Les Gardiens de la Galaxie Vol. 3 : Come on Rocket boy, do the do-do-do

Quand Marvel n’émerveille plus

Avec le temps et les succès accumulés au box office, le désormais très identifiable Marvel Cinematic Universe s’est construit une réputation dans la production de blockbusters décents. Oui, je ne vois pas de meilleur mot pour le résumer : c’est décent. A peu près correctement écrits, à peu près filmés convenablement, avec un bon casting qui fait le taff sans briller. On limite les risques en mettant majoritairement en avant les stars, quitte à annihiler le potentiel iconique des masques de super-héros en les faisait disparaître (comptez donc le nombre de minutes où Peter porte son masque d’araignée dans la trilogie Spider-Man), on dose les enjeux dramatiques avec de l’humour et on balance de l’action mais sans trop de bravoure non plus.

On peut contre-argumenter que les prises de risque avaient lieu ailleurs, et c’est vrai. Black Panther, Captain Marvel à leur échelle ressemblaient un peu à de l’audace mais on reste tout de même dans un cinéma très sage. Non, la véritable originalité et particularité était bien sûr le concept d’univers partagé : la manipulation de tout un tas de personnages qu’on retrouve de film en film en donnant l’impression d’un tout globalement solide et qui a connu une première vraie conclusion avec Endgame en 2019. Mais depuis…

C’est compliqué. Malgré un succès conséquent au box office pour le Spider-Man No Way Home, l’ensemble de la production Marvel depuis quatre ans ressemble à un accident industriel. Là où la marque de fabrique jusqu’ici était de s’assurer que rien ne dépasse du coloriage tout en s’assurant que le dessin lui-même soit à peu près regardable, là ce n’est plus le cas. Il est très, très moche le dessin. Du genre que si ton fils te donnait un dessin comme ça tu le déchirerais devant lui en lui ordonnant de se sortir les doigts. Par dessus le marché (qui va mal, donc), le studio est grandement déstabilisé à la fois, par une réception critique assassine sur ses dernières productions Ant Man 3 et Thor 4 (alors que jusqu’ici la presse, américaine du moins, avait fait preuve de beaucoup de clémence envers Marvel), mais surtout par des troubles en interne. Le renvoi de la productrice Victoria Alonso, le cas de Jonathan Majors accusé de violences par une femme… L’empire de Kevin Feige s’effondre sous ses pieds.

Le seul bon rôle de Chris Pratt au cinéma est de retour…

Et soudain surgit face au vent…

Qui aurait cru il y a dix ans que le film qui pourrait bien sauver Marvel de la « super hero fatigue » serait un film les gardiens de la Galaxie ? Réalisé par James Gunn, enfant terrible de la génération Troma, habitué aux films dérangeants et gores de tout poil ? En 2014, le premier volume des Gardiens de la Galaxie avait surpris tout le monde en installant instantanément dans la culture populaire des personnages de comics que même les fans ne connaissaient pas vraiment (faites pas semblant les nerds qui lisent ces mots. On n’avait pas tous lu le run de Dan Abnett avant d’entendre parler du film), Rocket Racoon et surtout Groot en premier lieu.

Malgré la nécessité de jouer la sécurité dans un film Marvel, le réalisateur James Gunn avait réussi à proposer un récit certes calibré et très en phase avec les attentes qu’on pouvait avoir d’un film de franchise, mais qui avait vraiment du cœur. Ses personnages étaient plein de fêlures ; ils étaient bêtes, drôles, tristes… Et ils étaient super cool. Ils n’étaient pas vraiment des super-héros, mais plutôt les héritiers de l’équipage du Serenity de la série Firefly, ou des héros de Saga de Brian K. Vaughan. Du space opéra à la cool où la musique est bonne, qu’elle sonne et qu’elle guide nos pas… On voulait tout de suite faire partie de la bande.

Le deuxième volume n’a pas du tout fait l’unanimité. Moins bien rythmé, lourdingue dans l’humour et pas toujours facile à suivre, il cache pourtant en son sein les germes de tout ce qu’on est en droit d’attendre au cinéma : des débordements. Pour la première fois dans un Marvel, la structure académique commençait à s’effriter. James Gunn ne respectait plus du tout son coloriage et se permettait de se vautrer dans la gaudriole d’un côté et le sentimentalisme à outrance de l’autre. Le résultat est un film maladroit et bancal, mais qui l’est uniquement parce que son cœur est encore plus gros que celui du premier. De quoi promettre un troisième et ultime volet particulièrement intéressant.

