Deadgirl et le choc, à pic.

Dead Girl, 
There will never be another one that dreams like you, 

Yeah 

Yeah… 

Bon, en ce moment c’est quand même la grande méta-mode du Zombie. Depuis le gros souffle frisquet de Danny Boyle avec 28 Days Later en 2002, sur lequel les puristes ont craché toute leur salive moite et leur encre tiède, on ne peut pas nier que le genre s’est fichtrement multiplié dans différents contextes plus ou moins élégants. D’ailleurs, on constate souvent que la référence à Boyle n’est jamais clairement explicitée, alors que les plagiats se succèdent et meurent pitoyablement comme autant d’éphémères dans un marais Canadien, et qu’on continue à n’y voir qu’un vieux délire mal cadré avec des enchaînements scientifiquement douteux. Ok, bref, adulé jusqu’à l’écœurement et poussé (même dans les Fnac !) par la vague glamour geek-hipster, le genre Zombie commence sérieusement à me faire virevolter les glandes. C’est donc avec, quand même, beaucoup d’à-priori que j’ai jeté un œil, je l’avoue, un peu voyeur sur ce Deadgirl (2008) de Gadi Harel (son premier long métrage) et Marcel Sarmiento (son seul film correct). Il faut dire qu’entre les analyses « sociologiques » hautement inutiles du phénomène (lolharrypotter) sur son omniprésence dans les médias, j’avais du mal à croire que, aussi obscur et scabreux soit-il, Deadgirl puisse apporter quelque chose de plus. Hé bien je pense pas m’être trompé…

…parce qu’en fait, il n’y est pas question de Zombies. D’ailleurs, je doute sincèrement que ce soit l’intrusion du fantastique qui représente le vrai propos du film.

Minimaliste, le scénario est comme je les aimes :

Deux jeunes couillons (Shiloh Fernandez et Noah Segan) dans un lieu et un temps indéterminé décident de sécher les cours pour ne plus penser à rien. L’un est plutôt sérieux et raisonnable (dans le genre dernier bastion de l’amour romantique), l’autre une sorte d’anarcho post-pubère qui sent bon la misère sociale (et Lucky Strikes à volonté !), les meilleurs amis du monde quoi. Marchant sous la canicule, ils décident de faire un saut dans l’hôpital psychiatrique voisin, désaffecté (on a tous besoin d’une petite ruine chez soi, hein?). Là, ça pète des tables, ça se bourre la gueule, puis ça descend au sous-sol. Là, ça découvre, dans une pièce condamnée, le corps d’une fille (Jenny Spain), vivante, attachée et… nue. Questions : Que fait-elle là ? Depuis combien de temps ? Et pourquoi, quand on lui brise la nuque, et qu’on lui tire trois balles dans le bide, elle ne meurt pas ? Et pourquoi, d’un seul coup, cette étrange nana au regard gorgé de sang, devient le centre de toutes les attentions, des fantasmes les plus enfouis ?

Non, en fait, ce qui est vraiment important dans cette histoire c’est, plutôt, et si on se la faisait ?

 

Deadgirl est un film effroyablement minuscule

 

Alors que le début me donnait presque envie d’aller faire autre chose, genre écouter Skrillex en moulant du café, je me suis un peu forcé à regarder la suite et…comment dire ? Je ne l’ai absolument pas regretté. Deadgirl est un film minuscule, non pas dans le sens court, non, juste effroyablement petit, insignifiant, un trou de serrure. Un trou où il serait marqué « interdiction de regarder, mon saligaud ». Résumons la situation : j’ai 17 ans, mon univers tout entier est contrôlé par le vide intérieur du lycée, mes hormones se font des rave party entre deux batailles rangées, mon indifférence face à l’avenir, le passé, et tout ce qui m’entoure devient tellement oppressante que j’en ai des nausées à chaque vibration du réveil…Alors, je fais quoi ?

