Si l’on a jusqu’à présent peu consacré de chroniques spécifiquement à la filmographie de Masaaki Yuasa, nous sommes régulièrement revenus sur son art. Ici ou là. Et nous avons exprimé notre sympathie pour son travail très publiquement. À l’instar de Mamoru Hosoda et Makoto Shinkai, Yuasa fait partie de cette génération de cinéastes d’anime qui cherchent à s’émanciper de l’héritage devenu trop pesant du studio Ghibli. Plus prolifique qu’Hosoda et Shinkaï, Yuasa se démarque également par la facilité dont il fait preuve pour alterner des projets à la fois pour le grand et les petits écrans. Il peut se targuer d’ailleurs d’exceller, généralement, sur tous les supports. Ce n’est pas sa seule singularité face aux deux autres réalisateurs précités, car Masaaki Yuasa propose dans certains cas des œuvres dérangeantes destinées à un public, comme on dirait « avertis ». La violence et le sexe sont des sujets qui ne lui font pas peur. C’est par exemple le cas dans Devilman Crybaby. Mais il peut creuser ses expérimentations à travers un récit plus fleur bleue, ce qu’il démontre dans sa série The Tatami Galaxy (une sorte de préquelle à Night Is Short, Walk on Girl, adaptée du même auteur). Avec le temps, on peut remarquer, néanmoins, son ambition de toucher une assistance plus large et offrir des films visuellement plus sages au cinéma (Lou et l’ile aux sirènes, Ride your Wave) ou sur petit écran (Japan Sinks 2020). En attendant son prochain projet Inu-Oh qui sera très probablement présenté cette année au Festival d’Annecy (et qui est diffusé à Angoulême en ce moment même), revenons sur sa première proposition qui a secoué le monde de l’animation en 2004 : Mind Game.
Produit par le studio 4 °C, à l’époque connu pour avoir financé Memories (long métrage à sketchs supervisé par Katsuhiro Otomo et écrit à 4 mains en compagnie de Satoshi Kon) ou Spriggan, Mindgame de Masaaki Yuasa est adapté du manga de Robin Nishi. L’histoire est pour le moins compliquée : Nishi, mangaka timide et frustré, est amoureux de Myon depuis toujours. Alors qu’il lui annonce enfin ses sentiments, elle lui explique qu’elle va se marier avec Ryo. Tous les 3 se rejoignent dans un bar où ils font une mauvaise rencontre : un duo de Yakuza. Le plus baraqué, incontrôlable, viole Myon après avoir menacé son collègue. Nishi terrorisé ne s’interpose pas puis se fait tuer par l’agresseur. Dans l’au-delà, Nishi face au divin refuse son statut et décide de revenir à la vie pour sauver Myon. Une fois sur terre, il s’occupe de son amie et s’embarque avec elle et Ryo dans une folle équipée qui fera escale dans le ventre d’une baleine avant de se retrouver au point de départ, pour mieux recommencer. Un récit tarabiscoté que Yuasa illustre en piochant dans tout ce que le medium d’animation permet : rien est impossible, sauf ce que l’esprit débordant de Yuasa n’arrive pas à conceptualiser. À la fois tourné de façon traditionnelle en 2D, et avec des outils informatiques en rendu 3D, Yuasa use également de la rotoscopie, ainsi que de plans en prise de vue réelle. L’ensemble offre une vision de l’univers de Yuasa, qui se fout totalement du réalisme dans la perspective ou des proportions des personnages. Autant dans l’histoire que dans la mise en scène, on découvre finalement un artiste à l’énergie punk, dont seul compte l’effet que procure l’imagination au pouvoir. C’est d’ailleurs ce que résume le titre Mind Game, il ne s’agit pour le cinéaste que de donner à voir l’importance qu’à pour lui l’animation. À l’image de son personnage, Yuasa sait que la réalité et la matérialité de son corps le réduisent à une certaine impuissance, alors que sa créativité est sans limites.
Totalement déjanté. Il n’y a pas vraiment de sens à chercher dans Mind Game, sauf simplement celui de se laisser porter par l’image et le rythme du long métrage. Il faut considérer ce film, finalement, comme une approche tout à fait légale et sans bad trip de ce que peut être une soirée à déguster une omelette aux champignons entre amis.
Mind Game de Masaaki Yuasa avec Sayaka Maeda, Koji Imada et Takashi Fujii actuellement sur Ciné+