« Royal Affair », une leçon d’histoire

Quel est le lien entre la petite histoire subjective et personnelle des individus, pris dans leur singularité, et la Grande Histoire ?

Les étapes marquantes qui fondent les nations et font trembler les États, l’Histoire comme machine à fabriquer les Révolutions, les Guerres et les massacres, est-elle dissociable de celle des hommes qui en furent les acteurs ?

A en croire Hegel, l’Histoire se sert des hommes passionnés pour révéler l’Esprit d’un peuple ; si bien que même Jules César et Napoléon ne furent que les marionnettes d’un destin qui les transcendait.

« Leur être a été leur action, leur passion a déterminé toute leur nature, tout leur caractère. Leur but atteint, ils sont tombés comme des douilles vides. Ils ont eu peut-être du mal à aller jusqu’au bout de leur chemin ; et à l’instant où ils y sont arrivés, ils sont morts — jeunes comme Alexandre, assassinés comme César, déportés comme Napoléon. »*

Dans le scénario de Royal Affair, l’intrigue amoureuse ne l’emporte pas sur le destin du Danemark qui, à l’aube de la Révolution Française, secoua de près ou de loin toute l’Europe. Les deux sont intimement liés, nous renvoyant à l’éternelle question : que serait-il advenu de ce peuple, quelle aurait été la destinée politique de cette époque, si la Reine exilée de son Angleterre natale n’avait pas épousé le Roi fou de Copenhague ?

« L’homme qui produit quelque chose de valable, y met toute son énergie. Il n’est pas assez sobre pour vouloir ceci ou cela ; il ne se disperse pas dans une multitude d’objectifs, mais il est entièrement voué à la fin qui est sa véritable grande fin.

Pour que l’homme produise quelque chose de valable, il lui faut la passion. C’est pourquoi la passion n’a rien d’immoral.«  *

Je n’ai jamais aussi bien compris ces lignes un peu mystérieuses que dans ce film grandiose, qui fait de l’apparition d’un modeste médecin au service de la Cour le moyen d’un tournant capital de l’histoire d’un peuple. Décors, costumes et musique, tout illustre la grandeur d’un individu, aussi subjectif soit-il, quand sa passion lui donne la dimension du rôle qu’il endosse subitement, comme par magie.

Et sa propre histoire  de l’abandonner à la misère de sa condition, dès que sa mission s’achève.

Une certaine lenteur du scénario, l’intensité presque surfaite des regards échangés et la résonance exagérée des pas dans les couloirs du palais, siéent en définitive parfaitement à l’intrigue amoureuse qui se conjugue, en cette période  trouble du Danemark, à un moment fort de son Histoire.

Le temps joue contre ceux qui rêvent d’éternité, le destin finit par emporter les sentiments les plus fous et ne laisse place qu’au courage d’affronter les conséquences d’un monde que la passion a changé.

« Mais il est absurde de croire qu’on puisse entreprendre quoi que ce soit sans chercher la satisfaction. La subjectivité en tant que pure particularité qui ne se pose que des buts finis et individuels, doit au final se soumettre à l’universel »… * HEGEL.

Royal Affair de Nikolaj Arcel, avec Mads Mikkelsen, Alicia Vikander, Mikkel Boe Folsgaard, Danemark, 2h16.

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