Séries Mania 2024 : Il Camorrista de Giuseppe Tornatore, rencontre avec une série ressuscitée

En septembre 1986, le jeune Giuseppe Tornatore sort en salles son premier long-métrage Il Camorrista (Le Maître de la Camorra), qui lui vaut un bel accueil critique dont le Ruban d’argent du meilleur réalisateur débutant décerné par le syndicat des réalisateurs italiens. Dans la foulée, le cinéaste transalpin signe son plus grand succès critique et public, Cinema Paradiso avec Philippe Noiret, Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 1989 et Oscar du meilleur film étranger. Entre temps, son premier film, lui, disparaît de la circulation, et le cut version série prévue pour la télévision italienne aussi. En cause : les pressions de la part de la Nouvelle Camorra Organisée (NCO), la toute puissante née des cendres de la Camorra napolitaine originelle, et de son chef Raffaelle Cutolo. Il faut dire que le film de Tornatore est un biopic à peine déguisé de Cutolo et de l’ascension de celui que l’on surnommait “Le Professeur”, sous les traits de Ben Gazzara, entre autres inoubliable compagnon de route de John Cassavetes.

Quarante ans après sa non-sortie, Il Camorrista reprend vie dans une version restaurée présentée cette année au festival Séries Mania. Mené par Guido Lombardo, fils du producteur Goffredo Lombardo à l’origine du projet et patron des studios Titanus (à l’origine notamment de Rocco et ses frères et du Guépard de Visconti), ce projet de restauration a redonné vie aux cinq épisodes d’Il Camorrista, dans l’attente d’une diffusion française à venir. Nous avons pu rencontrer Guido Lombardo pour parler de l’histoire débridée d’une série au destin aussi riche que ses personnages.

Le pitch d’Il Camorrista : “Le chef de la Camorra, surnommé « Le Professeur », dirige la mafia depuis la prison. Grâce à l’aide de sa sœur dévouée, Rosaria, l’homme réussit à s’échapper de prison et à créer une organisation criminelle qui infiltrera tous les niveaux de la société”.

Avant de devenir une série, Il Camorrista fut d’abord un film, le premier de Giuseppe Tornatore avant qu’il ne connaisse un succès mondial avec Cinema Paradiso. Comment votre père a-t-il rencontré Giuseppe Tornatore, qui était encore inconnu à l’époque?

C’est une longue histoire. Quand Giuseppe Tornatore a commencé à travailler, il était second assistant au scénario sur un film qui s’appelait Cent jours à Palerme (de Giuseppe Ferrara) pour la Titanus, qui était gérée par mon père à l’époque, et ils n’avaient plus d’argent sur le tournage. Le metteur en scène a alors dit à Tornatore de finir les dernières scènes secondaires, celles qui au final étaient les meilleures du film. C’était une opportunité rêvée pour Tornatore, c’était ce qu’il voulait faire depuis toujours, même s’il a dû tourner  sans argent. Et quand papa a vu les scènes tournées par Tornatore, il a immédiatement demandé à le rencontrer. Il était impressionné de voir le résultat de la part d’un mec qui n’avait que 27 ans à l‘époque.

Avant d’entrer vraiment dans la vie de la série, je voulais m’intéresser à la raison d’être de ce projet de doubler le film de Tornatore d’une version sérielle…

Aussi talentueux qu’était Tornatore, il n’avait jamais rien fait. Il avait 27 ans, c’était un petit bonhomme tout petit, tout frêle. Et en face, on était la Titanus, la plus vieille société du monde du cinéma, on fête d’ailleurs nos 120 ans cette année. Le Guépard, Rocco et ses frères, c’était nous. C’est papa qui a donné à Sophia Loren son nom de scène. Donc quand Tornatore a rencontré mon père, il en menait pas large. Et au final ils se sont tout de suite tutoyé avec Tornatore, chose que mon père ne faisait jamais. Mais il a senti une personne qui aimait le cinéma comme rarement. Tornatore lui parle alors du bouquin de Giuseppe Marrazzo à l’origine du film, dont il voulait acheter les droits. Le problème, c’est qu’il racontait la naissance de la nouvelle Camorra, c’est-à-dire la Camorra napolitaine, un sujet compliqué. Le pire c’est que Tornatore n’a rien de napolitain, c’est un mec de 27 ans, Sicilien, qui n’avait encore jamais rien fait de sa vie! Papa a quand même lu le scénario, et il lui a répondu : ”C’est bien beau tout ça mais il y a deux problèmes : premièrement, même si c’est pas marqué noir sur blanc, le livre parle de Rafaele Cutolo (le chef de la nouvelle Camorra, un des plus influents chefs mafieux d’Italie, NDR) qui était encore bien vivant et pouvait tous nous faire tuer. Et deuxièmement, c’est trop cher à produire”.

Comment cette histoire s’est-elle réglée?

