Il y a quelques mois, avec P’tit Quinquin, Bruno Dumont transposait les codes des séries policières américaines dans les paysages blafards du Pas-de-Calais. Le duo de flics, la série de meurtre et les scènes de crimes scabreuses faisaient irruption dans les environs de Boulogne-sur-Mer, entre bunkers et terres agricoles. Dans cette réappropriation d’un cahier des charges ultra-balisé, le réalisateur de L’Humanité se permettait plusieurs libertés et pas de côté. Par exemple, en refusant de boucler chaque épisode sur un cliffhanger ou en lâchant la bride à un humour absurde contrastant avec la noirceur du propos. Il imposait ainsi une certaine idée de l’exception culturelle française, refusant de se soumettre complètement aux règles de l’efficacité de l’entertainment à l’américaine. Le spectaculaire ne reposait pas sur un effet de manche ou sur un twist imparable, mais se manifestait grâce aux multiples éléments incongrus, parsemés d’un épisode à l’autre, capables de survenir à tout moment, sans logique particulière. La frustration du spectateur (du moins sa capacité à anticiper la suite des événements) cheminait de pair avec son plaisir d’être surpris sans cesse.
C’est la même démarche qui est à l’oeuvre dans Vincent n’a pas d’écailles. Nulle trace de Ch’tiderman dans le premier long métrage de Thomas Salvador. Le Vincent qu’annonce le titre est un ouvrier disposant d’un super-pouvoir au contact de l’eau, une simple douche suffisant à décupler sa force. Le décalque des archétypes et passages obligés des scénarios des franchises Marvel ou DC Comics est quasi parfait, à cela près que le choix de la tenue caractéristique du (super)héros ou son rapport contrarié aux forces de l’ordre, entre autres moments-clés, atterrissent en pleine Provence. C’est-à-dire avec de petits pavillons à la place des gratte-ciel, les ruelles endormies d’une petite ville au lieu des rues mal famées d’une mégalopole et les soirées barbecue en tongs comme alternative aux cocktails mondains guindés. Le décalage (l’emploi du mot est ici pertinent) est total et donne tout son intérêt à ce film, qui porte sa modestie en étendard.
Boiteux et maladroit, mais charmant
Vincent n’a pas d’écailles est l’antithèse d’un blockbuster. Un budget restreint, des effets spéciaux artisanaux (tout juste a-t-il fallu recourir à la palette graphique pour effacer les grosses ficelles nécessaires aux cascades) et une interprétation sans grandiloquence. La simplicité de l’approche fait la force du film mais, effet boomerang, en matérialise les limites. La minceur du fil narratif et la pauvreté des enjeux laissent envisager que Thomas Salavador a péché par excès de confiance quant au potentiel d’émerveillement que son projet pouvait susciter. Les scènes d’exposition, redondantes et traînant en longueur, lancent le film sur un faux rythme dont il ne parviendra jamais complètement à se défaire, si ce n’est lors des morceaux de bravoure où se mêlent humour et action.
Vincent n’a pas d’écailles est certes boiteux, mais cette maladresse contribue à son charme. Il a la volonté de toujours tâcher de ramener un personnage extraordinaire à un statut d’homme ordinaire, d’essayer de ménager une place à l’incroyable dans le domaine du rationnel. Là où P’tit Quinquin lorgnait vers la noirceur du thriller américain avant de s’en détacher pour laisser apparaître un désenchantement et un fatalisme pessimiste « tellement français », Vincent… en appelle à la mythologie des super-héros pour mieux la déshabiller de ses atours les plus imposants et instiller la magie restante dans une France monotone, à émerveiller d’urgence. Un tour de force tranquille.