Dossier 137 : Tous les petits chats sont beaux

Même si on a fini par l’oublier, la belle aventure de La nuit du 12 a démarré en 2022 au Festival de Cannes, où le film de Dominik Moll avait été présenté en section Cannes Première. Porté par un bouche-à-oreilles flatteur, le polar avait par la suite, fort de plus d’un demi-million d’entrées (en plein marasme de fréquentation post-pandémie de COVID), catapulté la carrière de Bastien Bouillon et raflé pas moins de sept César. De quoi valider le retour en grâce du cinéaste français né en Allemagne, déjà pressenti avec le remarquable Seuls les Bêtes en 2019. Le réalisateur d’Harry, un ami qui vous veut du bien avait entre temps connu une traversée du désert désormais bien derrière lui. La preuve : pour son huitième long-métrage, Dominik Moll se retrouve en Compétition officielle cette année avec Dossier 137.

Le Dossier 137 en question, fictif, est cependant inspiré de la période des Gilets jaunes. Au cours d’une manifestation, un jeune homme est grièvement blessé par un tir de flash-ball. Saisie de l’enquête, Stéphanie (Léa Drucker), enquêtrice à l’IGPN, espère faire la lumière sur cet incident mettant en lumière les dysfonctionnements du maintien de l’ordre qui ont émaillé les manifestations des Gilets jaunes. Elle découvre également que la jeune victime est originaire de Saint-Dizier, la ville dans laquelle elle a grandi et où ses parents vivent encore…

Sans trop en révéler sur le déroulement de l’enquête et sa conclusion, on comprend rapidement ce qui attire l’attention de Dominik Moll dans ce Dossier 137 qui s’inscrit thématiquement dans la continuité de La nuit du 12. Ce dernier était le récit d’une enquête avortée, de l’impossibilité pour les policiers menés par Bastien Bouillon et Bouli Lanners de mettre au jour la vérité derrière le crime sordide de la jeune Clara. Ici encore, Stéphanie va buter sur les failles d’une institution qui n’est plus capable aujourd’hui de correctement assurer ses missions de service public. La faute en partie à l’esprit de corps régnant dans une institution qui veut à tout prix protéger les siens, quitte à mentir et travestir la réalité, y compris au sein de l’IGPN, la “Police des polices”, régulièrement pointée du doigt pour ses dysfonctionnements et sa propension à “laver plus blanc que blanc” les dossiers de violences policières. En cause également, le poids grandissant des syndicats de policiers noyautés par l’extrême-droite, en l’occurrence ici le syndicat Concorde, dont la parenté avec une certaine Alliance n’échappera à personne ayant suivi l’actualité française au cours des dix dernières années.

Les intentions de Dominik Moll et de Dossier 137 sont louables : il s’agit d’un constat d’échec, l’illustration d’une faillite organisée et systémique entraînant la défiance d’une partie non négligeable de la population envers l’institution policière. Le problème de Dossier 137 réside davantage par la manière dont la scénario écrit par Moll et son complice de toujours Gilles Marchand met en place son argumentaire, rejoignant déjà des reproches qui pouvaient être adressés à La Nuit du 12. Bien qu’un film sur les violences policières, Dossier 137 est un film qui aborde majoritairement, de manière écrasante, des points de vue policiers, même divergents. Il s’agit d’une fiction policière, qui en reprend les codes même si le dénouement n’est pas celui attendu par ce type de structure narrative.

Il en découle que le film s’enferme dans un dispositif narratif déjà vu, celui du “bon flic” au milieu d’un système de “mauvais flics”, dispositif dira-t-on d’un certain angélisme. Un dispositif presque comme un réflexe pavlovien, dans lequel on s’énerve contre l’institution mais quand même faut faire attention parce que #NotAllCops. Résultat : alors que la mécanique de l’enquête reste bien rodée, Dossier 137 s’abîme dans certaines séquences d’une balourdise didactique indigne de la plume de ses scénaristes, que ce soit quand Stéphanie doit expliquer à son fils pourquoi tout le monde déteste la police (occasionnant certains rires dans la salle dont on ne sait trop s’ils sont pour approuver le discours ou se moquer de sa candeur), ou lors d’une rencontre impromptue dans un bowling avec son ex, incarné par Stanislas Mehrar, désormais en couple avec l’équivalent ce qu’on comprend vite être une Bruno Attal au féminin. 

On ne parlera pas non plus de ce passage obligé du film-dossier français : une tirade finale prononcée par Stéphanie pour dénoncer l’état de l’institution policière, un élan de tartignolade digne des plus grands élans verbeux de Vincent Lindon. On passera également sur le versant provincial de l’intrigue, heureusement sous-développé, juste prétexte à dire qu’à la campagne on aime bien regarder des vidéos de chats mignons (et c’est vrai, il y a un potichat blanc très mignon dans le film) pour se vider la tête face à la violence de la société.

Il n’en demeure pas moins qu’en dépit des problèmes de point de vue que soulève le traitement de cette affaire, Dossier 137 n’est pas un film détestable. Son problème réside moins dans ce qu’il dit que dans sa manière de le dire. Autant qu’un film sur l’échec de la police, c’est aussi un film sur l’échec du genre du film policier pour raconter les violences policières qui se multiplient toujours plus encore à mesure que les ministres de tutelle se droitisent. Dossier 137 se montre même conscient de ses propres limites et des territoires qu’il aurait pu explorer quand il se permet de laisser la place aux victimes, aux vraies victimes, quand il évoque en filigrane l’impunité policière dans les banlieues et les zones populaires. Son diagnostic sur la fracture même de la notion de vérité, et sur notre incapacité à nous accorder sur celle-ci, est incontestable. Il offre même, lors d’une de ses scènes finales, une scène assez forte sur la fracture de confiance entre la police et les citoyens qu’elle est censée défendre. “Vous avez bien fait votre travail, bravo. Mais c’est quoi au juste votre travail?”, peut-on y entendre. Un constat limpide, mais que l’on peut malheureusement également adresser à Dossier 137 dans son ensemble, au moment où les lumières de la salle se rallument.

Dossier 137 de Dominik Moll avec Léa Drucker, Jonathan Turnbull, Gusalgie Malanda…, sortie dans les salles françaises prévue le 19 novembre

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