Stars 80, Les Seigneurs, Astérix : c’est un fait, la comédie française va mal.
Cinématraque a donc voulu pointer quelques-uns des rares derniers faiseurs de films français vraiment drôles. Après le cinéma d’Eric et Ramzy et Le Grand Détournement, retour, pour finir, sur l’un des plus beaux films de Pierre Salvadori, porté par un trio de comédiens étincelants – Daniel Auteuil, José Garcia et Sandrine Kiberlain.
Dans le contexte étriqué de la comédie française, la carrière de Salvadori, par la grâce d’une poignée de films (Cible émouvante, Les Apprentis, Comme elle respire), aura longtemps tenu du miracle isolé. Avec Après vous (2003), l’auteur touchait à la perfection de son art (quiproquos et mystifications sentimentales). S’il a depuis creusé les mêmes motifs dans Hors de prix et De Vrais mensonges (jusqu’à frôler la mécanique pure, et manquer parfois d’incarnation), c’est sans renouer, sans doute, avec une telle inspiration.
Dix raisons, donc, de revoir l’une des seules très bonnes comédies françaises de la décennie écoulée.
1/ Tout est dans le titre : Après vous, c’est à la fois, littéralement, l’invitation à passer après l’autre (Auteuil tombe amoureux de l’ex de Garcia) et, dans l’esprit de la formule de politesse, toute la distinction du film exprimée en une formule. Salvadori trouve, dans le cadre d’une grande brasserie parisienne – le cérémonial de son service, ses grands crus et mets choisis – un écrin idéal à ses marivaudages. Un plaisir perceptible dans ces quelques plans purement illustratifs (à peu près les seuls du film, la mise en scène procédant par ailleurs d’une fonctionnalité sans failles) que l’auteur consacre au contenu des assiettes.
2/ Pour l’érotisme discret dont Kiberlain est l’objet – introduction de son personnage en ombre chinoise, évocations précises et enamourées de celle-ci par Garcia (son décolleté, sa coiffure, les délicieuses plaques rouges paraissant sur sa gorge lorsqu’elle est troublée), l’escalade de la façade pour observer, à la dérobade, l’être aimé.
3/ Pour l’articulation idéale de sa dramaturgie en termes d’espaces, entre ce qui se joue à l’avant et à l’arrière – dans la voiture d’Auteuil, la grand-mère de Garcia, ignorant que celui-ci se trouve à l’arrière, se livre à une confession compromettante -, au sous-sol et au rez-de-chaussée – la cave de la brasserie, où l’on picole en douce et soigne ses entrées, et le rez-de-chaussée, où se joue le théâtre des sentiments, parmi les tables et dans la valse des commandes.
4/ Après vous – comme d’ailleurs Les Apprentis, l’autre grande réussite de Salvadori – ne fait pas l’économie d’un fond d’angoisse. Les réparties de Garcia (Marilyne Canto, à table : « Vous le trouvez comment, le poulet ? » – Garcia : « Mort ».) renvoient aux mots croisés morbides conçus par François Cluzet dans Les Apprentis (« Il vous interdit l’accès au paradis mais vous fait quitter l’enfer », en sept lettres : « suicide ») ; l’angoisse du premier, craignant que les objets ne lui tombent dessus (« comme un vertige, mais à l’envers », explique-t-il à Auteuil), rappelle l’égarement du second, personnage vivant également dans le souvenir idéalisé d’un amour. Dans un cas comme dans l’autre, la dépression n’est jamais très loin, et c’est d’autant plus drôle que le tragique affleure.
5/ Pour Daniel Auteuil serrant un homard contre sa poitrine.
6/ Pour ses dialogues brillants (« Je suis pas une fille facile, mais je suis très conciliante, quand même », reconnaît Kiberlain), dont les plus anodins recèlent parfois de beaux double-sens, lorsqu’ils ne livrent pas quelques-unes des clés du film. Ainsi, une infirmière s’adressant à Auteuil, qui n’ose pas désinfecter lui-même la brûlure bénigne de Garcia, de peur de le faire souffrir : « Si vous voulez l’aider, va falloir vous habituer à lui faire un peu mal. » La remarque vaut évidemment pour le marivaudage à venir.
7/ Pour la présence de la trop rare Maryline Canto, dans un joli second rôle.
8/ Parce qu’en bon moraliste (et fidèle en cela à la tradition de la comédie classique), Salvadori questionne l’ambiguïté des motivations de ses personnages. Le fait d’aider un inconnu fait-il de vous quelqu’un de désintéressé ? Antoine, le personnage qu’interprète Auteuil (et que sa patronne appelle « Saint Antoine », pour railler sa propension à voler au secours des autres) n’agit-il qu’en bon samaritain ?
9/ Parce que, dans ce que dit Auteuil à Garcia, en s’excusant de lui avoir volé le coeur de Kiberlain – « J’ai fait comme j’ai pu » -, il n’est pas interdit de reconnaître un parent du « Chacun a ses raisons » de Renoir. Les principes se voient débordés par les affects, et Salvadori, bienveillant, accompagne ses personnages sans les juger.
10/ Parce que ce qu’une fois épuisés tous les arguments, la plus belle évocation du film, c’est encore ce qu’en dit sa dernière réplique – « Un peu sec au départ, mais du miel dès la deuxième gorgée, quand il a ouvert le palais – et il offre une belle ivresse. »
Après vous, de Pierre Salvadori, avec Daniel Auteuil, José Garcia, Sandrine Kiberlain, 1h50, 2003.
Excellente critique de ce Salvadori que je viens de découvrir, même si je suis un poil moins enthousiaste que toi: le début est très drôle, les dialogues très fins, les acteurs très bons, mais la seconde partie du film piétine un peu, la faute à un dénouement qu’on sent venir d’un peu trop loin.
Mais je suis d’accord pour le ranger dans les réussites de la comédie française: on aimerait voir plus de films comme celui-ci.
Chaque acteur campe un de ses « pur » rôle, celui qui a très très spécialement été fait lui… Kiberlain, Auteuil et Garcia contribuent donc à faire de ce film un petit bijou !
Sévère sur le supplément haricots.
J’aime énormément ce film également, et aussi parce qu’on s’y sent bien. Je trouve que Salvadori excelle lorsqu’il s’agit de filmer le luxe, la bonne bouffe, les bons hôtels et les clients rondouillards.