Vingt Dieux : Rencontre avec Louise Courvoisier

Totone, héros de Vingt Dieux, transportant sur son scooter une meule de comté attachée dans son dos

Arrivé sur la pointe des pieds dans la sélection Un certain Regard au dernier Festival de Cannes, Vingt Dieux a depuis fait son petit bout de chemin dans les festivals français précédé d’une très flatteuse réputation. Premier long-métrage de la cinéaste Louise Courvoisier, Vingt Dieux suit l’histoire de Totone, qui se retrouve à devoir élever seul sa petite sœur de sept ans, et celle de l’exploitation familiale. Pour s’en sortir financièrement, il se lance dans un pari fou : fabriquer la meilleure meule de comté de la région, et empocher les quelques milliers d’euros de prix associés à la médaille d’or. Généreux et audacieux, le film de Louise Courvoisier a notamment mis main basse il y a quelques semaines sur le prestigieux prix Jean-Vigo. A l’occasion de sa présentation il y a quelques semaines à l’Arras Film Festival, nous avons pu discuter avec le réalisatrice pour évoquer un film aussi peu académique formellement que son tournage a pu l’être.

Pour s’attaquer à un sujet aussi original que celui de Vingt Dieux pour un premier long métrage, il y a très certainement quelque chose de personnel, ou au moins l’envie de parler d’un sujet dont vous êtes très familière…

Je viens d’un petit village du Jura qui s’appelle Cressia, c’est dans la petite montagne. Je suis restée très attachée à ma région même quand je suis partie faire mes études à Paris puis à Lyon. Je suis revenue vivre là-bas parce que j’étais très attachée à ce territoire. Pour mon premier film j’avais envie de parler de cette jeunesse que je connais bien, que j’ai côtoyée, mais qui n’est pas partie faire des études et qui est restée sur place. J’avais envie de parler de cette jeunesse qui me touche et qu’on connaît peu, qu’on n’a pas souvent vu sur les écrans. D’où mon choix aussi d’avoir travaillé avec des acteurs non professionnels qui incarnent vraiment cette région-là, et les accents qui vont avec.

Comment à ce propos avez-vous découvert les deux acteurs principaux que sont Clément Favaud, qui donne vie au personnage de Totone, et Maïwène Barthélémy?

Le travail de casting a été très long. J’ai d’abord commencé à chercher toute seule, en allant dans les comices agricoles, les lycées agricoles, les bals de villages, les courses de stock-car… Et par la suite, j’ai été accompagnée d’une première directrice de casting, Léa Gallego, et d’un second, Emmanuel Thomas. J’ai rencontré beaucoup de jeunes, et je voulais vraiment aller à la rencontre de chaque candidat. J’avais besoin de sentir dès la première rencontre si ça allait bien se passer humainement, et si j’allais pouvoir les diriger ou pas. Donc ça a été un long processus mais dans le fond, c’est très simple. Quand on écrit pendant trois ans, on sait tout de suite quand on rencontre notre personnage. A chaque fois ça a été une évidence dès que je les ai trouvés.

Portrait de Louise Courvoisier, réalisatrice de Vingt Dieux, pendant une interview au cours de l'Arras Film Festival
Crédit photo : Jovani Vasseur pour l’Arras Film Festival

Est-ce qu’il y a quelque chose de rassurant à diriger des acteurs non-professionnels pour un premier long-métrage?

Le principal défi a été de les amener vers le jeu, même si le jeu d’acteur leur demandait d’être assez proche de leur énergie dans la vie. Il fallait presque aller vers le non-jeu en fait, effacer les traces du jeu, leur permettre d’être eux-mêmes et d’oublier la caméra. Ils avaient beaucoup d’instinct, et plus on travaillait ensemble, plus on répétait, plus je sentais qu’on pouvait aller loin dans les scènes, mettre de la finesse dans la partition de jeu.

Non seulement les acteurs de Vingt Dieux sont non professionnels, mais ils ont en plus une expérience dans le milieu agricole. Etait-ce aussi une manière un peu de lever une première barrière pour qu’ils se sentent plus à l’aise dans leur rôle? 

