Black Phone : Finney téléphone maison

Après avoir fait joujou avec Marvel Studios, Scott Derrickson est revenu à ses premières amours : le cinéma d’épouvante. Il avait déjà pour projet d’adapter The Black Phone, nouvelle de Joe Hill (fiston de Stephen King et auteur des comics Locke & Key, adaptés en série sur Netflix) publiée en 2004. Avant cela, il lui fallait boucler la suite de Doctor Strange, sur laquelle il s’était engagé avant de laisser la main à Sam Raimi pour « différends créatifs ». Vous savez, le bullshit habituel qu’on vous sort à chaque départ d’un réal sur un blockbuster. Un départ anticipé qui a finalement arrangé tout le monde ! Derrickson a vite rejoint ses partenaires de confiance, le producteur Jason Blum, le scénariste C. Robert Cargill et Ethan Hawke, qui lui ont permis d’être vivement remarqué avec le premier Sinister.

Ce Black Phone nous ramène à la fin des années 80, dans une petite ville du Colorado, où des enfants disparaissent mystérieusement l’un après l’autre. Très vite, les rumeurs évoquent un serial killer masqué, qui ferait monter les enfants dans une camionnette en laissant toujours quelques ballons noirs derrière lui… Après avoir vu plusieurs de ses amis devenir les victimes du « Grabber », Finney Shaw (Mason Thames), devient la nouvelle proie sur sa liste. Enfermé dans un sous-sol insonorisé, il ne peut compter que sur lui-même et sa débrouillardise pour s’en sortir. Quand un téléphone noir hors d’usage se met à sonner pour le mettre en contact avec les précédentes victimes du kidnapper, tout semble s’aligner pour que Finney ne connaisse pas le même sort…

Black Phone (Ethan Hawke)
Le COVID revient, alors sortez masqués !

Avec Jason Blum, on le sait très bien : on peut s’attendre au pire (le récent Firestarter, venant pourtant de Keith Thomas après son précédent film plutôt remarqué, The Vigil) comme au meilleur (non, je ne me remets toujours pas du Invisible Man de Leigh Whannell). Ou, comme on dirait dans Ne coupez pas (ou comme le dit aussi Romain Duris dans l’Hazanaviciuserie Coupez !), au moins à un truc pas trop cher, vite torché et dans la moyenne. Avec un budget de 18 millions de dollars, on est bien dans les habitudes du studios Blumhouse. En interview, Derrickson a maintes fois souligné la liberté avec laquelle il a pu travailler, qu’il s’agisse de l’écriture du scénario, du casting ou du tournage. Visiblement, ça devait le changer de chez Marvel Studios !

On ressent très vite cette liberté de ton, à en voir comment Derrickson nous introduit le quotidien de ses jeunes héros. Le Grabber n’est pas la seule ombre qui plane sur Finney et sa sœur Gwen (Madeleine McGraw), puisque la violence est partout. À l’école, où Finney est persécuté et où les autres enfants n’hésitent pas à se battre jusqu’au sang (oui, ici ça se met des patates pour de vrai). Mais aussi à la maison, où le père de Finney et Gwen (Jeremy Davies), s’est noyé dans l’alcool après le départ de sa femme et préfère donner des coups de ceinture plutôt que de s’occuper de ses enfants. C’est glauque, c’est crade, et c’est sombre : la photographie de Brett Jutkiewicz correspond parfaitement à cette ambiance.

Black Phone (Mason Thames, Madeleine McGraw)

À tout cela se rajoutent les peurs de l’époque, les tueurs qui faisaient la une. Pour Joe Hill, le Grabber était inspiré de John Wayne Gacy (ou le Clown Tueur), qui avait plus de trente victimes à son actif. Derrickson s’est lui aussi replongé dans ses souvenirs d’enfance, avec le traumatisme de Ted Bundy ou de Charles Manson. Black Phone joue parfaitement d’une peur bien réelle, celle de voir son enfant disparaître, pour faire naître l’horreur. Et même si le film met un peu de temps à démarrer à cause de ça, il reste important de voir ces scènes d’impuissance. Les parents sont gagnés par la peur et les forces de l’ordre sont dépassées par un tueur qu’elles ne parviennent pas à identifier.

Ici, « l’Ogre kidnappeur d’enfant » est incarné par Ethan Hawke, qui a longtemps hésité à l’idée d’interpréter un méchant. Pour autant, l’acteur crève l’écran dès qu’on le voit, et sait mettre profondément mal à l’aise. La réussite de Scott Derrickson est aussi de ne pas humaniser son antagoniste, même s’il dévoile peu à peu son vrai visage, son masque se détériorant au fil de l’intrigue. À aucun moment on ne saura véritablement pourquoi le personnage de Hawke agit tel qu’il le fait.

L’horreur est déjà là, à quoi bon l’expliquer ? Ceux dont il faut plutôt se souvenir, ce sont plutôt les victimes. C’est là que le film bascule dans le fantastique, à travers l’aide que Finney reçoit du téléphone noir et de ces fantômes, mais aussi via les visions qu’a sa sœur Gwen. Bizarrement, là aussi c’est difficile de ne pas penser à Charlie de papa King, niveau héritage de dons chelous.

Malgré un rythme un peu brinquebalant et quelques jump scares parfois trop appuyés (bon, j’ai quand même sursauté parce que je suis faible), Black Phone rentre dans la catégorie des Blumhouse qu’on regarde avec satisfaction. Il ne prend pas son spectateur pour un idiot et respecte totalement son programme : un thriller horrifique plutôt qu’un film d’épouvante pur, qui restitue parfaitement les peurs de son époque.

Black Phone, réalisé par Scott Derrickson. Avec Mason Thames, Madeleine McGraw, Jeremy Davies, James Ransone et Ethan Hawke. Sortie en salles françaises le 22 juin 2022.

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