Le ventre bien gonflé par les agapes de fin d’année, la rédaction vous livre ses coups de cœur du mois passé !
Alors, qu’est-ce qui nous a touché en ce joli mois de décembre ?
Captain Jim : Haute Pègre, de Ernst Lubitsch : Noël en famille au Champo
Cette année pour les fêtes de fin d’année ma famille est montée sur Paris. Comme nous avons pour tradition d’aller voir un film le 24 tous ensemble avant le réveillon, j’ai profité de notre belle offre de patrimoine de connards de privilégiés parisiens pour traîner mon frère, ma mère et mon père devant un film qui a bientôt cent ans : Trouble in Paradise, Haute Pègre en VF, du réalisateur allemand Ernst Lubitsch.
Moins connu que ses plus grandes œuvres comme To Be or Not To Be, Rendez-Vous ou Ninotchka, Haute Pègre est pourtant considéré par les aficionados du cinéaste comme peut-être son plus malicieux, malin et délicieux. Il s’agit, par ailleurs, de mon film préféré, et je le voyais en salles pour la cinquième fois déjà. Mais c’était la première fois avec ma famille, qui enfin a donc pu constater que je n’étais pas fou d’autant apprécier Lubitsch. Quel plaisir d’entendre le public de la salle 2 du Champo rire aux traits d’esprits des personnages, au jeu magnifiquement fourbe de Kay Francis, à la séduction intelligente de Herbet Hoover, et au timing comique inimitable de Miriam Hopkins ! Haute Pègre est sans doute le film qui illustre le mieux l’idée de la « Lubitsch touch » théorisée par tant de cinéphiles : les personnages parlent entre eux certes, mais Lubitsch lui ne cesse de s’adresser au spectateur en filigrane, lui donnant des coups de coude dans l’estomac en lui faisant des gros clins d’oeil pour lui dire « T’as vu ? C’est beau le cinéma hein ? »
Oui. C’est beau.
Juliette : Les carnets de Siegfried de Terrence Davies
Qui dit mois de décembre dit films de Noël mais surtout, pour ma part, séances de rattrapage pour établir le top 10 de l’année. Ainsi j’erre chaque hiver sur UniversCiné pour chiner ce qui a pu m’échapper en salles, et c’est sur les bons conseils de Lucas, membre de Schrödinger de la rédaction, que je lance Les carnets de Siegfried (ou Benediction en anglais) de Terence Davies. Le fait que le nom de ce réalisateur ne nous dise pas forcément grand chose prouve à quel point le cinéma anglais, à quelques exceptions près, n’arrive jamais assez proche de nos yeux. Décédé en 2023, Terence Davies est pourtant un grand réalisateur britannique maniant surtout le drame.
Les Carnets de Siegfried est son dernier film et on peut dire qu’il s’en est allé avec grâce et honneur. Il y retrace la vie de Siegfried Sassoon, un poète anglais qui n’est pas forcément très connu de l’Hexagone. Loin de faire un biopic traditionnel, Terence Davies prend le virage d’un mélo sur l’amour et le traumatisme. Objecteur de conscience, Siegfried Sassoon a été interné pour son refus de retourner sur le champ de bataille lors de la première guerre mondiale. Le film utilise beaucoup d’images d’archives des tranchées et les illustre avec les vers du poète, rendant à ses mots le vécu qu’ils expriment. Après la partie sur la guerre, le film vogue plus du côté des amours interdites d’un artiste homosexuel et qui va de déception en déception amoureuse.
Les Carnets de Siegfried est un film bouleversant. Ce drame anglais se meut en film de fantômes où chaque être disparu est lié à un regret. Difficile et peu optimiste, c’est une œuvre sur le ressentiment et comment celui-ci peut entacher notre mémoire qui n’entrevoit plus le positif, seulement la frustration. La séquence de fin est dans le top des plus belles scènes de l’année où l’un des plus beaux textes du monde — « Disabled » de Wilfred Owen — encapsule à lui seul cette génération des tranchées, décimée, traumatisée et hors du temps, incapable de retourner correctement dans le cours des choses.
« […] How cold and late it is! Why don’t they come
And put him into bed? Why don’t they come ? »
Le maratu Nosferathon de Magui
Cette année n’était pas très esprit de Noël en ce qui me concerne. J’ai donc préféré faire durer Halloween dans mon cœur en m’adonnant pleinement à ma créature fantastique de prédilection. Ma série préférée de tous les temps (ex-aequo avec Mad Men mais on peut laisser ça de côté vu que même Pete Campbell n’a pas les dents si longues) ? Buffy. Ma lecture du moment ? Les Vampire Chronicles d’Anne Rice, motivée par l’excellente adaptation télévisée d’Interview with the Vampire. Je vis vampire, je respire vampire, et la sortie d’un nouveau Nosferatu était la parfaite occasion de corriger une grosse lacune dans ma culture (vampirique) pour découvrir trois versions du mythe en un week-end, lugubre comme il faut. Le tout au cinéma, évidemment, car comme dit plus haut, pourquoi ne pas profiter de notre belle offre de patrimoine de connards de privilégiés parisiens ?
