Autour de Conann : les expériences barbares de Bertrand Mandico

Quelques mois après avoir présenté son nouveau long-métrage à la Quinzaine des cinéastes, Bertrand Mandico revient dans un de ses temples cinéphiliques, l’étrange Festival, pour y présenter deux courts-métrages. Petit retour en arrière.

Un beau jour (je n’y étais pas mais supposons qu’il faisait beau et chaud, le déréglement climatique me donne plus facilement gagnant sur ce pari que Pascal sur le sien), le directeur du célèbre théâtre Les Amandiers (non, ce n’est pas Louis Garrel) propose à Bertrand Mandico de faire une pièce. Ce dernier lui répond alors que s’il fait ça, ce serait forcément un peu barré et issu de la culture pulp qui lui plaît tant. Comme par exemple Conan le barbare.

Et c’est alors que Mandico se lance sur une pièce de théâtre bizarroïde autour de l’univers de Conan le barbare revampirisé à sa sauce : Conan gagne un N et devient Conann, et une barbare. Car s’il y a bien une chose que le cinéaste apprécie, c’est jouer avec les genres. Bon, et les femmes. Oui ça fait deux choses. Bref, le Covid vient foutre la merde et surtout les théâtres sont fermés par le gouvernement de la fin octobre 2020 jusqu’à avril 2021. Pendant ce temps, Mandico a un décor, un théâtre, et des comédiennes… Alors que fait-il ?

Il fait quatre films.

Vous avez bien lu.

Il y a Conann, le long-métrage diffusé à Cannes et tourné au Luxembourg dans lequel les actrices interprètent toutes différentes versions du personnage désormais féminisé. Il y a aussi une version filmée et transformée de ce que devait être la pièce, qui sortira à priori en 2024. Et entre ces deux projets long format, Mandico réalise deux courts-métrages expérimentaux sur la scène du théâtre des Amandiers.

Rainer, a Vicious Dog in Skull Valley et Nous les Barbares

Moi quand j’ai trempé mon couteau dans la confiture de fruits rouges Bonne Maman

D’un long plan panoramique, on traverse le décor de dark fantasy du Conann de Mandico, épique, macabre et déluré. Christophe Bier joue Octavia, une sorte d’alter ego de Mandico qui tente de mettre en scène son spectacle. On sent au coeur du projet une envie de représenter le côté répétitif et claustrophobe de la période Covid (ce qui ne veut pas dire que le Covid a disparu, continuez à faire attention à vous s’il vous plait), et tout un questionnement sur la perte de sens de la fabrique de l’art quand le public disparaît.

La répétition cyclique, à la fois formelle et textuelle puisque les répliques se répètent en boucle aussi, passant de bouche en bouche de scène en scène, épouse parfaitement l’idée d’une mythologie comme celle de Conan le Barbare.

Ce personnage, inventé par Robert E. Howard en 1932, a été pensé sous le modèle de légendes fondatrices, dans des courts récits à la temporalité absurde. Il n’y a pas de chronologie absolue, ni de parcours tout tracé, seulement quelques idées. Les royaumes et les peuples inventés par Howard ont des noms qui ressemblent à ceux de nos ancêtres afin de donner l’impression qu’ils viennent d’un lointain passé que nous aurions oublié, mais qui perdurent tout de même un peu en nous. Ainsi Mandico, coincé dans la répétition (au double sens du terme) s’enfonce profondément dans une mythologie qu’il ramène à la sienne : les femmes, la mort, le sexe, l’animalité, la pellicule de film bien sale et le faux cinemascope à l’italienne. Il n’est d’ailleurs par surprenant de voir Pacöme Thiellement, grand spécialiste de la question mythologique dans la pop culture, dans les remerciements du générique de fin. On est exactement à la frontière entre le pulp et sa réputation de divertissement grossier, et les grands arts nobles et dramatiques.

L’intérieur du crâne de Mandico à chaque instant doit ressembler à ça

On pourrait reprocher à Mandico sur ce genre de projet un côté poseur, un décalage et un refus de l’évidence narrative (là où les nouvelles de Conan sont limpides et très directes), mais la richesse visuelle ahurissante de ses propositions empêche toute forme de condamnation de cynisme. La distance brechtienne que le cinéaste s’impose ne va pas à l’encontre d’une sincérité folle qui se retrouve à l’image constamment. On aura rarement vu dans le septième art des univers graphiques aussi inhumains, irréels et en même temps absolument et totalement palpable. Bref, plein de gros mots pour dire que ce court-métrage semble être une matérialisation totale de l’esthétique d’Elden Ring ou de Berserk, et que j’ai bavé comme un connard devant chacun des plans du film tant les décors et les costumes et accessoires sont d’une beauté stupéfiante.

Le deuxième court-métrage Nous, les barbares a eu contre lui le fait d’être diffusé après le précédent. Car s’il est très intéressant aussi, notamment dans ce qu’il raconte des angoisses des actrices piégées dans cet univers, sa forme et son propos est en partie une redite de Rainer. Mais les visuels sont encore une fois époustouflants, donc je lui pardonne tout.

Nous les Barbares et Rainer, a Vicious Dog in a Skull Valley, des films de Bertrand Mandico, diffusés en 2023 à l’étrange festival. Avec Elina Löwensohn, Nathalie Richard, Christophe Bier, Camille Rutherford, Claire Duburcq…

About The Author

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.