La peau sur les os : « Mmmh, Burger (Stephen) King »

On termine nos articles de la période de Halloween sur une énième ressortie de l’éditeur Rimini, et en plus on reste sur le sujet Stephen King. Avec un film qui, s’il pouvait déjà être embarassant à l’époque de sa sortie, l’est aujourd’hui à un degré tout autre (rien à voir le réchauffement climatique néanmoins). Thinner, dans la langue de Dwayne « The Rock » Johnson est un roman de King publié en 1984 sous un faux nom. En effet l’auteur publiait tellement de bouquins à l’époque, incapable de s’arrêter d’écrire (même sur le tournage de Maximum Overdrive, comme mentionné dans l’article précédent), qu’il s’est mis à signer certains de ses textes du nom de Richard Bachman. Selon l’auteur, il s’agissait aussi pour lui d’une manière de prendre du recul sur sa propre pratique, son univers, et de réfléchir à son écriture différemment.

C’est justement lors de la publication de Thinner que certains médias ont théorisé sur la parenté évidente entre Bachman et King, et que la supercherie a été révélée. C’est rigolo non ? Pas du tout une démarche volontaire de ma part d’éviter de parler du film… D’ailleurs, saviez-vous qu’ensuite l’auteur a intégré son alter ego dans sa fiction, et a même fait un cameo dans la série Sons of Anarchy sous ce nom-là, et – OUI OKAY JE PARLE DU FILM.

La peau sur les os, adapté au cinéma en 1996 par Tom Holland (celui de Chucky, pas celui qui n’a pas de lèvres et qui joue Spider-Man) raconte l’histoire d’un énorme connard d’avocat nommé Billy Halleck. Lui-même est énorme et accro à la bouffe, est joué par un acteur dans un fat suit dégueulasse. Après qu’il a renversé une gitane en voiture alors que sa femme le branlait, est maudit par les gitans et perd tout son poids jusqu’à devenir squelettique. Un scénario qui franchement vend un max de kiff… Vous voulez que je revienne à mes anecdotes sur Bachman maintenant hein, avouez-le !

Aronofosky a vu ce film et s’est dit « voilà ce qu’il faut pour que Brendan Fraser fasse un come-back ».

Il paraît évident dès les premières secondes du film que ça a très mal vieilli, en grande et presque unique partie pour l’utilisation du fat suit. Aujourd’hui ce genre d’effet spécial est très mal vu, tant il vise à stigmatiser les personnes grosses et participe à un discours actif sur la grossophobie. Bien sûr que dans l’intérêt du film ici présent, il est indispensable : le maquillage avant/après du personnage fait toute la trame narrative. On doit voir Billy Halleck être gros, tout comme on doit le voir être maigre. Et par extension, le film va forcément jouer sur des stéréotypes que l’on associe encore et toujours aux personnes grosses, à savoir un rapport exacerbé à la nourriture, mais aussi se vautrer dans une certaine appétence de la fiction à faire de ses personnages en surpoids des monstres antipathiques.

Dommage certes, mais ce manque d’originalité dommageable n’est que le sommet de l’iceberg dans le récit, tant King se repose sur des poncifs plus poncés que le style de Marc Lévy et des discours plus éculés que les monologues des haters du cinéma français sur Twitter. Outre les scènes où Halleck se pèse et où sa femme vérifie son poids sur un tableau excel jour après jour, vous aurez droit à des mafieux dignes d’un mauvais costume Halloween des Affranchis, des adultères plus prévisibles et évidents que la fin du monde qui va nous tomber dessus bientôt, des riches avocats véreux qui jouent au golf avec les flics ripoux, et bien sûr, des gitans magiques. Les fameux qui donc mettent une malédiction sur Halleck et ses potes qui l’ont innocenté après avoir renversé une de leur communauté en voiture. Ainsi on verra l’un d’eux se transformer progressivement en amas de pus, tandis qu’un autre devient une sorte de lézard… Et bien sûr notre protagoniste qui lui ne fait que baffrer les trucs les plus gras du monde pour essayer d’enrayer sa perte de poids. Sans succès.

Des clichés, oui. Après, on comprend aussi sur quoi repose l’horreur de manière générale : l’inconnu, ce qu’on ne comprend pas ou ne maîtrise pas. Dans les récits de King, on retrouve souvent ces communautés indigènes ou nomades, qui ne sont pas à leur place dans le monde occidental, et on comprend bien vite qu’elles sont davantage des victimes que des bourreaux ; la séquence de générique du film suit leur arrivée en ville et n’essaie pas à ce moment de les maltraiter, bien au contraire des avocats qui eux sont très vite montrés comme les véritables monstres du coin. Il y a ceux qui font semblant pour la foire, et ceux qui sont pourris de l’intérieur, pour schématiser. Le seul truc dommage, et c’est un défaut de taille tout de même, c’est que dans le reste du film les personnages des gitans sont incroyablement ridicules, à commencer par la jeune fille qui passe son temps à crier en tirant sur tout ce qui bouge avec son lance-pierre. Le résultat, ce que tout le monde est ridicule, dans ce spectacle grotesque ; c’est une farce cruelle qui fait plus rire que trembler.

Et pourtant, le film vaut le coup d’oeil pour UNE raison : le concours de surjeu. C’est bien simple, tous les interprètes du long-métrage ont décidé de faire mieux que les autres en terme d’intensité, comme s’ils jouaient au jeu du Shatner pendant le tournage. Si vous ne connaissez pas, il s’agit d’une technique de jeu inspiré du célèbre William Shatner et de sa performance en capitaine Kirk dans Star Trek : lorsque quelqu’un crie « Shatner », l’acteur en action doit alors jouer de manière plus exagérée. Et plus on augmente la difficulté, plus ça devient grand guignolesque. Dès les premières secondes où l’on découvre Robert John Burke dans son fat suit, et que l’on comprend que le type est tellement paralysé du visage par les prothèses qu’il ne peut jouer qu’en écarquillant les yeux, on sait qu’on s’embarque dans une aventure sans pareille. Ils et elles sont tous délicieux de n’importe quoi, mais vous prendrez un plaisir inégalé face à la prestation d’Elizabeth Franz qui joue la femme du juge lézard comme si c’était un opéra baroque. Si vous aviez prévu de manger des bonbons en riant devant un film d’horreur avec des potes, ce ne sera pas un mauvais choix.

Moi quand je suis en manque de chataîgnes

La peau sur les os, un film de Tom « non pas lui » Holland, avec une super belle musique de Daniel Licht que je vous conseille en dehors du film. Sortie en 1996 et ressortie en novembre 2022 chez Rimini éditions.

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