Je savais que c’était dans ce milieu que j’allais trouver mes acteurs, ça c’est sûr. Et en fait, je n’avais pas le choix. Dans une des scènes les plus intenses du film, le personnage de Marie-Lise doit assurer un vêlage en même temps qu’elle joue la scène. Donc il fallait quelqu’un qui ait l’habitude de travailler avec les vaches. C’est d’ailleurs comme ça que Maïwène s’est distinguée. Elle est la première que j’ai validée au casting, avant même de trouver son tandem, ce qui était un choix risqué.

Le film aussi est caractérisé par une relative absence des adultes. On suit des adolescents à un âge charnière, à la limite de la majorité. C’était une volonté affirmée dès le départ, de jouer la carte du récit d’apprentissage?

J’avais envie de filmer ces jeunes qui sont souvent livrés à eux-mêmes. Mais c’était important que le film s’autorise de sortir du réalisme à des endroits, c’est quand même une fiction. J’avais envie qu’ils restent dans cette bulle qu’ils se sont créés, avec cette bande de jeunes qui est à un âge que je trouve très intéressant, celui d’un passage entre l’insouciance et la prise de responsabilité. A la campagne, cet âge de bascule arrive bien plus tôt qu’en ville. Il arrive assez jeune où tout d’un coup, on est face à l’âge adulte assez tôt. Et je pensais que j’allais mieux en parler en restant principalement avec eux.

Totone et Marie-Lise, les deux personnages principaux de Vingt Dieux, partageant un moment d'intimité les yeux dans les yeux dans l'étable d'une ferme

Vingt Dieux est traversé aussi par un goût du cinéma de genre très diversifié : le documentaire, le western rural, le film de casse… Cette fantaisie, cette envie de ne pas rester uniquement dans l’approche naturaliste vous a-t-elle permis aussi de travailler sur des formes, des références qui vous ont inspiré? 

Je me suis sentie très libre dans la fabrication de ce film. Et on me dit souvent que le film est difficile à caser. On n’a pas envie de le mettre dans une case et en même temps on voit qu’il peut être dans plusieurs en même temps. J’aime plutôt ça parce que je n’avais pas vraiment d’influences précises : je me suis pas dit “Je veux faire tel genre de film”. Le point de départ, c’était mon regard sur cette jeunesse, d’autoriser des personnages de ce milieu à embrasser une aventure de fiction, à connaître une histoire d’amour. Je trouve que c’est généreux de mettre une histoire d’amour dans un film. Moi, j’aime bien regarder des histoires d’amour, donc j’avais envie d’en mettre une dans mon film. J’avais aussi envie d’une esthétique un peu western, de mettre de l’esthétique dans le brut, dans la lumière, dans le cadrage, dans le maquillage, dans les costumes. Mais en même temps, je ne voulais pas du tout tomber dans l’imitation d’autre chose et je crois que c’est pour ça que Vingt Dieux peut sembler difficile à caser.

Cette approche très détachée du naturalisme, est-ce que c’était aussi une manière de se prémunir de l’écueil du misérabilisme, de cette tentation d’offrir une vision un peu méprisante de Totone?

Je n’avais pas du tout envie que le film soit écrasant, de montrer des personnages qui n’arrivent pas à s’en sortir, qui sont face à un mur. J’avais envie de montrer qu’avec leurs outils à eux, leurs ressources, ils vont réussir à trouver des manières de s’en sortir. Le film s’autorise de la légèreté, de l’humour, de ne pas être dans le tout dramatique parce que le sujet de départ est dramatique. Le problème parfois quand on rentre dans un film sur la ruralité, c’est qu’on a tellement peu de références qu’on a tendance à rentrer tout de suite dans un genre bien codifié. Même pour moi, en écrivant, c’était difficile parfois de ne pas céder à ces réflexes.

Comment essaie-t-on de retranscrire cette énergie différente sur un plateau de tournage, surtout pour un premier film, dans des lieux qui ne sont pas des lieux de tournage traditionnels? Est-ce qu’à un moment, cette énergie de la débrouille finit par contaminer ce qui se passe à l’écran? 