Des films de 1922, 1979 et 2024, c’est la version du milieu qui m’a le plus plu, mais quel bonheur de comparer avec une mémoire toute fraîche les variations, les motifs, les interprétations. Les fulgurances et fantaisies de Murnau m’ont évidemment charmée. Werner Herzog a eu le don de prendre tout ce qu’il y avait de mieux dans le chef d’œuvre du muet et de le souligner (deux chatons, deux scènes où le vampire trimballe son cercueil dans les rues endormies, des prothèses d’ongles deux fois plus longues, toujours plus de désir latent et de mélancolie larvée). Robert Eggers, lui, s’est un peu emmêlé les pinceaux avec l’Exorciste et un discours confus, mais ça fait toujours plaisir de voir une résurgence gothique dans la culture populaire. Comme quoi parfois les remakes ont du bon.
Mehdi : faire découvrir A wonderful life à Noël
Je ne fais pas dans l’originalité ce mois-ci, mais j’ai profité de la période pour revoir le film de Noël par excellence : A wonderful life de Frank Capra (La vie est belle en VF, mais c’est source de confusion). On y retrouve tous les clichés de ses insupportables successeurs dans leur forme pure et originelle. C’est beau (si on évite l’affreuse version colorisée), c’est drôle, c’est touchant, c’est la magie du 25 décembre ! Et c’est encore mieux quand on le partage en famille pour le montrer au plus grand nombre et se retrouver dans la valeur principale de Noël : la lutte contre le capitalisme.
Julien : Ecouter du Céline Dion chanté en latin
La période des fêtes de fin d’année, c’est entre autres l’occasion d’un dernier rush de rattrapage des films sortis cette année, en partie pour essayer d’avoir son top 10 le plus exhaustif et représentatif possible, mais aussi simplement pour essayer de se faire de derniers bon souvenirs avant de passer à la nouvelle année. S’il est loin de pouvoir prétendre à un quelconque top, je dois reconnaître avoir été assez charmé par Bis Repetita d’Emilie Noblet, dans lequel Louise Bourgoin joue une professeure de latin qui, pour avoir une paix royale avec ses élèves, s’engage à leur donner automatiquement de bonnes notes. Des notes si bonnes qu’elles propulsent par inadvertance sa classe parmi les meilleures du monde, qui doivent se départager lors d’un concours international en Italie. Un pitch mi-concon mi-sapiosexuel taillé pour des individus dans mon genre, donnant lieu à un film très aimable, peut-être pas toujours aussi drôle qu’il pourrait l’être, mais avec quelques chouettes moments de comédie, comme cette reprise grunge de Pour que tu m’aimes encore par Xavier Lacaille… entièrement en latin. Version en latin qui, pour ajouter au WTF ambiant selon Télérama, a été traduite et supervisée par… le fils de notre nouveau Premier ministre, André Bayrou. Quelle meilleure manière de résumer cette année 2024?
Pauline: Daughters sur Netflix, un documentaire de top 10 passé inaperçu
Au hasard d’un énième article de top 10 (n’oubliez pas que le meilleur reste évidemment celui de Cinématraque), le résumé de Daughters, de Natalie Rae et Angela Patton, m’a attiré l’œil : aux États-Unis, une association organise des bals pères-filles, au sein même des prisons où sont incarcérés les premiers, pour renforcer les liens familiaux et prévenir la récidive. Inutile de préciser, j’imagine, que la très grande majorité d’entre eux sont Afro-américains, puisque cette population est incarcérée en bien plus forte proportion qu’elle n’est statistiquement présente au sein du peuple américain dans son ensemble. Récompensé par le prix du public catégorie « documentaire américain » à Sundance, il m’est apparu au bout de ses 1h48 (même avant, à vrai dire) que je leur donnais raison : filmé au plus près des conséquences humaines désastreuses du système carcéral mis en place par le capitalisme et la suprématie blanche, très émouvant mais sans jamais appuyer outrageusement sur l’effet tire-larmes (et des larmes, il y en a) du sujet, Daughters est une vraie réussite.
1 thought on “Les coups de cœur de la rédac : Décembre 2024”