Feu follet : les pompiers mettent le feu à la caserne

Si vous m’aviez dit un jour que je trouverai un « film de pompiers » encore plus queer que le Titane de Julia Ducournau ou les séries 9-1-1 et 9-1-1 Lone Star de Ryan Murphy (les hasards du calendrier veulent que cet article sortira à peu près en même temps l’annonce du renouvellement des deux séries, la première sur ABC pour une saison 7, la seconde pour une saison 5 sur FOX, un kamoulox mais passons, je suis heureux), je ne vous aurais probablement jamais cru.

Sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs Cinéastes (oui, on adopte déjà le nouveau nom ici) l’an dernier, Feu follet ferait presque passer les mouvements de danse gênés d’Agathe Rousselle sur le haut d’un camion de pompiers, devant un Vincent Lindon et un parterre de soldats du feu médusés, pour du pipi de chat. Et pourtant, il n’a pas obtenu la Queer Palm, raflée par Joyland. Un prix que le réalisateur portugais João Pedro Rodrigues connaît bien, puisqu’il en a présidé le jury en 2013… et récompensé L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie. Cette fois-ci, c’est l’inconnu de la caserne qui sème le trouble.

Assimilé dans le folklore à l’apparition fugace d’un esprit disparu, le « feu follet » serait ici l’esprit d’Alfredo (Mauro Costa), un roi qui se trouve sur son lit de mort dans les années 2060. Dans un environnement blanc aseptisé ne subsistent que les quelques visiteurs qui lui font des messes-basses, ou son petit-neveu qui joue avec un camion de pompiers et des Playmobil. Derrière lui trône « La Mascarade nuptiale », une immense toile de José Conrado Rosa (et aussi immensément révélatrice des biais racistes de son époque). Dans son état végétatif, Alfredo revisite sa vie passée, quand il a voulu s’affirmer et envoyer valser la royauté pour devenir sapeur-pompier…

On aurait pu vous mettre la photo de scènes légèrement moins vêtues, mais on préfère vous laisser découvrir ça vous-même.

Dans ces flashbacks se mêlent toutes formes d’art (chanson, chorégraphies, références picturales…), une sacrée dose d’érotisme queer et du bon gros n’importe quoi. Bref, de grandes chances que ça plaise à Ryan Murphy en fait, tout ça. Sauf qu’à l’inverse de 9-1-1, les pompiers mettent le feu plutôt que de les éteindre, au sens propre comme au sens figuré. Condensé en une heure et six minutes, format qu’on pensait mort et enterré depuis des lustres (merci aussi à Jonas Trueba et les soixante-quatre minutes de Venez voir), Feu follet pourrait presque se voir comme un cycle de sommeil. Une succession de rêves qui n’ont ni queue ni tête. Quoique, des queues, il y en a un peu partout.

Le séjour d’Alfredo à la caserne revêt évidemment l’aspect d’un voyage initiatique : le prince pense trouver sa véritable destinée et s’affirme en s’appropriant les mots de Greta Thunberg sur l’inaction climatique devant sa famille impassible. Un anachronisme évident, l’intrigue étant censée se dérouler en 2011, mais qui trouve tout son sens à travers la confrontation de la temporalité (les années 2010 vs. les années 2060) et des générations, mais aussi en raison de la présence quasi-permanente de la nature. La forêt et les arbres, proies des flammes qui sont l’objet d’une chanson en introduction du film, mais aussi le théâtre du rapprochement charnel entre Alfredo et son instructeur Afonso (André Cabral). Une fois qu’on a vu tout le film, on revoit totalement l’interprétation des paroles de cette chanson introductive, où dominent finalement le désir, le sexe, la naissance et la vie. Un truc qui ravirait Bertrand Mandico et son île intensément sexuelle dans Les Garçons sauvages… Cet éveil, c’est aussi et surtout celui-ci : dans Feu follet, le désir est présent partout et tout le temps.

Feu follet, un film de João Pedro Rodrigues, avec Mauro Costa, André Cabral et Margarida Vila-Nova. Sortie en salles françaises le 14 septembre 2022. Actuellement disponible à la demande sur MyCANAL via Ciné+.

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