Holy Motors, Palme d’Or du foutage de gueule

Je ne connaissais pas Léo Carax, mais j’avais entendu parler du retour d’un génie… J’avais aussi entendu que c’était LE film qui aurait dû recevoir la Palme d’Or du Festival de Cannes.

Je n’ai pas encore vu la Palme, mais j’ai vu Holy Motors… enfin, pas jusqu’à la fin mais presque.

Le film ne commençait pas trop mal, il y avait les beaux quartiers de Paris que j’adore, du mouvement, des décors, des déguisements, des personnages, des scènes, des mises en scènes, des figurants, des changements de voiture, des ponts suspendus, une vieille femme au volant…

Mais d’emblée nous étions mis au parfum, ce n’était pas un film comme les autres, nous allions vivre une aventure différente. De surprises en étonnements, de postiches en moustaches, nous avons été menés à l’essentiel : Eva Mendès est arrivée… murmure d’admiration dans la salle; on avait certainement atteint ici ce que tous ces débuts successifs promettaient. On touchait au cœur de cette œuvre d’art d’autant que notre Bête qui avait fait son stretching sous les lumières à infrarouge, s’était paré pour affronter La Belle : ongles bleus, œil de verre, bouquets de fleurs à la bouche, il venait faire sa cour à une statue de marbre révélée dans un détour du Père Lachaise.

Le décor du décor était planté, l’action pouvait enfin commencer. Les pierres tombales, les égouts, le doigt arraché, le tchador confectionné en un tour de main, le photographe de mode, les billets de banque en guise de petit dej, et ce silence, et ces répliques bidons qui découpent le silence en pièces détachées… C’était indéniable, tous les ingrédients du régal étaient là, TOUS ! Les inédits, les glauques, les saugrenus, les esthétiques, les érotiques, les botaniques, les scatologiques, les références culturelles, les autoréférences au cinéaste qui ne cessait de s’auto proclamer : on était face à un chef-d’œuvre et il fallait que tout le monde le sache.

 

Un film botoxé comme Eva Mendes

 

Mais manque de bol ce chef-d’œuvre ressemblait au rôle de la belle Eva-Botoxée : toute faite d’apparence, silencieuse, creuse, déguisée en Muse aussi peu inspirante que pouvait l’être une Barbie devenue plus muette que La Statue de la Vérité. J’ai plissé mes yeux, j’ai ouvert tout grand mes cages à miel, j’essayais d’atteindre les ultra-sons des allusions à l’indicible qui émanait de ce personnage sans fond, vide de tout sens et de toute substance.

Il y avait bien cette touche d’originalité et de folie qui fait signature, mais dans une surdétermination et une surexploitation de toutes les formes du cinéma, pèle mêle. Léos Carax nous contait en fait sans le savoir la « gloire » d’un cinéma déformé par la chirurgie de cette esthétique qui dicte les performances  de l’acteur, le déclin d’un cinéma déchiqueté au bistouri des impératifs de cette mode qui refuse le conformisme, la soumission d’un cinéma botoxé par les promesses Festival de Cannes…

Mais il ne fallait pas s’y tromper, ce qui nous était en fait livré avec tant d’intensité dans ces images bouleversantes, c’est qu’il s’agissait là d’une mise en abyme d’un cinéaste sur le retour. L’artiste était sorti de son mutisme pour nous dire que son silence n’avait été qu’un prologue au propos plus général d’un génie incompris. La critique nous avait prévenus : on verrait Léos en personne à l’écran, déjouant himself le truchement des apparences qu’il manipule pourtant avec un brio sans égal… Et plus encore, par un jeu de ressemblance qui défie toute coïncidence, il se prolonge ensuite sous la forme déguisée d’un acteur qui se déguise ; subtil, non ?

Nous n’étions pourtant pas encore au bout de notre émerveillement. On nous avait aussi concocté avec soin une mise en abyme du travail du cinéaste, cette œuvre qui le dépasse et le déborde par le don infini qu’il fait de lui-même, cet anéantissement qu’il opère délibérément pour faire parler la mise en scène. Je crois que j’ai plongé dans ce gouffre quand j’ai enfin saisi la profondeur philosophique qui accompagnait l’essence de la réflexion sur ce film, l’idée régulatrice énoncée par le dit acteur qui se déguisait en acteur, remplaçant de Léo lui-même : « Dans le temps, la caméra était plus lourde que le cinéaste, puis avec les années elle a rétréci, de plus en plus… à tel point qu’aujourd’hui elle a comme disparu, on ne la voit plus».

Si j’étais capable d’interpréter à sa juste mesure l’intensité de ces mots, je me risquerais peut-être à un diagnostic psychanalytique freudo-lacanien : le rôle de l’acteur en tant qu’acteur est dans le fond des plus paradoxal, qu’est-ce qui se joue quand il joue ? Quelle est la mise en scène qui lui confère la contre-réalité de ce qui ne se réduit qu’à de l’imaginaire ?

Mais j’étais loin de pouvoir activer le moindre neurone, le film avançait et l’ennui me gagnait. Il n’y avait pas la moindre émotion et aucune tension ne motivait l’enchainement de ces épisodes aussi élaborés que vides, qui apparaissaient en même temps aussi décousus que sur-travaillés. A force de superlatifs, la lassitude du too much avait remplacé la Belle-Eva et s’était saisie du rôle de personnage central, elle servait de fil conducteur sur cette autoroute de poncifs et de banalités.

Les saynètes défilaient sur le passage de la limousine malgré mon envie de voir apparaitre un radar ou mieux, un Stop. Je jouais à en deviner le dénouement pour m’éviter de bailler ; quand soulagement, l’énigmatique vieille dame qui nous conduisait a annoncé la dernière étape de ce parcours du con-battant. Je me ressaisis et me motive, encore quelques kilomètres de patience, je n’ai pas encore aperçu Kylie Minogue. Mon effort est alors rapidement récompensé par un dénouement inimaginable : la belle blonde aux cheveux courts se jette dans le vide… Léo l’a tuée! Je suffoque enfin mais je respire aussi, on touche à la fin de notre épopée ; j’attends le générique.

La conductrice annonce alors qu’il y a encore une scène qui va succéder à cette dernière scène ; je ne dois plus savoir ce que signifient certains mots : ‘dernière’, ‘génie’, ‘chef-d’œuvre’. J’ai perdu mon vocabulaire en perdant mon temps dans cette salle, ce faux-dernier rebond est l’occasion ultime de réaliser que me suis faite grugée sur toute la ligne… Alors je me décide à freiner la limousine toute seule, je me lève en dérangeant toute la rangée qui fixe les images dans un silence religieux, je laisse cette branche dorée bien méritée pour ce film que je n’ai pas eu la force d’achever : La Palme d’Or du Foutage de Gueule.

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4 thoughts on “Holy Motors, Palme d’Or du foutage de gueule

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  3. Loin d’être creux au contraire, personnellement, j’avais trouvé que la richesse du film se trouvait dans les différentes possibilités d’interprétation. Quant au manque d’émotions, ma foi, il m’apparaît difficile de ne pas être émue par cet homme qui se bat pour faire vivre sa vision du cinéma malgré tout et contre tous. C’est un film sur un cinéaste qui aime le cinéma, je dirais même qu’il a un aspect expérimental, peut être est ce cette originalité qui vous aura déplu/perdu/dépassé ?

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