Jean-Marie Poiré & Martin Lamotte : Deux rencontres Splendid à CineComedies

Hormis probablement La Grande vadrouille, peu d’œuvres du cinéma français ont autant les faveurs des diffusions télévisées pendant les fêtes de fin d’année que celles du Splendid. Tête de proue du café-théâtre français dont ils ont fait vibrer la scène parisienne dans les années 70 et 80. Sa composition a changé au fil des années, mais leurs créations, elles, restent gravées dans la mémoire collective, notamment parce qu’elles ont brillamment assuré la transition pas toujours facile des planches au grand écran. Trente-cinq ans après le lancement d’Amour, coquillages et crustacés, les noms de Thierry Lhermitte, Christian Clavier, Marie-Anne Chazel, Josiane Balasko, Michel Blanc, Gérard Jugnot et Bruno Moynot restent associés aux scènes et répliques cultes de cinq films, qui eurent pourtant chacun des fortunes diverses à leur sortie en salles : Les hommes préfèrent les grosses, Les bronzés et sa suite Les Bronzés font du ski, Le père Noël est une ordure et enfin Papy fait de la résistance.

Le service public ayant eu l’idée toujours efficace de programmer Papy fait de la résistance pour ce premier soir de l’année 2023 sur France 2, nous en profitons pour revenir sur notre rencontre il y a quelques semaines, à l’occasion du festival CineComedies de Lille, avec deux compagnons de route historiques du Splendid et de ce bon vieux Papy : Jean-Marie Poiré, flamboyant réalisateur à l’inimitable style mitraillette qui suivit la troupe dès ses débuts, et Martin Lamotte, le « cinquième Beatles » du Splendid, inoubliable Super-Résistant dont il fut le co-géniteur avec Clavier. L’occasion de recomposer avec eux le souvenir de plus d’une décennie qui a marqué pour longtemps le landernau de la comédie hexagonale.

Jean-Marie Poiré : « Les acteurs comiques sont des cancres, et moi j’ai toujours aimé faire des bêtises »

Le Père Noël est une ordure est dans l’esprit des gens votre première grande collaboration avec l’équipe du Splendid mais vos précédents films mettaient déjà en scène certains d’entre eux. Comment avez-vous fait la connaissance de cette troupe et du café-théâtre ?

Comme à peu près tout le monde à l’époque, parce qu’on en parlait beaucoup dans le métier. Pour mon premier film (Les Petits Câlins), j’ai voulu engager Marie-Anne Chazel mais Yves Robert, qui était un des producteurs du film s’y est opposé car il détestait le cafe-théâtre et il la trouvait très mauvaise. Ce qui était très bizarre venant d’un homme comme lui qui avait commencé dans le cabaret. La peur de vieillir ou une forme de jalousie, peut-être… Il m’a dit alors : « Si tu tiens vraiment à prendre quelqu’un du Splendid, prends Balasko alors« , mais toujours sur un ton très paternaliste. J’ai engagé Josiane et on est tout de suite devenus très bons amis. Jugnot, c’est un cas à part : je l’avais déjà croisé rapidement quand j’avais écrit un film pour Lautner (Pas de problème!, 1975). Lautner, lui, il adorait le café-théâtre et le Splendid ; et il m’avait parlé de ce jeune acteur, Gérard Jugnot, qui avait deux répliques dans le film mais qui était formidable. Je lui ai donc donné un petit rôle aux côtés de Josiane dans Les petits câlins, et j’ai parlé de lui à Robert Lamoureux pour qu’il l’engage sur un des Septième compagnie.

Jusqu’ici le nom du Splendid était avant tout associé à d’autres réalisateurs, principalement Patrice Leconte et Charles Nemes…

J’ai rencontré l’équipe du Splendid au complet pendant le tournage des Bronzés font du ski. A l’époque j’écrivais mon deuxième film avec Balasko (Les hommes préfèrent les grosses) et je me suis installé à Val-d’Isère. On écrivait ensemble les jours où elle ne tournait pas et j’allais faire du ski le reste du temps. Et sur des tournages en province comme celui-là, tu finis toujours par rencontrer tout le monde, généralement au moment du dîner. J’adorais leurs pièces, je suis allé voir Le Père Noël… je sais pas combien de fois, surtout qu’ils avaient l’habitude de la jouer régulièrement avec des acteurs différents dans chaque rôle quand d’autres étaient pris par des tournages. A l’époque par exemple, c’était Josiane qui jouait souvent le rôle de Zézette.

Comment avez-vous convaincu Yves Rousset-Rouard, le producteur historique des adaptations du Splendid, de vous confier la réalisation du Père Noël est une ordure ?

