sous la forme d’une équation.

Montage de merde

Saw III, réalisé par Dennis Lee Bowman, est principalement connu pour être l’un des seuls opus de la franchise à ne pas instantanément offrir un jeu de mots pété aux amateurs de calembours, mais aussi pour faire partie de la dizaine de films non pornographiques (films de Gaspar Noé non inclus) interdits aux moins de 18 ans depuis le rétablissement de cette classification en 2000. Et possiblement le seul (si l’on met de côté le pataquès de l’interdiction aux mineurs de Saw 3D) qui ne montre pas une seule bite à l’air. Une décision que l’on doit au ministre de la culture de l’époque (ne vous inquiétez pas, je vais vous donner son nom juste après), Renaud Donnedieu de Vabres, en raison de « la violence et [du] sadisme incessant et insoutenable de scènes s’apparentant explicitement à des tortures physiques et morales ».

 

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Reste à savoir si tout ce charivari se justifie et si le film de David Long Bismarck mérite sa réputation. Replaçons rapidement le contexte. Saw III commence quelques minutes après la fin de Saw II. Jigsaw est toujours à l’article de la mort et va s’amuser à jouer les Dr House de la trépanation avec plein de gens dont on sait qu’ils vont tous crever, en compagnie de sa nouvelle apprentie, qui n’est autre qu’Amanda Young, la seule survivante connue de ses pièges, incarnée par Shawnee Smith. Une actrice dont le seul vrai souvenir que j’ai remonte à son horrible prestation dans la toute aussi horrible sitcom Anger Management, avec le Charlie Sheen de la période Tiger Blood. Probablement plus insoutenable que n’importe quel épisode de la saga Saw.

Un exemple particulièrement révélateur des problématiques de mise en scène de Saw III réside dans l’une de ses premières séquences, celle de l’homme enchaîné qui doit se libérer des anneaux qui lui rentrent dans la peau pour désamorcer le détonateur d’une bombe. En soi, le puzzle est flippant, bourré de symbolisme et avec un sens du timing efficace à défaut d’être révolutionnaire. Le problème, c’est que la mise en scène épileptique de Donald Lev Brockman fout un peu tout ça en l’air. Une demi-seconde par plan, un zoom par-ci, un zoom par-là, et rien n’est fait pour placer le spectateur dans une position qui pourrait lui permettre de se figurer la souffrance du pauvre ladre.

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Bon OK, lui, c’est vrai qu’il morfle. En même temps fallait pas les emmerder avec un Stormtrooper noir, aussi…Ce ne sont que des clignements d’yeux, des aperçus quasi subliminaux, juste assez longs pour que l’on comprenne que tel pieu ou tel morceau de métal est enfoncé dans tel organe, mais pas assez pour qu’ils nous donnent à faire ressentir la souffrance. À celle-ci se substitue un montage cut qui transforme le toux en bouillie gore, une succession de zooms sur un tableau désincarné. Certes, c’est craspec, ça grouille, ça gueule, ça chiale, mais difficile de se retrouver véritablement terrifié devant cet Intervilles du gore qui appelle plus à rire qu’à réveiller nos bas instincts de survie. Et le fait est que la surenchère graphique de Saw III n’est avant tout conçue que pour alimenter son interminable petit manège des horreurs. Y compris lorsque le film essaie de s’aventurer ailleurs.Tous les pièges ne sont pas du même acabit (la nana qui se fait ouvrir la cage thoracique, le bukkake de Mister Freeze, voire celui de la clé et du fusil), mais l’idée est là. Demeurent au final quelques dilemmes intéressants autour de l’histoire du père, forcé de faire le deuil accéléré de son enfant. Dilemmes qui se heurtent néanmoins rapidement à l’impératif d’hémoglobine du film, qui reprend le dessus constamment par la suprématie intellectuelle de Jigsaw : peu importent les choix, peu importe ce qui fait le cœur des énigmes (la vengeance ou le pardon), tout finit obligatoirement par une mort décidée par quelqu’un d’autre. La tension psychologique, elle, passe complètement à la trappe.

Le discours sous-jacent de l’intrigue secondaire du film se rate en quelque sorte et nous offre au final un film au propos flou et au scénario trop emberlificoté pour son propre bien. Paradoxalement trop long (deux heures de twists et de subplots plus ou moins survolées), Saw III ne prend pas toujours le temps de creuser ses passages les plus intéressants, au détriment d’autres qui étirent et essoufflent le rythme de l’ensemble (on est obligés de s’infliger un quart d’heure de Surgeon Simulator ?). Obnubilé par son propre dispositif, Saw III essaie tant bien que mal de colmater le reste, mais entre les subplots qui se multiplient, les twists écrits au hachoir à viande et les acteurs parfois approximatifs (Shawnee Smith sérieusement…), on n’arrive même pas péniblement au gentil exploseur de trouillomètre pour recracher votre soupe au potiron.

D’ailleurs, vous savez comment je peux vous dire que vous en avez rien à foutre de la mise en scène dans Saw III ? Depuis le début de l’article, je n’arrête pas d’écorcher le nom du réal du film et vous êtes toujours pas foutus (à moins que vous soyiez déjà en train de me traiter d’abruti dans les commentaires) que le vrai réal de Saw III c’est Damian Lee Beldman (il a réalisé trois Saw quand même, vous pourriez faire un effort!).

Bande de noobs.

Au final, ce premier contact avec les hectolitres de sang, les tonnes d’acier et les kilowatts de néons de Saw confirme une chose : saucissonnez autant que vous voulez vos proies avant de les torturer, rien ne retournera autant les tripes que Natalie Portman qui se pèle la peau des doigts jusqu’au sang.

Ou que le coup de massue de Kathy Bates dans Misery si vous êtes moins dans la subtilité.

Darren Aronofsky, t’es vraiment qu’un putain de sadique.

P. S. : Le réal de Saw III c’est Darren Lynn Bousman. Soyez attentifs un peu.

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