Comment aborder l’oeuvre récente de Brian De Palma, et tout particulièrement Passion, si ouvertement déconcertant ? Après une première critique dans nos colonnes la semaine passée, nous revenons aujourd’hui, en deux temps, sur la question. Le « cas De Palma » (1), par Marie-Juliette.
Le dernier opus de Brian De Palma mérite sans doute une multitude d’analyses. Passion est présenté comme un thriller sulfureux, une hallucination sexuée et froide, menée par un maître du genre. Maître du collage, pilleur inspiré, Brian de Palma paraît ne plus faire de différence entre les nombreuses auto-citations et les emprunts qui émaillent le film. Aberrations narratives, esthétique de clip vidéo, vulgarité des sentiments, personnages sans épaisseurs : à ce point là, c’est un tour de force.
Lorsque le film s’achève, il est possible d’en rire, avec sincérité, tant l’étirement des dernières scènes et la superposition des précédentes confinent à la parodie.
La mise en scène est absolument vidée de toute intrigue, de toute émotion, caressée d’une ambiguïté forcée qui ne passe jamais la surface. Cela a quelque chose de fascinant. Trois femmes se tournent autour dans une multinationale dont on ne saisit pas tout à fait l’activité. Elles s’agitent dans le service marketing, publicité ou communication. Prise de pouvoir, abus de confiance, amour soumis puis tyrannique : les liens semblent tous construits sur le même modèle. De Palma ressasse ses fantasmes théâtraux et ses réflexes ego-maniaques, et c’est dans ce creuset là que se situe la folie du film, qui par ailleurs échoue à créer le trouble.
Au milieu des logos Macintosh, des défilés de mode chaussures et des voitures de luxe, des affiches pour une version du Prélude à l’après-midi d’un faune occupent l’image dès lors que les personnages circulent dans la ville (Laquelle ? Difficile à dire, une City quelconque, perdue en Allemagne, peut-être). Que dire de ces images-signes en quelques mots ? De Palma choisit cette chorégraphie écrite par un danseur virtuose, artiste fou et inspiré, Nijinski. Rencontre entre deux maniaques, parfaitement convaincus de leur génie créatif.
Pour ceux qui auraient échappé à l’une ou l’autre des reprises de cette danse de rupture avec les codes du ballet académique : interprète principal de ce drame en un acte, Nijinski met en avant l’animalité du faune grâce à une sensualité étrange, toute en angles, profils et déplacements latéraux. Un premier point de contact : cette façon de styliser l’ensauvagement.
L’argument du ballet est une scène qui précéderait l’Après-midi d’un faune de Mallarmé. Attiré par les nymphes, le faune danse un pas de deux avec la Grande Nymphe, qui finit par l’abandonner en lui laissant une longue écharpe. Cette écharpe insignifiante – dont il serait intéressant de mesurer le temps de présence à l’écran ou dans les conversations des protagonistes, sans parler de la recherche interminable à l’arrière d’un tiroir, matérialisation du subconscient dans un meuble ikéa – que De Palma fait offrir à l’une des nymphes par l’autre, et qui permet à la troisième de découvrir la mise en scène destinée à faire enfermer le faune.
Dans le ballet, le faune se saisit de l’écharpe que trois nymphes tentent de lui reprendre, tandis que trois autres se moquent de lui. Trois nymphes : la brune et sublime Noomi Rapace – la blonde Rachel Mac Adams – la rousse Karoline Herfuth. Cela fait donc de Paul Anderson un faune perpétuellement saoul et exceptionnellement inconsistant. L’argument du ballet devient alors la trame du film, à l’exception près que notre faune ira dormir en prison plutôt que de s’allonger sensuellement sur l’écharpe de la Grande Nymphe. Évacuant du même coup l’ambiguïté sexuelle et la force du ballet.
Cette référence est inévitable : un split-screen interminable occupe le deuxième tiers du film. A gauche, une version du pas de deux du faune et de la Grande Nymphe avec une danseuse tout en visage et un danseur de cire, à la barbe de deux jours maquillée, qui regarde fixement la caméra. La musique de Debussy – que Nijinski avait d’abord refusée comme trop douce et sans aspérités – lancinante, irritante et hypnotique accompagne la partie droite de l’écran. On y voit le faune saoul et, déception infinie du film, la scène de meurtre sans un frisson. Et, encore, l’écharpe.
Passion est donc une version affadie du Prélude à l’après-midi d’un faune, coincée dans une esthétique proche de Nip/Tuck. Malgré le vertige créé par les réflexions innombrables d’un écran à l’autre, l’utilisation de photographies et de vidéos volées, de caméra de surveillance, de communications instantanées comme le ressassement d’une même scène jusqu’à en tirer tout le suc ; la forme semble sèche, sans densité. Catastrophe ? Difficile à dire, tant le visionnage de ce film impeccablement raté est jubilatoire.
Et si, dans sa folie mégalomaniaque, De Palma donnait à voir l’essentiel : la profusion d’images dissimule trop mal le vide que l’on veut leur faire remplir ?
Bonjour, merci pour votre article contenant de nombreuses choses intéressantes, mais il me semble que vous êtes passé à côté du principal…. Il n’est certainement pas raté dans le sens ou de palma va plus loin que l’histoire et comme à son habitude depuis obsession, joue avec la nature des images et interroge sur leur véracité. Je ne développerais pas beaucoup plus car il faudrait tout un article pour cela, mais pensez aux nombreuses références à psychose, indiquant justement qu’il y en a une, et que ce que l’on voit n’est pas vrai. Pensez à la toute fin, à toute le mise en scène qui ne fait qu’aller d une supercherie à une autre en nous faisant croire, sans jamais montrer la vérité, dans palma c’est à nous d’aller la chercher, la trame (aussi vielle que frits Lang et reprise sous peu par corneau) n’est pas ce qui l’intéresse, il joue avec le fait qu’il nous montre ce qui apparaît la même version que les autres films mais à la fin, analyse avec soin, il en est très loin.
Je ne connaissais rien de l’après midi d’un faune, merci de m’avoir fait découvrir et comprendre cette facette du film !
Très bon papier. Bravo !
J’ai envie d’aller voir le film ne serait-ce que pour apprécier à sa juste valeur la qualité d’une critique pareille… Chapeau !