L’Image Manquante, de Rithy Panh – Un Certain Regard

S21, La Machine de Mort Khmère Rouge était, pour Rithy Panh, un moyen de confronter la mémoire des victimes avec celle des bourreaux. Duch, le maître des forges de l’enfer se concentrait lui sur la parole du tortionnaire, laisser le bourreau raconter son histoire. Aujourd’hui l’image documentaire sert au cinéaste à raconter sa propre histoire, poussant l’utilisation du cinéma jusqu’à la psychanalyse.

Comment a-t-il pu vivre après avoir survécu ? Un questionnement qui est commun à tout survivant d’une tragédie. Voilà l’origine de son nouveau documentaire, l’Image Manquante. La réponse viendra au milieu du documentaire : « il n’y a pas de vérité, pas de révolution, que du cinéma ». Il lui est impossible de mettre en image le génocide khmer, tout comme l’idéal révolutionnaire par sa pureté conduit inévitablement par des massacres. Seul le cinéma peut aider à vivre, à changer le monde. L’Image Manquante est l’histoire d’une mémoire d’un peuple qui se reconstitue grâce notamment au pouvoir du cinéma. C’est parce qu’il croit à la puissance de celui-ci, qu’il a mis en place au Cambodge une école de cinéma et qu’avec la participation non négligeable de Davy Chou, il tente de faire revivre le cinéma khmer. Loin de vouloir rebondir sur le travail de ce dernier, Rithy Panh, ne cherche pas la mémoire du cinéma khmer mais utilise les outils du cinéma pour réfléchir sur sa condition, sur les victimes et sur les persécutions d’hier mais aussi d’aujourd’hui. Il cherche dans sa mémoire ces images qu’il ne veut plus voir et tente de les reconstruire à travers l’impureté des images d’archive et en utilisant de façon surprenante des poupées.

L’aspect naïf de ces petites sculptures de terre, amène le documentaire dans le champ de l’animation dont la puissance réside sur plusieurs points. Marionnettes, elles n’en restent pas moins immobiles, éloignant de fait le documentaire de l’animation. A peine esquissés, les visages et les corps deviennent anonymes, et permettent de transformer en terme cinématographique la volonté des Khmers rouges de détruire l’identité des individus. Figés, nulle vie ne semble sortir de ces objets de terre. Leur histoire est racontée en voix off, de façon monocorde. L’idée est aussi naïve que géniale et en devient belle : fabriquées avec soin, mais de façon sommaire, ces figurines donnent à voir une société qui s’est construite sur la déshumanisation des individus. Le film se termine par ce que les Khmers appelaient une autocritique, où l’on voit la figurine représentant Rithy Panh se faire psychanalyser par la photographie de Sigmund Freud. Le narrateur empruntant une question anonyme demande à Rithy Panh, mais pourquoi parler des Khmers rouges aujourd’hui alors que l’idéologie dominante, le capitalisme, se radicalise et tout comme le faisait le communisme exploite les damnés de la terre ? L’idéologie capitaliste radicale, appelée également néolibéralisme elle aussi pousse à l’uniformisation et à la négation des individus. Le réalisateur cambodgien n’a pas de réponse, il sait seulement que les démunis sont toujours prêts à suivre les idéaux théorisés par les puissants. Le cinéma est un moyen de lutter, en faisant réfléchir les spectateurs, contre ce constat fataliste.

L’Image Manquante, de Rithy Panh, Cambodge, 1h30.

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2 thoughts on “L’Image Manquante, de Rithy Panh – Un Certain Regard

  1. Bonjour Gael,
    Il me semble que l’on pourrait avancer l’idée que l’utilisation des figurines d’argile ne se limite pas à traduire la déshumanisation de l’ordre disciplinaire du régime de Pol Pot mais s’apparente à un choix de mis en scène qui viserait à exorciser, en amont, toute tentation pour l’image de s’équivaloir à l’horreur des victimes et à la barbarie des bourreaux. Autrement dit, j’aurais tendance à penser que les figurines d’argile sont comme l’expression d’un refus, le rejet de la dimension analogique de l’image qui viserait à refaire vivre l’horreur, ce qui serait impossible et indigne des victimes. Ces marionnettes m’apparaissent ainsi comme la manifestation d’une exigence cinématographique qui revient à inventer un dispositif qui aura la force, non pas de reproduire l’image manquante, mais d’inventer cette image, de faire sentir au présent cette tragédie, d’emporter le spectateur en le contraignant à faire l’effort, devant ces figurines, de produire une image mentale lui interdisant à la fois de rester indifférent mais aussi de prétendre avoir compris ce qui s’est passé, ce qui aurait pu être le cas face à des images d’archives ordinaires.

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