Je ne l’ai jamais su. Mon petit doigt m’a dit, mais c’est à prendre avec des pincettes, qu’il y a eu d’intenses tractations. Je pense qu’au départ Rousset-Rouard était très attaché au travail de Patrice Leconte, mais que la troupe avait envie de changement.

Une forme de lassitude, vous pensez ?

Pas vraiment, je pense qu’au fond pour eux Leconte était un peu devenu le metteur en scène de Michel Blanc. Josiane m’avait aussi dit que Leconte était pas emballé à l’origine de faire Les Bronzés font du ski. Mais ce n’est qu’une impression, que j’ai jamais vraiment approfondie ; au fond, je m’en fous un peu. Ce que je sais, c’est que c’est une demande qui est venue des comédiens eux-même. Et puis il faut aussi dire qu’à l’époque, de tous les réalisateurs proches du Splendid et susceptibles de réaliser le film, que ce soit Patrice, Nemes, Philippe Galland, c’était moi qui avait à l’époque fait le plus gros succès en salles vu que Les hommes préfèrent les grosses avait quasiment fait deux millions d’entrées. Je pense que ça a fini de convaincre Rousset-Rouard.

Vous êtes arrivé sur le projet déjà formé d’une troupe, d’une équipe qui se connaissait de par le matériau théâtral original. Comment avez-vous mis votre patte sur la pièce pour le transposer sur grand écran ? Je sais par exemple que l’idée de reconstituer l’appartement et le hall d’immeuble entier dans les studios d’Epinay, c’était la vôtre…

Je ne voulais rien piquer au Splendid concernant l’intrigue, c’était une pièce remarquable, mais elle avait quelques faiblesses. La fin de la pièce par exemple, avec ce cadavre démembré qui se baladait sur scène, n’aurait pas du tout eu le même effet sur grand écran. Le cinéma ne fonctionne pas comme le théâtre, et c’est pour ça que j’ai aussi proposé de réécrire le début du scénario pour le rendre moins absurde. Thierry Lhermitte par exemple était un peu réticent au départ mais je lui expliquais que certains gags pour happy few, comme son manteau coupé en deux comme le manteau de Saint Martin, ça n’allait pas parler à tout le monde.

Vous pensez que le public d’une comédie au cinéma est différent de celui d’une pièce de théâtre ?

Le cinéma par rapport au théâtre c’est froid : on s’installe dans le noir en finissant de tapoter sur son téléphone et de manger son pop-corn, on est pas dans l’atmosphère de partage d’une salle de théâtre. Si vous cueillez directement le spectateur par des gags absurdes, il aura plus de mal à entrer dans un film qu’au théâtre, il va penser qu’il va juste venir voir une connerie. Alors que si vous le plongez dans l’intrigue et que vous le faîtes s’intéresser aux personnages et rire avec eux, là vous pouvez vous permettre de partir dans tous les sens et d’insérer des gags dérangeants, allant à l’encontre même de l’intrigue.

Comment gère-t-on l’écriture d’un film à autant de mains, sachant que l’intégralité du Splendid est créditée à vos côtés au scénario ?

J’ai cru à un moment qu’ils allaient me foutre dehors. La pièce avait été un grand succès, et ils ne voyaient pas toujours l’intérêt de réécrire autant une histoire qui avait déjà trouvé son public. Surtout qu’on écrivait quasiment jamais ensemble en même temps, avec les agendas professionnels de chacun. C’était très anarchique, mais passionnant. Je déteste écrire seul car quand on écrit à plusieurs, c’est comme si on avait déjà un premier public sur lequel on peut tester nos blagues.

Le cinéma par rapport au théâtre c’est froid : on s’installe dans le noir en finissant de tapoter sur son téléphone et de manger son pop-corn

Vous avez évoqué un peu plus tôt la question générationnelle dans la comédie française et le mépris d’une partie de l’ancienne garde pour le café-théâtre. Pourtant s’il est une chose que partagent Le Père Noël est une ordure et Papy fait de la résistance, c’est un goût pour des castings mélangeant les générations, notamment celle du théâtre de boulevard : Jacques François, Jacqueline Maillan…

Peu importe les générations, un acteur de comédie ça n’aime qu’une chose : faire rire, et être capable de le faire. Ça nécessite une énergie phénoménale et très particulière, parce qu’ils sont capables de ne pas être naturels. Plein d’acteurs, et pas tous mauvais par ailleurs, ne jouent qu’en pensant jouer comme les « vrais gens », qui n’ont en réalité rien à voir avec la réalité. Un jour j’ai emmené Christian Clavier au restaurant car il avait peur d’en faire un peu trop dans son rôle. Et je lui ai montré notamment un des serveurs, qui vivait sa vie avec une telle exubérance, qui n’avait rien à voir avec un quelconque réalisme comme on pouvait s’y attendre. Et derrière, les acteurs comiques n’aiment rien de plus que de s’épater mutuellement. Ce sont des cancres, et moi j’ai toujours aimé faire des bêtises. D’ailleurs les acteurs du Splendid n’en avaient pas totalement conscience : ils étaient persuadés par exemple de jouer dans Le Père Noël de jouer leurs parents, des personnages trop vieux par rapport à qui ils étaient, des cons de la génération d’avant mai 68. Alors qu’en réalité ils incarnaient cette nouvelle génération qui rafraîchissaient les codes.