Langoureusement, sans accrocs , certaines choses s’effacent d’elles-mêmes, les conventions sociales déjà un peu absentes, une amitié plus basée sur l’habitude que sur autre chose, la volonté, la peur de disparaître dans l’abîme, de regarder, regarder, toucher… Les pulsions remontent, on s’excite comme si un célibat infini touchait enfin à son terme, on passe la ligne blanche sans même s’en rendre compte, et là…arf, bâh autant continuer, qu’est-ce qu’on a à perdre, hein ? Deadgirl c’est ça. Les marches du sous-sol de l’Asile, où toute personne normalement constituée serait rebutée à l’idée de les descendre, agrippent les personnages telles deux jambes fiévreuses et leur ouvrent les portes d’autre chose. Comme le dit si bien l’un des personnages du film, entre deux éjaculations : « Dans la vie réelle, elle ne sortirait jamais avec toi, alors qu’ici, ici… ». Ici, il n’y a pas de quotidien, pas de règles, pas d’existence impliquant de savourer tous les jours une chaise inconfortable dans une salle de cours, ni de body-buildé sociopathe qui vous casse la gueule quand vous regardez sa rousse de nana. Non, il n’y a rien de tout ça, juste le corps famélique d’une inconnue, qui ne peut être tuée. Elle ne parle pas, elle essaye juste de mordre, parfois, ce n’est pas grand chose, il suffit de ne pas y faire attention…

 

Je peux pas, j’ai nécrophilie

 

En impliquant une sortie des limites de la réalité dans une vie insipide, Harel et Sarmiento confrontent la cristallisation du quotidien aliénant (caricaturé, mais si bien mis en scène) avec quelque chose…d’autre. Attention les gars, génération crash-test ! Le sexe d’abord, au delà du doute, la volonté de quelque chose de brutal, de vrai, quelque chose qui fasse sentir vivant, au delà des normes. Puis on en redemande encore, c’est vrai quoi, la vie, les études, le chômage, voter, draguer, jouir dans une chaussette sale et prendre son petit déjeuner, toutes ces choses qui prennent un temps infini à apprivoiser, construire, qu’on ne remet plus jamais en doute, et qui ne déboulent sur rien d’autre que la mort, pourquoi sont-elles si faibles par rapport à ce qu’on ressent, dans son vagin tuméfié ? Pourquoi ? Alors on reste là, dans le noir, quelque part, à observer la belle, venue de n’importe où. Après tout, on s’en fout, tout ce qu’on sait, c’est qu’elle est là, et qu’elle s’offre à nous au bout de ses chaînes mal huilées. Elle te regarde parfois, on s’en tape ! Vieux, elle n’est pas humain ! Nous si, on a des besoins !

On dirait du Gus Van Sant insalubre, on enfonce un doigt dans la plaie pustuleuse de la jeunesse. Y’a un petit air de Donnie Darko, de flottement entre les mondes et les âges, le ciel filmé sous tranxen et l’adrénaline des fondations. Les frontières se cassent, elles s’évaporent. Le douteux et le macabre deviennent attrayants, on est sur le /b/ de 4chan et on scrute les Gore Thread juste pour se retourner l’estomac, juste parce qu’on ressent quelque chose. Merde, pourquoi culpabiliser ? Y’a aussi un vieux relent de Seattle, de maisons et de garages, de vélos et de désespoir étouffé en chemises à carreau. Bordel que c’est beau, ce puant désespoir comme une chambre d’étudiant. Mad Movies dit qu’il y a du Morse et du Cronenberg aussi, ma foi, les références sont multiples et j’ai pas envie de toutes les énumérer. Mais déjà, ça ne me fait plus rien. La musique est joyeuse et quelque peu enfantine, les gens rigolent, c’est la fête, on met des guirlandes et on baise la morte en l’honneur de la vie. C’est la danse rituelle de tout adolescent, sur la crête du nihilisme blafard, entre le fossé de l’ignorance et celui des perceptions. Cette vie qu’on a pas, qu’on aura jamais, qui n’existe pas. Beaucoup de choses transitent, certaines ressortent, d’autres restent bien enfouies. Pas d’avis spécial n’est à prononcer, pas d’analyses à approfondir, il suffit de ressentir…enfin je crois.

Ce n’est pas une fable, une fable à une morale, ici, il n’y a que la décomposition d’un vieux rêve de gosse, celui de réussir, de « grandir ». Laisse toi aller, mon gars. De toutes manières, tu n’auras jamais rien de mieux.

« It’s better to be wanted for murder than not to be wanted at all » titre le premier film de Sarmiento, c’est dire à quel point ce type touche juste.

Aller, et parce que je ne peux pas fondamentalement m’en empêcher, voilà une petite chose qui, si elle n’a peut-être pas inspirée cette perle lugubre, à au moins le mérite d’intransitivement l’illustrer.

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