Madres Paralelas : Tout sur l’amer

On avait laissé Pedro Almodovar sur un feu d’artifice, dans tous les sens du terme. Littéralement, celui qui introduit le dernier plan, si sublime qu’il en devient terrassant, de Dolor Y Gloria. Figurativement, celui que représentait le vingt-et-unième long-métrage du cinéaste ibérique dans sa filmographie. Film-somme qui n’eut comme seul défaut que de combattre dans la plus folle sélection cannoise de sa décennie, Douleur et gloire était un sommet d’émotion et de maîtrise de la part d’Almodovar, qui se fondait totalement dans son double de fiction sous les traits de son acteur fétiche, Antonio Banderas. Autofiction et autobiographie à la fois, hanté par les regrets et la mort qui rôde, Douleur et gloire portait sur lui des oripeaux quasi testamentaires, au point de se demander comment l’ex-chef de file de la Movida allait enchaîner après un film qui aurait pu être un magnifique point final sur une immense filmographie.

Plutôt que se pencher sur son propre passé, Almodovar choisit ici d’ausculter celui de son pays à travers le combat de ceux qui cherchent leur propre histoire au cœur de l’Histoire, celle du franquisme et de ses crimes en l’occurrence. Janis fait partie de ces enquêteurs de la mémoire. Photographe de presse pour une revue madrilène, elle croise la route d’un anthropologue judiciaire, qu’elle sollicite pour l’aider à retrouver la fosse commune où son arrière-grand-père est enterré. Ancien combattant anti-franquiste, sa dépouille gît sous terre aux côtés d’une dizaine de ses compagnons d’armes, dans l’attente que leurs familles ne viennent leur offrir une sépulture décente. Sauf que dans le même temps, Janis (Penelope Cruz, toujours au rendez-vous) est enceinte et sur le point d’accoucher. Dans sa chambre de maternité, elle fait la rencontre d’Ana (Milena Smit), jeune mère célibataire de la moitié de son âge, qu’elle va prendre sous son aile, liant leurs destins et leurs vies de mère jusqu’à l’extrême.

Madres Paralelas, Cinématraque 2

Née sous les décombres du franquisme que la Movida a contribué à enterrer au début des années 80, l’œuvre d’Almodovar revient vers ses fantômes dans un film liant le destin d’une femme à celui de son pays. Confrontation de l’individu et du collectif, Madres Paralelas marque la conjonction de la grande et de la petite forme : sur une toile de fond de récit historique qui ne sert en réalité que de canevas réflexif, d’écho permanent sur la recherche des racines de la maternité, Almodovar livre ici une sorte de vaudeville amoureux tragicomique, marchant toujours sur un fil ténu entre gravité des thèmes et légèreté du traitement (difficile de rentrer plus en avant sans entrer dans le spoil concernant le développement de la relation entre Janis et Ana). Le tout en restant au plus près des thèmes de prédilection d’Almodovar.

Que ce soit narrativement ou même formellement (on retrouve le goût du cinéaste pour les couleurs saturées et les décors de cinéma qui s’affichent presque explicitement comme tels), Madres Paralelas marque le retour du cinéaste dans une certaine zone de confort qui pourra décevoir certains. Jamais totalement thriller, jamais totalement soap, jamais totalement mélo, le film évolue dans un perpétuel entre-deux d’indécision qui lui confère ce charme un peu brinquebalant. Il y a presque quelque chose d’un peu méta à voir les deux échelles du film se confronter sans jamais se rencontrer, et soudain voir l’une (l’intime) finir par dévorer l’autre comme un jumeau parasite. Résilience d’une mère, résilience d’une nation, Madres Paralelas ne pouvait que s’incarner à travers Penelope Cruz, la mère sainte sacrificielle de son cinéma, qu’il filme avec autant d’amour qu’il ne la filmait dans le rôle de sa propre mère dans Douleur et gloire. Récompensée à Venise par la Coupe Volpi de la meilleure actrice, elle y apparaît comme rarement elle a été filmée, entière et comme mise à nu.

Madres Paralelas, Cinématraque 1

C’est le constat final qu’il reste du mineur mais malin Madres Paralelas, cette impression de douceur qui embaume les traumatismes que subissent ses deux héroïnes. Le film est d’une grande générosité avec ses personnages, les absolvant dans leur malheur, faisant croiser des parcours cabossés (notamment celui d’Aitana Sánchez-Gijón, nouvelle venue dans le cinéma almodovarien dans lequel elle se fond avec une aisance évidente) qui finissent par se guérir l’un l’autre. Jamais vraiment où on l’attend, à l’image de la partition dissonante, presque grandiloquente, composée par Alberto Iglesias, Madres Paralelas est un petit plaisir sans doute plus modeste que certains efforts récents d’Almodovar, mais qui ne manque pas ni de rigueur cinéphilique (le Antonioni de Blow Up rode toujours en arrière-plan) ni d’une douceur bienvenue. Et ça, c’est tout sauf anecdotique.

Madres Paralelas de Pedro Almodovar avec Penelope Cruz, Milena Smit, Israel Elejalde…, en salles le 1er décembre

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