Vos premiers films avec le Splendid portent déjà en eux les prémisses de votre style cinématographique ultra syncopé et saccadé, avec un déluge de plans à la minute qui explosera par la suite avec L’Opération Corned Beef et surtout Les Anges gardiens, personnellement un de mes films préférés de votre filmographie. Est-ce que c’est pour vous une manière d’apporter plus de chaos dans le chaos qui est à l’origine même de la comédie ?

Oui, mais c’était aussi une manière pour moi de suivre l’évolution des goûts du public. J’ai débarqué en voyant arriver les clips musicaux : l’esthétique changeait, la manière de raconter les choses changeait. Je me souviens d’une soirée avec ma grand-mère pendant laquelle on avait regardé un vieux film hollywoodien, un Hitchcock je crois [Sa description de la scène laisse à penser qu’il s’agit du Crime était presque parfait]. Le personnage principal raccroche le téléphone alors que sa femme est en train de se faire assassiner et le plan d’après, on le voit entrer dans son appartement avec fracas. Et ma grand-mère s’est retournée vers moi en me demandant s’il était dans le même immeuble que sa femme. Et j’ai compris que pour elle, c’était nécessaire de montrer le personnage sortir de l’immeuble, prendre un taxi et rentrer chez lui. Mais les spectateurs des années 80, eux, étaient déjà totalement habitués aux ellipses.

Et j’ai senti de plus en plus ce décalage au moment des Anges Gardiens, on en a beaucoup discuté avec Gaumont. Pendant les projections, les vieux avaient l’impression de se retrouver dans Space Mountain à Disneyland, alors que quand on faisait venir des enfants pour des visites pédagogiques encadrées par l’Education nationale, ils écrivaient dans leurs questionnaires que le montage ne leur semblait pas trop rapide. J’ai compris qu’à cette époque que je devais accélérer mes films avant qu’on commence à les trouver chiants. Les gosses, ils voient des films tout le temps, ils zappent, ils sont assaillis par les pubs. Et la pub, je m’y suis frotté à l’époque où j’avais plus d’argent et que j’étais aux abois après le flop fracassant de Mes meilleurs copains. Et même si j’étais tricard, la manière qu’avait la pub de raconter des histoires en même pas trente secondes me fascinait. Pour moi, L’Opération Corned Beef, c’est mon premier film de réalisateur de pub.

Votre carrière restera toujours liée à votre acteur fétiche, Christian Clavier. Vous avez même encore un projet d’adaptation en série d’Au bon beurre de Jean Dutourd en projet. Où en est-il ?

Je ne dirais pas que je suis un fidèle de Christian, je suis surtout reconnaissant que Christian soit resté fidèle à ma pomme. Et oui, on est en train de vendre le projet aux chaînes de télé qui produisent des séries, mais c’est plus long et compliqué qu’avant. Il n’y a plus aujourd’hui des producteurs comme Claude Berri ou Christian Fechner, qui n’avaient qu’à hocher de la tête pour qu’un projet se mette en route. Mais ça va se faire, et je suis très impatient de le faire car c’est un sujet absolument magnifique.

Martin Lamotte : « Une mauvaise idée travaillée sur un an reste une mauvaise idée »

Votre nom est associé, avec Papy fait de la résistance en particulier, à la longue histoire du Splendid que vous avez accompagné depuis leur début. Mais cette histoire a commencé dans le café-théâtre d’en face, celui de la Veuve Pichard…

L’histoire de Papy fait de la résistance est un peu particulière au sens où ça n’a véritablement été ni une collaboration ni une émulation entre les deux troupes. C’est moi et Christian Clavier qui à l’époque avions décidé de travailler ensemble pour écrire une pièce de théâtre qui deviendrait ensuite un film. Et on a toujours eu en tête d’écrire des rôles où l’on inclurait nos amis du Splendid et de la Veuve Pichard. Et Jean-Marie Poiré a également eu une importance considérable pour que le film voie le jour tel qu’il est.

Comment vous est venue l’idée derrière Papy fait de la résistance ? Quel a été le déclic qui vous a convaincu du potentiel de cette idée ?