L’exil et le retour du héros

Après cela, vous connaissez sûrement l’histoire : la fachosphère déterre des tweets supprimés de James Gunn, dans lesquels il faisait des blagues de très mauvais goût (pédophiles, par exemple). Des tweets pour lesquels il s’était déjà excusé publiquement, d’où la suppression, expliquant qu’il était jeune et con et voulait devenir une meilleure personne. Mais le mal était fait et Alan Horn, président de Disney, décide de le renvoyer. Il aura fallu tout le casting et les équipes techniques des Gardiens, ainsi que l’intervention de Kevin Feige pour le faire changer d’avis. James Gunn revient terminer sa trilogie aujourd’hui avant de repartir définitivement chez Warner où il dirige depuis octobre l’univers DC Comics.

Un élément qui n’est absolument pas anodin puisque lorsque Gunn revient pour faire son dernier film chez Marvel il a non seulement expérimenté la réalisation d’adaptation de comics chez Warner mais aussi acquis un nouveau statut professionnel que d’autres réalisateurs pourraient lui envier : c’est désormais un décideur. Et en tant que décideur, le voilà soudain en pleine possession de ses moyens ! Qui va l’empêcher de réaliser son film exactement comme il le souhaite ? Personne. Que pourraient-ils faire, le virer encore une fois ?

Et soudain, Marvel sort un bon film

Mais ouais quoi. Un bon film, putain. Une narration compréhensible et aux enjeux clairs et efficaces, des personnages identifiables et intéressants, de la mise en scène (dans un Marvel ?!) à la fois dans l’action et les moments plus posés, un montage riche et intéressant, des effets visuels réussis… On a même droit à un plan séquence de baston ultra chorégraphié et bien chiadé dans la dernière demie-heure. Soit le genre de trucs qui semblait être impossible dans le MCU d’aujourd’hui, où les décideurs sont obligés de changer d’avis quinze fois pour valider un seul plan, ruinant par la même toute possibilité créative du côté des artistes et des techniciens.

Et mine de rien, ça fait bizarre. On s’était habitués aux festivals de bouillasse CGI immonde, à l’absence d’arcs narratifs, aux actes manqués, et voilà que James Gunn propose un vrai film, qui raconte quelque chose. Et qui ressemble véritablement à son medium d’origine en fait : un récit où l’auteur n’a aucun droit sur ses personnages au delà du moment où ils sont entre ses mains. Pour récapituler un petit peu, entre le deuxième volet des Gardiens et celui-ci, les personnages sont apparus dans deux films Avengers. Avec de sérieuses conséquences puisque Gamorra, l’amoureuse de Peter Quill/Star-Lord et fille de Thanos, avait été tuée par ce dernier. Puis une version antérieure d’elle a été ramenée dans le présent, mais qui n’a jamais connu les gardiens. Est-ce que c’est quelque chose que James Gunn avait souhaité pour ses personnages ? Apparemment pas, mais c’est le jeu ! C’est maintenant à son tour de récupérer ses protégés et de les chouchouter une dernière fois avant de quitter le navire.

Et par chouchouter j’entends bien sûr les faire souffrir comme jamais, puisque le film s’ouvre sur une attaque d’Adam Warlock (une sorte d’être superpuissant doré créé par le méchant du film et qui a des mommy issues) qui manque de tuer Rocket. Ce McGuffin narratif lance les gardiens meurtris et terrorisés dans une quête pour sauver leur ami qui les mènera à affronter un tyran (le maître de l’évolution) qui se prend pour un Dieu et qui façonne des univers en manipulant et torturant des animaux sans défense. Tyran qui a donc créé Rocket et qui d’une certaine manière son père, ce qui permet à notre raton-laveur préféré d’avoir lui aussi des daddy issues. Sans déconner, est-ce que James Gunn est capable d’écrire un film où l’intégralité de ses personnages n’a pas de conflit irrésolu avec ses parents ? Non, il n’en est pas capable et c’est tant mieux. Continue mon gars, on a tous des daddy issues ça nous parle tes histoires.

