Promis le ciel : le combat d’exilées en Tunisie

On continue le tour des cérémonies d’ouverture cannoises, avec cette fois-ci l’ouverture de la sélection « Un certain regard ». Cette sélection qui fait partie des sélections officielles de Cannes a pour but de valoriser un cinéma plus indépendant et des cinéastes moins connus. Depuis quelques années, on sent une volonté de revenir à cette ligne éditoriale qui s’était un peu perdue en cours de route, et on prend plaisir à découvrir de nouveaux noms sur l’atlas international du cinéma.

Mais pour l’ouverture, le nom d’Erige Sehiri n’est pas totalement inconnu. La réalisatrice tunisienne avait déjà connu les honneurs du festival de Cannes à la Quinzaine des cinéastes pour le très beau Sous les figues. En passant en sélection officielle, Sehiri s’affirme donc comme un des nouveaux noms portés par le Festival. Et on attendait de voir si Promis le ciel était à la hauteur des attentes.

A la différence de Sous les figues, Promis le ciel s’attaque plus frontalement à l’actualité en décrivant le sort d’immigrées subsahariennes en Tunisie. On sait hélas à quel point le sort des migrants s’est dégradé dans le pays de Kaïs Saïed depuis quelques années, avec l’appui complice de l’Union européenne. Le film d’Erige Sehiri s’inscrit donc dans ce contexte particulier et cherche à redonner de l’humanité à celles et ceux qui sont trop souvent vus comme des sujets de débats « sécuritaires » manipulés par les politiciens de tous pays.

Pour cela, Sehiri dirige son regard sur trois migrantes incarnées par Déborah Naney, l’artiste Laetitia Ky et Aïssa Maïga, bien connue en France. Ces trois femmes ont toutes un statut différent en Tunisie, plus ou moins régularisée, et n’ont pas les mêmes aspirations. Elles sont cependant réunies sous le même toit, celui d’une congrégation religieuse temporairement tolérée, et essayent de s’entraider face à l’adversité. L’arrivée d’une orpheline de 4 ans va ajouter une difficulté supplémentaire à leur quotidien.

La cinéaste sait faire confiance à ses actrices et à leurs silences

Le risque d’un tel film est d’écraser les personnages sous le poids du sujet politique qu’ils portent. Erige Sehiri arrive avec intelligence à écarter cet écueil en creusant trois portraits de femme ambiguës et différentes. Elle est bien aidée pour cela par le casting remarquable du film qui donne une profondeur nécessaire au récit. Si la sororité est bien présente comme vecteur de résistance face à l’oppression, elle est également interrogée dans ses limites quand les dilemmes sont insurmontables. Le film ne cherche pas à idéaliser ses personnages et s’intéresse également aux renoncements des opprimées quand la lutte est trop dure et que l’instinct de survie prend le dessus.

En concentrant le film sur ces trois personnages et sur un nombre très réduit de lieux, Sehiri arrive également à représenter l’isolement des migrants au sein de la société tunisienne.  Quelques personnages, eux aussi ambivalents dans leurs intentions et très bien écrits, relient la communauté de migrants aux citoyens tunisiens. Mais le sentiment d’une bulle hermétique demeure. La façon dont le film anonymise la police comme une menace planant tout au long du film et totalement impersonnelle quand elle frappe est aussi saisissante.

C’est cependant peut-être aussi la limite du film auquel il manque une intensité dans la narration et un souffle de réel, malgré la présence d’acteurs non-professionnels et l’expérience de documentariste de la réalisatrice. En se restreignant à quelques espaces, le film semble avoir du mal à respirer et à trouver son rythme, ce qui l’empêche de prendre une dimension supérieure.

Promis le ciel reste un très beau film sur un sujet complexe et brûlant. On ne peut que saluer le courage d’Erige Sehiri de s’en être emparé pour son deuxième long-métrage de fiction. Et féliciter le comité de sélection de le proposer en ouverture d’Un certain regard.

Promis le ciel, un film d’Erige Sehiri avec Aïssa Maïga, Déborah Naney et Laetitia Ky, date de sortie en salles inconnue.

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