Big Eyes : Histoire d’une signature

Question à douze points : Tim Burton a-t-il vraiment perdu son génie ? Son génie, je ne sais pas, mais ses qualités de cinéaste restent évidentes, si l’on ouvre grand les yeux.

Cela fait longtemps que Tim Burton, enfant prodige d’Hollywood, maître avéré du blockbuster auteuriste entre la fin des années 1980 (Beetlejuice, Batman) et le début des années 2000 (Sleepy Hollow) ne bénéficie plus de l’intérêt de la critique. Là où les fans inflexibles pardonnent volontiers les fautes de goût de ses productions récentes (Charlie et la chocolaterie, Sweeney Todd, Dark Shadows…). Cette dévaluation critique reste assez curieuse, aux yeux d’un spectateur qui comme moi n’a jamais regardé ce cinéma de pur divertissement au-delà de son potentiel de distraction. Le capital attractif d’Edward aux mains d’argent ou Batman le défi ne me semblant pas supérieur à celui de son dernier film, j’avoue ici sans mal avoir manqué un épisode de l’affaire Burton.

Qu’est-ce qui rend précisément Big Eyes, retranscription de l’histoire vraie de la peintre Margaret Keane (Amy Adams), spoliée de son œuvre au début des années 1960 par son mari Walter (Christoph Waltz, en roue libre mais très drôle), moins intéressant qu’Ed Wood, au scénario signé par les mêmes Scott Alexander et Larry Karaszewski ? L’ex fan éclairé de Burton dira sans doute « tout », l’inspiration, la croyance dans ce qu’il raconte, « l’univers », j’en passe. Pas fan, volontiers obscurantiste, je répondrais pour ma part que je ne sais pas. Que Big Eyes est avant tout, à mes yeux, un film tirant bénéfice du plaisir encore palpable de Burton à faire son cinéma, au sens le plus artisanal : dynamisme du montage, composition précise des plans, déploiement total d’un imaginaire dans un cadre pourtant plus réaliste.

Un cinéaste démissionnaire ne saurait pas, comme ici Burton, accorder le temps qu’il faut au jeu de séduction de Walter conduisant Margaret, fraîchement échappée avec sa fille Jane d’un triste mariage, à remettre le couvert sans trop réfléchir. Car, comme Kim il y a vingt-cinq ans, comme Alice il y a cinq ans, Margaret est une parfaite projection burtonienne de la candeur, dont la rencontre avec l’amour et/ou le danger décuple au fil des scènes le potentiel combatif. Naissance de belles héroïnes auxquelles le récit, dans son déploiement, offre à chaque fois tout l’espace nécessaire. Margaret s’engouffre dans la vision dévorante d’un pur mythomane dont l’appropriation de son talent (on peut bien sûr ne pas goûter le style de ses tableaux, là n’est pas le sujet je crois) à des fins purement industrielles (les copies, les affiches inspirées de ses toiles se vendent finalement plus que les tableaux eux-mêmes, conduisant à une fascinante duplication du motif « grands yeux ») porte atteinte à sa condition de femme.

Mais cette atteinte, donc la fin du conte de fée, éveille chez elle, dans le dernier acte, une réactivité bienvenue, même si sa nouvelle situation à Honolulu, entourée de sympathiques témoins de Jéhovah, n’est pas significative d’une vie meilleure. Tout étant affaire de signature, c’est sur la place publique, au tribunal que les ex alliés sont finalement amenés à mener bataille. Que dire sinon que la fable de cette prise de conscience par Margaret de la mythomanie de son mari, aboutissant à la réappropriation finale de sa signature, au vu et au su de tous, n’a rien à envier aux premiers Burton en terme de « réalisation ». On baigne dans ce film au sujet certes plus sombre qu’il n’y paraît avec un ravissement d’enfant, une envie de croire encore, sans la moindre honte, en la bonne santé d’un cinéma n’ayant foi que dans le plein épanouissement de son spectacle.

Big Eyes, Tim Burton, avec Amy Adams, Christoph Waltz, Danny Huston, Etats-Unis, 1h47.

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