Face à la menace de la mort, Gunn évite l’écueil du film précédent et parvient à mieux doser les phases d’humour qui plutôt que de désamorcer la dramaturgie viennent souligner la camaraderie de cette bande d’adultes enfantins. On peut même le dire, l’ensemble est foncièrement triste ; les personnages passent leur temps à s’engueuler, se balancer des mots dans la figure comme des coups de poing… Mais qui font vraiment mal. Sans parler de la partie flashback sur Rocket qui raconte son enfance dans les cages immondes du maître de l’évolution, en compagnie d’animaux bioniques modifiés et torturés qui sont ses amis rêvant de liberté. Ouais, vous allez voir arriver un lapin avec des pattes d’araignées et un masque de Robocop sur la bouche (et dire que les jouets de Sid dans Toy Story avaient traumatisé des gosses… James Gunn n’en a vraiment rien à foutre), et vous allez chialer.

A ce sujet, le film est vraiment très énervé sur le sujet de la maltraitance animale. Si ce n’était pour une scène post-générique totalement incompréhensible au vu du propos du reste du film (a-t-elle été tournée par James Gunn ? Probablement, mais c’est vraiment bizarre), on pourrait même considérer ça comme un film animaliste dans sa volonté d’affirmer que toutes les créatures vivantes méritent d’être traitées décemment, ce qui n’est pas surprenant au vu des positions du réalisateur sur le traitement des animaux.

« Mais t’étais pas bleue dans Avatar ? »

Marvel et le Maître de l’Evolution

Il ya des défauts aussi, bien sûr. Adam Warlock qu’on cite plus haut est clairement de trop dans le film et n’a pas assez de matière dans un film très dense pour exister pleinement. Ce qui est plutôt miraculeux en vérité, c’est que tous les autres personnages arrivent à se faire une place et être intéressants, parce qu’il y en a une bonne trentaine. Dont la chienne russe Laïka, qui a des pouvoirs de télékinésie. Et un énième rôle bête et méchant de Nathan Fillion.

Certains trouveront le film trop long, trop tire-larmes aussi. Et ça se comprend… Mais c’est là aussi la force de ce qu’accomplit James Gunn sur le film. Exit le cahier des charges, exit le coloriage tout propre, on assiste à la démonstration d’un réalisateur qui a une volonté jusqu’au-boutiste de cracher son amour pour ses personnages. Dès le premier film il voulait montrer comment l’unité fait la force et comment plusieurs bras cassés ensemble peuvent former un seul bras fort et solide. Cette fois-ci il va beaucoup plus loin et semble même s’en prendre à l’approche écrasante et sans risques de Marvel au cinéma.

Parce que plus que des bras cassés, ce sont des freaks. Et soyons honnêtes, on avait jamais vu un film du MCU aller aussi franchement dans l’horreur visuelle, le grotesque et le visqueux bien beurk. Les manipulations génétiques du maître de l’évolution, qui tente de construire son utopie, sont dégueulasses. Gunn ose la laideur, il va puiser dans son passé sur Slither ou Dawn of the Dead et il y va aussi franchement qu’il peut se le permettre dans du PG-13 en 2023. La métaphore n’est pas très subtile : on a d’un côté l’être tout puissant qui tente de se construire un univers uniforme et sans saveur, et qui pour cela écrase et massacre tout ce qui ne correspond pas à ses attentes. Et de l’autre on a des monstres. Le volume 3 des Gardiens de la Galaxie n’est pas qu’une simple célébration de la différence, c’est une note d’intention pour le blockbuster moderne : on arrête de lisser et d’arrondir les angles et on se fait plaisir. Comme le dit Rocket dans le film « j’arrête de fuir » : que les auteurs fassent entendre leurs voix véritables au sein de la machine. Quitte à faire un long-métrage de 2h30 qui s’éternisent dans ses adieux façon Retour du Roi, parce qu’il s’en fout Gunn quoi merde, c’est son film.

Est-ce que cela veut dire que le film va marcher ? Non, et à la limite peu importe. Au moins il servira de preuve que l’on peut encore être un artiste dans les rouages d’une industrie de plus en plus impitoyable, et qui mériterait certainement de se faire laminer par des héros monstrueux comme la joyeuse bande dépressive des Gardiens de la Galaxie. Ce que Gunn tentera certainement de faire chez DC désormais… Bonne chance à Marvel pour continuer sans lui !

Les Gardiens de la Galaxie volume 3, un film écrit et réalisé par James Gunn et avec à la bande originale le grand retour du génial JOHN MURPHY PUTAIN ENFIN. Au cinéma le 3 mai 2023

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