Rares sont les réalisateurs français à avoir réussi à tourner avec succès aux Etats-Unis. Ils sont d’ailleurs peu à avoir tenté l’expérience ; Louis Malle fait partie de ces cinéastes dont on peut dire qu’ils ont eu une période américaine. Entre 1978 et 1986, il tourne ainsi sept films au pays de la liberté et du capitalisme. Un huitième (Vanya, 42ème rue) sera tourné en 1994, il s’agira aussi de son dernier film. Le nom de Louis Malle a une place particulière dans la cinéphilie française : il y est présent comme par hasard. Il fait partie du paysage sans jamais atteindre le prestige d’un Godard, d’un Truffaut ou même d’un Marker. Et quand on pense à ses films, on pense spontanément à Au revoir les enfants, Ascenseur pour l’échafaud, ou Lucien Lacombe. Un peu moins à Crackers ou Alamo Bay.
C’est pourtant à cette parenthèse américaine que Pauline Guedj nous propose de nous intéresser dans son essai « Louis Malle. Regards sur l’Amérique », paru en fin d’année 2020. Pauline Guedj est anthropologue, ce qui explique en grande partie le regard qu’elle pose sur le cinéma de Louis Malle dans cette période. Comme le titre de l’ouvrage l’indique fort justement, ce qui l’intéresse par-dessus tout c’est le regard que Louis Malle, exilé, pose sur ce pays si familier et pourtant si lointain. En traversant cet extrait de filmographie, et en nous racontant la genèse des différents projets, Pauline Guedj nous explique aussi ce qui motive Louis Malle, ce qui constitue le moteur de son cinéma.
Le livre suit de manière chronologique les huit films parus : La Petite, Atlantic City, My Dinner with Andre, Crackers, Alamo Bay, God’s Country, A la poursuite du bonheur et Vanya on 42nd Street. La première chose qui frappe après visionnage de ces films est l’incroyable éclectisme de cette liste. On y trouve deux documentaires, une captation de pièce de théâtre (mais pas tout à fait), un film académique, un film subversif (encore aujourd’hui), une très belle adaptation de polar, un incroyable film composé d’un unique dialogue dans un restaurant et une comédie complétement ratée. A partir de ce constat, on pourrait légitimement se demander quelle est le « style Louis Malle ». C’est d’ailleurs un sujet qu’évoque Pauline Guedj qui rappelle qu’une critique récurrente envers le cinéaste est cette impression de ne pas le reconnaître d’un film à l’autre. Et en effet, rien que dans ces sept films tournés dans le même pays dans la même période, il serait presque impossible de les rattacher au même cinéaste sans le savoir par ailleurs. Et c’est là, la plus grande réussite de Pauline Guedj. L’autrice arrive à nous faire comprendre ce qui constitue la singularité du cinéma et plus largement de la démarche artistique de Louis Malle. En interrogeant ses collaborateurs, en analysant son travail de mise en scène et en reconstituant son parcours, ses envies, ses choix et ses échecs, Pauline Guedj met le doigt sur la « patte Louis Malle ».
Pauline Guedj retrouve dans le cinéma de Louis Malle, son propre regard d’anthropologue. Cette recherche permanente d’une vérité humaine qui se dégage des images. C’est évidemment plus évident du côté des films documentaires. Le formidable God’s Country montre ainsi comment Louis Malle arrive à faire éclore une spontanéité et une authenticité chez les habitants de la petite ville blanche et rurale de Glencoe dans le Minnesota. En quelques plans et questions, il arrive à faire vivre des personnages et à créer une empathie immédiate pour les habitants qu’il rencontre. Louis Malle semble alors au summum du cinéma qu’il recherche et qu’il appelle « cinéma direct ». Mais c’est aussi la présence de ce regard dans ses films de fiction qui intéresse Pauline Guedj. Dans Atlantic City, l’improbable ville de la Côte Est, paradis des casinos et des voyous, apparaît grâce à la mise en scène de Louis Malle. Dans La Petite, c’est le monde de la prositution dans la Nouvelle-Orléans du début du siècle qui est disséqué par son regard. Même dans un film fade comme Alamo Bay, on retrouve la volonté de faire vivre le quotidien des pêcheurs de crevettes qu’ils appartiennent à la communauté immigrée vietnamienne ou à celle des rednecks texans. En nous faisant voyager à travers tous les Etats-Unis, Louis Malle cherche à capter quelque chose de ce pays qui le fascine. Et à travers le livre de Pauline Guedj, on suit avec plaisir cette quête de la compréhension des autres. On peut simplement regretter quelques détours peut-être un peu trop longs sur des points moins intéressants comme la partie sur le podcasteur fan de My dinner with Andre. (En voulant me renseigner sur ce podcast, j’ai d’ailleurs pu constater que Woody Battaglia, le podcasteur en question a été entretemps accusé d’agressions sexuelles et a cessé ses activités). Mais cela ne gâche en rien la lecture agréable de ce livre qui vous permettra de découvrir ou redécouvrir le travail de Louis Malle par un prisme peu connu.
Enfin pour conclure cet article, voici ma propre recommandation dans ces huit films :
- L’incroyable My dinner with Andre. De loin le film le plus intéressant. A voir absolument.
- Atlantic City. Un beau polar à l’ambiance particulière avec un très bon duo Lancaster/Sarandon
- God’s Country. Notamment pour faire la connaissance de Steve, l’inséminateur de vaches.
- Vanya, 42ème rue. Une très belle captation des répétitions de la pièce de Tchekhov pour une version qui ne sera jamais jouée.
Louis Malle, Regards sur l’Amérique. Pauline Guedj. Les éditions Ovadia