Comme un lundi : Travailleur, travailleuse, on vous pigeonne

Ah, la reprise post-estivale. Retrouver son bureau, ses collègues, redécouvrir une routine qu’on espérait avoir oublié pour finalement déchanter en douze secondes chrono : chaque geste, chaque email et tâche de ce travail ingrat est désormais inscrit dans notre ADN. Oui, on déteste le travail, mais on le déteste encore plus quand on rentre de vacances.

Quelle bonne idée a eu l’Etrange Festival de proposer alors un film sur l’aliénation des travailleurs dans un monde capitaliste ? Le très ingénieux Comme un lundi, premier long-métrage du jeune Ryo Takebayashi, s’inscrit dans l’héritage d’Un jour sans fin et le revisite dans un open space : des travailleurs d’une boîte de marketing revivent la même semaine en boucle sans savoir comment s’échapper.

Un concept intelligent, car tout de suite évident pour un public contemporain : la répétition des tâches ingrates et peu stimulantes dans le monde du travail nous donne aussi à nous l’impression que les semaines se ressemblent trop. Même l’actualité qui bourdonne dans nos oreilles et sur nos écrans de jour en jour semble être en boucle sans fin : un scandale islamophobe pour détourner l’attention, la crise écologique, Jean Dujardin qui fait le super-français ultime à la télé, une célébrité accusée de violences sexuelles, un politique accusé de violences sexuelles… Le déjà-vu jusqu’à l’écoeurement est devenu notre quotidien. On se projette très facilement dans Comme un lundi, et ce même avec une certaine spécificité du monde du travail japonais que l’on voit mise en scène dans le film. Peu importe les détails : le sentiment est là. Et puis l’humour fonctionne bien.

La vraie bonne idée du film, c’est justement de jouer sur le fait que le travail est répétitif même sans une boucle temporelle : les personnages coincés dans la boucle n’en ont pas réellement conscience. Ils vont devoir ainsi s’en rendre compte un à un avec l’aide des autres, afin de sortir leur torpeur et d’agir ensemble pour casser le rythme de ce cycle infernal. A leur avantage, un pigeon qui lors du lundi matin de cette semaine éternelle s’écrase sur la vitre, qui devient un symbole de ralliement pour les employés, un appel à se réveiller.

L’autre bonne idée repose sur le personnage principal, la jeune et brillante employée Akemi Yoshikawa (Wan Marui). Obsédée par son travail au point de dormir au bureau régulièrement et de détruire sa relation amoureuse, elle réagit de manière assez inattendue à la boucle temporelle. Plutôt que d’y voir un piège cauchemardesque, Akemi y voit la possibilité de se perfectionner et de proposer à leurs collaborateurs un travail plus qu’irréprochable. L’aliénation illustrée par un simple personnage.

Loin d’être parfait, Comme un lundi a tout de même des soucis de mise en scène et de clarté dans son déroulement, avec un petit ventre mou en milieu de film – ce qui arrive souvent sur un premier long-métrage. Pour autant, il arrive à retomber sur ses pattes admirablement dans son dernier tiers, où le véritable propos finit par émerger. La comédie laisse la place à une émotion plus directe, et les rires viennent nous serrer le coeur.

Ce que le cinéaste vient questionner n’est finalement pas l’horreur du travail répétitif, abrutissant et chronophage en tant que système d’exploitation des travailleurs, mais l’aveuglement dont nous sommes tous capables pour nous protéger d’une réalisation paralysante : et si j’étais en train de gâcher ma vie ? Ai-je eu raison de faire ce métier épuisant mais pour lequel je suis bien payé, plutôt que de poursuivre mes rêves ? Dans ces derniers instants, Comme un lundi s’adresse à toutes les personnes créatives, les artistes qui se sont laissés convaincre qu’essayer seulement n’en vaut pas la chandelle, pour leur dire : le plaisir est dans l’essai.

Comme un lundi, un film de Ryo Takebayashi, sortie au Japon en 2022 et diffusé à l’étrange festival 2023.

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