Présenté dans la sélection Cannes Première sur la croisette, aka la sélection « Thierry Frémeaux voulait vraiment tous les films de ses chouchous à Cannes », le nouveau film de Mathieu Amalric est certainement un des temps fort de cette édition qui manque un peu de surprises.
Adapté de la pièce de théâtre Je reviens de loin de Claudine Galea, Serre-moi fort repose d’abord sur un twist narratif particulièrement osé, qui ressemble à un plongeant du haut d’un gratte-ciel dans une piscine de la taille de la décence de Manuel Valls : il aurait été très facile de rater l’atterrissage, et pourtant Amalric s’en sort comme un chef. C’est l’histoire d’une mère de famille, la géniale Vicky Crieps, qui un matin abandonne ses enfants et son mari et prend la route.
Loin de tout ce qu’elle connaît, elle débute une nouvelle vie tandis que les autres tentent de se faire à son départ. Ce n’est seulement au bout de quinze minutes de film que l’on comprend (attention, spoilers de ouf) que la famille est disparue en montagne suite à une avalanche, et que l’héroïne préfère imaginer qu’elle les a quitté un matin… et que leurs vies continuent sans elle. Sans la femme, sans la mère.
Une prise de partie radicale et foncièrement casse-gueule qui fonctionne pour plusieurs raisons : la première, c’est qu’Amalric n’a de cesse de prouver qu’il maîtrise l’exercice de la mise en scène cinéma comme peu en France. Il a donc su marcher sur le fil pour amener cet univers fait d’échos, d’images et sons qui se répondent dans un univers de spectres.
Ce qui rejoint la seconde raison : Amalric sait y faire avec les fantômes. Que soit dans les Fantômes d’Ismaël de Desplechin ou dans Barbara (Jeanne Balibar était d’ailleurs dans la salle Debussy pour la séance cannoise), le comédien et cinéaste a compris ce que le cinéma peut faire avec le monde d’après. Celui des ectoplasmes, des défunts parlants, des souvenirs translucides… Serre-moi fort est bel et bien une histoire de fantômes. La dernière raison, c’est l’intelligence du montage sonore : à travers les enregistrements de piano qu’écoute la mère de sa fille défunte, Amalric donne littéralement le La et fait communiquer le réel du deuil avec le mensonge que l’héroïne se raconte.
C’est enfin pour cela que le film est si réussi ; il parvient à intégrer l’essoufflement du récit dans sa propre diégèse. En imaginant la vie de sa famille après son départ, la mère est forcée d’imaginer qu’ils la détestent et arrivent forcément à un point mort. A ne plus savoir quelles vies leur inventer… Et ici la narration rejoint un peu le Madre de Sorogoyen, qui aurait pu sans Covid sortir en même temps que le Amalric. Bref, c’est encore un point de bascule métafilmique qui nous rappelle que putain, quand le cinéma est fait par des gens qui le comprennent, c’est quand même sacrément bien.
Serre-moi fort, un film de Mathieu Amalric, avec Vicky Crieps, Arieh Worthalter.