Tornatore a alors tenté un truc exceptionnel. Il a appelé Gigi Proietti, un acteur très populaire en Italie qui était aussi un ami, en disant, et lui a demandé de lui prêter son restaurant pour le lundi soir suivant. Il a appelé Ben Gazzara, il a appelé Marazzo il a appelé toute la presse et il a convoqué une conférence de presse dans le dos de mon père! Toute la presse italienne était là car tout le monde savait que le Professeur, comme il est décrit dans le livre et le film, c’était Cutolo. Tout le monde se posait la question  comment il va le faire, son film ? Et devant les micros, il dit : “Je vais le faire avec la Titanus, avec Monsieur Lombardo”, mon père. Le lendemain matin, Tornatore a fait la tournée des kiosques de presse pour acheter un exemplaire de chaque journal pour le mettre dans la boîte à lettres de la Titanus. Mon père l’a convoqué le jour même à quatre heures de l’après-midi pour l’engueuler. Et c’est là qu’il a eu l’idée d’accepter le film, à condition qu’il en fasse aussi une version pour la télé pour trouver des financements. A l’origine, il devait y avoir quatre épisodes, qui sont devenus cinq. C’est un sacré pari qui nous a coûté une fortune : le film seul nous a coûté à l’époque 5 milliards de lires, à peu près 17 millions d’euros, c’était une folie.

La série tient en grande partie sur les épaules de Ben Gazzara, qui a tourné dans pas mal de films italiens mais qui était principalement associé à sa carrière hollywoodienne. Avez-vous des souvenirs du tournage avec lui? 

Oh oui, j’en ai plein. Ce qui me marquait principalement chez lui, ce sont ses silences. Il avait une présence à l’écran incroyable.

Le film a rapidement disparu des écrans, et la série n’a finalement jamais vu le jour. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui s’est passé?

Dès que le film est sorti, les gens de la Camorra ont eu vent du projet et ont fait pression pour le faire retirer des salles. Ils ont intenté un procès contre nous, qu’ils ont fini par perdre. Mais le mal était fait, ça a complètement bloqué le film. On avait peur de la Camorra et de son influence, et pourtant on avait des appuis puissants avec nous comme Berlusconi, qui co-produisait le film avec la Reteitalia.

Raffaele Cutolo est mort en 2021. Est-ce que vous avez senti que son décès avait permis de relâcher l’étreinte de l’organisation autour du projet? Est-ce que cela vous a aidé à ressortir la série des cartons?

Ah, non, pas du tout, ce n’est pas comme ça que ça s’est passé de mon côté. J’ai eu l’idée il y a deux ans car avec Tornatore on ne s’est jamais quitté. À chaque fois qu’on se voit, on se serre dans les bras. Tornatore adorait mon père, et a toujours été reconnaissant envers lui. Même quand il a remporté un Oscar pour Cinema Paradiso, il a apporté à mon père une bouteille de champagne pour célébrer. Et pourtant Tornatore est connu comme quelqu’un de très dur. Quand tu t’engages avec lui, tu sais quand tu commences, mais pas quand tu finis. En ce qui concerne la série je suis retombé sur les deux épisodes il y a environ deux ans et j’ai eu tout de suite envie de replonger dans le projet. Tornatore a signé tout de suite, sans même parler d’argent.

Comment s’est passée justement la restauration? Dans quel état étaient les rushs d’origine et étaient-ils complets?

Ça nous a coûté une fortune. On a mis un an pour le faire et ça nous a coûté près de 700.000 euros. On a tout restauré photogramme par photogramme. On a même retrouvé et retravaillé les bruits d’ambiance de l’époque, comme pour les scènes de prison car à l’époque, on avait pu tourner dans une vraie prison. On a travaillé avec le chef opérateur (Blasco Giurato, décédé en décembre 2022) et avec le compositeur (Nicola Piovani) de l’époque. Au final Tornatore n’a coupé que 4 à 5 minutes par rapport au montage initial de la série. Et le résultat est incroyable, on dirait que ça a été tourné à notre époque. La série ne fait pas du tout ses 38 ans.

Pour ceux qui avaient vu le film à l’époque comme pour vous, qu’est-ce que le format série apport de différent par rapport au film original?

Entre le film et la série, je préfère la série. Parce que c’est pas un film allongé ou découpé en morceau, chaque épisode est en soi un film.. La série est une collection de films. Souvent quand on adapte un film qui marche, lorsqu’on le fait en série, l’ensemble a l’air allongé, dilué. Tornatore, lui, écrit plein de choses qui prennent vie sous la forme de la série.

Et même si c’est une série de télévision, qu’est-ce que ça vous fait aussi de présenter Il Camorrista à Lille et de la découvrir projetée sur un grand écran, dans une salle de cinéma. Là où a commencé cette histoire en fait.

J’ai été très touché des retours du public qui m’ont dit que c’était fantastique. C’est la différence avec la télé, on peut avoir un retour immédiat des gens. Les cinémas sont essentiels. On estime qu’en Italie, jusqu’à 85% des cinémas ont fermé ou vont fermer dans les années qui viennent. Donc, même un studio comme le nôtre, l’industrie cinéma entière finit par se convertir aux séries.

Il Camorrista de Giuseppe Tornatore, avec Ben Gazzara, Laura del Sol, Leo Guillotta…, date de diffusion française encore inconnue

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