C’est sûr que le tournage a été tout sauf un tournage classique. L’équipe était composée en partie de membres de ma famille : ma sœur qui a fait la déco avec mon frère, mon autre frère et ma mère ont composé la musique. Une partie de l’équipe était composée de gens de la région, une autre de techniciens professionnels qui venaient de Paris pour la plupart. Et ça, ça ne se fait pas souvent. Mais il y a plein de choses que certaines personnes savent faire et qui ont une utilité au cinéma, par exemple pour la construction des décors. Quand on sait construire des choses, on peut s’adapter au cinéma, il faut juste apprendre les codes. J’avais envie d’être bien entourée, de ne pas faire simplement un film sur les gens mais avec les gens. 

Trois jeunes adolescents dont Totone, le héros de Vingt Dieux, s'amusant à conduire un tracteur sur une route de campagne.

Vous ne vous seriez pas sentie en confiance avec des techniciens que vous ne connaîtriez pas autant? 

Je trouvais que c’était important parce que le cinéma a tendance parfois à arriver quelque part, filmer et repartir. Et ça peut laisser des séquelles. J’avais envie de soigner le travail qu’on fait en région avec les gens, de les impliquer, de les intégrer vraiment dans le processus de fabrication. M’entourer de gens de confiance, ça me rend plus solide dans ma mise en scène. Plus je suis avec des gens en qui j’ai confiance, qui ont confiance en moi, que je peux diriger, moins j’ai besoin d’être en fragilité et donc en vulnérabilité, et moins je risque d’être une présence désagréable pour les autres. On a beaucoup travaillé aussi avec des agriculteurs et des fromagers qui nous ont aidés. Pareil pour le stock-car par exemple, on a travaillé avec de vrais pilotes. Chaque lieu, chaque décor qu’on filme est lié aux gens de la région. 

Il y a un personnage essentiel dans le film dont on n’a pas encore parlé, c’est la meule de comté. Même si ce ne sont pas les mêmes, on est ici aussi sur un territoire qui n’est pas insensible à une belle lettre d’amour au fromage…

En voulant faire un film sur ce territoire, j’avais envie que l’intrigue aussi en fasse pleinement partie. On est cerné par le comté par chez nous : les agriculteurs qui font du lait à comté, les fromagers, les caves d’affinage… Ça fait tellement partie de notre paysage que je trouvais ça intéressant de l’intégrer à ma narration jusqu’au bout. C’était aussi une manière de montrer à quel point ce que les personnages font est quelque chose de très physique, très pratique, très artisanal. J’aime bien filmer les corps, les corps en mouvement, quand les choses s’expriment autrement que par les mots. Le film est assez peu verbal, il y a assez peu de mots. Les dialogues sont souvent assez courts parce que beaucoup de choses se racontent aussi par le corps, notamment dans le processus de fabrication de fromage. Et l’évolution du personnage passe à travers cet apprentissage-là, c’est un moyen plus joli de le faire. 

Vous avez justement confié que quand vous avez commencé à écrire un film sur la ruralité, vous vous êtes retrouvée face à peu de références. Mais on sent quand même que ces dernières années, il y a quelque chose qui commence à poindre, un cinéma peut-être moins citadin, qui commence à réinvestir ces décors qui n’ont pas été beaucoup filmés. Depuis sa présentation remarquée à Cannes, est-ce que vous sentez, quand vous présentez le film à travers la France, une appétence du public pour ce genre de nouvelles histoires? 

Je sens en effet qu’il y a une vraie curiosité et même une vraie résonance. Même si j’ai l’impression de parler de quelque chose de très proche de moi, de ces vingt kilomètres autour de chez moi, ce que raconte Vingt Dieux tout d’un coup vient résonner avec plein d’autres ruralités. Beaucoup de gens peuvent s’y identifier aussi. Ça fait forcément du bien de sortir un peu, de se retrouver face à des histoires différentes, d’apporter de la diversité aussi. Je pense qu’en ce moment, il y a une envie de laisser résonner des voix qui viennent aussi d’autres coins de la France, et ça fait forcément du bien.

Vingt Dieux de Louise Courvoisier avec Clément Faveau, Maïwène Barthélémy, Luna Garret, sortie en salles le 11 décembre

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