On avait écrit des tas de projets avec Christian sans qu’aucun nous donne totalement satisfaction. Je me souviens qu’on avait écrit une trame d’histoire qui se passait sous Louis XIV ou Louis XV mais ça n’allait pas. On avait ensuite tenté quelque chose autour de la guerre des Indes avec les Anglais mais ça n’allait pas non plus. C’est quand on a commencé à s’intéresser à la Résistance qu’on a eu le déclic. Le problème, c’est qu’on n’arrivait pas à trouver une fin satisfaisante. Dans nos premiers jets, la baraque saute, explose, et c’est fini. On pouvait pas monter ça, cette histoire avec un Superman de pacotille, ça s’emboîtait pas du tout.

Et comment êtes-vous retombés sur vos pattes ?

Il a fallu un an pour qu’on trouve la solution. Un jour Christian m’appelle pour m’annoncer que le Splendid, c’est terminé. Ils ont dissout la troupe alors qu’ils venaient à peine d’acheter la salle du Splendid Saint-Martin. Il fallait donc que Christian trouve une nouvelle pièce à y faire jouer donc on s’est remis à plancher de nouveau sur notre projet. Et c’est seulement là que nous est venue l’idée d’introduire ce débat télévisé qui venait en quelque sorte dédouaner tout.

Les rôles du film ont-ils toujours été écrits précisément avec leur interprète en tête ?

On avait à cœur d’intégrer tous ceux avec qui on travaillait depuis des années. [Roland] Giraud venait de la Veuve Pichard, Christian et Bruno Moynot du Splendid… Même Marie-Anne, qu’on a choisi pour jouer ma mère alors que je devais jouer un personnage de dix-huit ans, ça fonctionnait. On voulait garder cette énergie particulière car à l’époque Christian et moi étions en même temps par le tournage d’Elle voit des nains partout à Sarlat. On avait même réussi à négocier avec la production pour qu’on alterne le tournage de nos scènes une semaine sur deux pendant que l’autre bossait sur l’écriture et la mise en scène de la pièce. On a tout monté à l’arrache.

Vous deviez vous douter dès le départ que le concept de Papy fait de la résistance allait engendrer une réception parfois houleuse. D’autant que le Splendid à l’époque sortait de l’aventure du Père Noël est une ordure, qui avait déjà connu la polémique avec les affiches du Père Noël est une ordure.

Ça avait été d’autant plus compliqué pour Papy… car à l’époque mon père bossait au ministère des Anciens combattants. C’est la raison pour laquelle le débat à la fin du film marche aussi bien. Et puis quand le film est sorti, on avait régulièrement des retours de gens qui avaient connu la guerre, l’Occupation, et qui trouvait que c’était à se tordre de rire.

Super-Résistant fait aussi partie de cette approche volontairement bouffonne. Un tel personnage, mi-Superman mi-Arsène Lupin, ça doit être un plaisir à écrire comme à jouer.

Super-Résistant c’était avant tout notre manière de faire un Superman franchouillard. Je lisais ce type de bandes-dessinées à l’époque et je trouvais qu’il apportait un anachronisme qui nous faisait pas mal rigoler.

On avait régulièrement des retours de gens qui avaient connu la guerre, l’Occupation, et qui trouvait que c’était à se tordre de rire

Papy fait de la résistance arrive à une époque assez paradoxale dans vos carrières car les précédents projets du Splendid qu’étaient Les Bronzés font du ski et Le père Noël est une ordure avaient connu une carrière en salles plutôt mitigée (1,8 million pour Le Père Noël, 1,5 million pour Les Bronzés 2) avant de connaître une deuxième vie grâce aux diffusions télé et à la vidéo. Qu’est-ce qui explique qu’on puisse qualifier tous ces films aujourd’hui de cultes ?

Je l’ignore complètement, comme souvent quand on parle de ce qui est culte ou non. C’est à l’époque du Père Noël que j’ai entendu pour la première fois le mot culte à propos de nos films. Mes films cultes c’était les De Funès, donc on ne comprenait pas vraiment qu’on dise cela de nos films. Papy… a eu plus de succès en salles, on a même failli battre Le Marginal de Belmondo qui est sorti en même temps en salles. Ça nous faisait beaucoup rire avec Jean-Paul d’ailleurs. Et ensuite ça a commencé à passer à la télé chaque année, et chaque année ça marchait. Ce genre de succès c’est inexplicable, quels que soient les efforts qu’on puisse faire dessus. On a beaucoup travaillé sur le film, on a fait du mieux qu’on a pu, mais une mauvaise idée travaillée sur un an reste une mauvaise idée.

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