Le Vourdalak : le sang de la veine

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Rien que sur le papier, il y avait de quoi s’emballer. Un film de vampire avec une French touch, adapté d’une nouvelle prédatant de 50 ans le texte emblématique de Bram Stoker ? La productrice Judith Lou Levy a expliqué au réalisateur Adrien Beau vouloir réaliser un film de vampire avec lui, et voilà ce qu’il lui a proposé. L’histoire d’un aristocrate français perdu dans des forêts mystérieuses quelque part à l’Est de son pays, qui rencontre une famille de paysans dont le patriarche revient de la guerre devenu monstre… Avouez que ça vend du rêve.

Le Vourdalak est un film désarçonnant à bien des égards. D’abord par cette approche légèrement décalée de la figure vampirique ; avant d’être canonisé comme le grand noble aristocrate terrifiant et séduisant en la figure de Dracula, le vampire existait déjà. Mais il pouvait prendre les traits de n’importe qui, comme celui d’un père de famille désormais désireux de boire le sang de sa propre famille ; des êtres chéris et aimés. Le Vourdalak, c’est cette version plus rurale du vampire donc, celle d’un patriarche dont la domination autoritaire sur sa famille ne peut que causer malheur et tragédie.

Mais c’est bien plus dans sa forme filmique que le long-métrage d’Adrien Beau étonne. Le film se passe intégralement dans une forêt sombre et majestueuse (qui n’est pas dans l’est de l’Europe mais à Rodez, restez avec nous pour plus d’anecdotes rigolotes), et semble venu d’un autre temps. La photographie en 16mm ajoute à cette mystique et installe une distance avec le spectateur qui fait entrer le film dans une forme nouvelle ; celle d’un conte sorti d’une malle poussièreuse, ou d’un songe arraché à un quelconque rêveur à l’imagination fertile.

Il faut reconnaître que Le Vourdalak commence par être quelque peu mal aimable. De par sa nature singulière, il nous faut du temps en tant que spectateur pour trouver notre chemin dans la forêt, à l’instar du héros le marquis d’Urfé. Avec son visage poudré et ses talons hauts, il n’est absolument pas à sa place dans ce monde et il le fait sentir sans cesse. Son décalage avec la famille du Vourdalak fait même naître beaucoup d’humour ; le jeune homme incarne tout le ridicule de la cour et de la noblesse, qui n’en a tristement que le nom. C’est d’ailleurs son parcours personnel dans le film que d’apprendre à incarner ce qui serait vraiment être noble.

Et puis, petit à petit, on pénètre dans cette maison de pierre cachée dans la forêt, et on apprend à connaître chacun des membres de la famille du père Gorcha, qui lui est devenu le Vourdalak. De cet humour décalé, on transitionne vers l’absurde à la première apparition de la créature. Le vampire est une marionnette à la présence éthérée, manipulée par le réalisateur Adrien Beau (qui prête aussi sa voix au personnage, je vous avais promis des anecdotes rigolotes) et par Loelia Herissé, dont l’étrangeté si vite acceptée par les personnages vient nous heurter de plein fouet. Lors de cette scène de repas, le teint pâle et ridicule du maquillage du marquis fait écho à la blancheur cadavérique du squelettique Vourdalak, comme une manière de sceller une destinée et de préfigurer la fin du film et le futur de la créature vampirique : elle est amenée à rejoindre l’aristocratie à l’avenir.

Et puis vient l’horreur. Après avoir joué avec les codes du genre, il le rencontre frontalement et vient référencer les premiers films expressionnistes par l’utilisation des ombres, et tout n’est plus que fatalisme à partir de là : impossible de bien s’en sortir. C’est là où Le Vourdalak devient génial ; après avoir laissé se succéder ces approches différentes, il les combine toutes pour continuer à nous amener en terrain inconnu. Lorsque la peur panique devrait s’installer, on se retrouve soudain devant une incroyable scène de danse. Lorsque le romantisme revient au galop, il est chassé par l’effroi. Et l’humour persiste, encore et toujours, car il est et sera toujours le jumeau de l’horreur. Le tout accompagné par une musique originale remarquable de Martin Le Nouvel et Maïa Xifaras qui semble tout droit sortie de l’époque où à été écrite la nouvelle (d’ailleurs l’auteur est un cousin du célèbre Tolstoi, c’est ma dernière anecdote rigolote), et qui permet de rassembler tous les éléments disparates du film pour en faire un tout cohérent, à la fois poétique et politique.

THE VOURDALAK – WTFilms
Moi quand je vais aux toilettes la nuit et que je ne connais pas les lieux

Cette tension entre un film poétique et un film politique se ressent à travers le parcours de tous les personnages de la famille du Vourdalak. Leurs réactions plurielles au retour de leur père devenu monstre les installe dans une tragédie qui a tout du romantisme ; notamment pour le personnage d’Ariane Labed, jeune femme qui s’interdit d’être rêveuse par peur de se perdre. L’aveuglement du fils aîné tient de la tragédie aussi, tant il condamne son propre enfant à subir les affres de son grand-père démoniaque prêt à vampiriser toute sa lignée. Le seul à se rebeller est le jeune cadet effeminé, comme en constraste avec la figure autoritaire et masculine d’un patriarche à qui tous doivent le respect et la soumission.

Vous l’aurez compris, Le Vourdalak est une proposition de cinéma les plus singulières que l’on a pu voir ces dernières années. C’est un film qui se mérite, et qui saura vous emmener en voyage là où aucun autre ne l’a fait cette année. A votre tour de vous perdre dans la forêt, désormais.

Le Vourdalak, un film d’Adrien Beau, produit par Judith Lou Lévy, co-écrit par Hadrien Bouvier. Avec Kacey-Mottet Klein et Ariane Labed. Au cinéma le 25 octobre 2023. 

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1 thought on “Le Vourdalak : le sang de la veine

  1. J’ai vu la bande-annonce, et j’avoue que les scènes étaient dérangeantes. Ce n’est pas une mauvaise chose, cependant, car ce film sort définitivement des sentiers battus. Il est différent des productions françaises habituelles, ce qui est un bon point.

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