Six ans après la deuxième saison, on n’y croyait plus. Pourtant, elle est bien là, la saison « tree » de Platane, de et avec Eric Judor, qui s’accompagne cette fois, les guests étant l’une des marques de fabrique de la série, de Florence Foresti, Laurent Laffitte, Gilles Lellouche, Mathieu Kassovitz, Boris Diaw, Roland Magdane, Monsieur Fraize, Ramzy, Jamel, Mike Horn, Jacques Séguéla, Elie Sémoun ou encore Fred Testot. Sa diffusion sur Canal Plus démarrera le 9 décembre 2019, et il ne faut pas que vous ratiez ça.
Du coq à l’âne
Délestée de toute trame narrative, là où les deux premières saisons, brillamment orchestrées, nous menaient assez simplement d’un point A à un point B, cette saison « tree » perturbe, notamment dans sa première moitié, parce qu’elle n’a pas grand rapport avec ses deux ainées : ni dans ce qu’elle raconte, ni dans sa façon de le raconter. En effet, à l’instar de ce qu’Eric et Ramzy tentaient avec plus ou moins de réussite dans Halal Police d’Etat, il s’agit ici de mettre en place un système où ce ne sont pas les gags qui doivent se plier au déroulement de l’intrigue, mais le contraire : les vannes seraient plus fortes que toute logique narrative, et un amoncellement de bonnes vannes finirait bien par donner une forme à l’intrigue. Eric Judor passe ainsi son début de saison du coq à l’âne, sans trop savoir où ça va bien pouvoir le mener, et l’on navigue ainsi, un peu trimballés faut bien l’avouer, dans une déclaration d’amour à l’humour absurde et au malaise (où l’on ressent à nouveau combien Dupieux a été important dans la carrière de Judor), d’une histoire de réincarnation en Hitler à un ensorcellement, puis à un village à la Midsommar géré par un gourou banlieusard où les cabines téléphoniques coûtent un bras.
Aucune trame, pas un début d’intrigue solide auquel se raccrocher (on peinerait bien à vous résumer en trois lignes ce que cette saison raconte), 20 vannes à la minute : on finit par rendre les armes, et à ne presque plus rire, juste à peine sourire mécaniquement, comme gavés par un trop plein d’Eric supplément Judor. À l’instar de tous les personnages de la série qui le côtoient puis le lâchent, des pistes de scénarios qui l’abandonnent, des débuts d’intrigues qui le laissent tomber, l’homme nous (se ?) fatigue avec ses vannes en toute circonstance, auto-déclarées plus fortes que le récit, que la cohérence.
Quand soudain…
Eric cabotine en conscience, s’écrit et se filme cabotinant, comme attendant que quelque chose valant la peine qu’il s’y attarde se passe. Et ce quelque chose survient sans que l’on ne s’en rende vraiment compte après environ quatre, cinq épisodes assez usants mais finalement a posteriori nécessaires (n’abandonnez surtout pas la série, cette lassitude que vous ressentez peut-être, gardez-la précieusement au chaud avec vous, elle va vous servir pour la suite) : c’est l’amour, et puis la paternité, aussi. Si l’on devait résumer la saison, en fait, ce serait simplement ça ; l’histoire d’un type, un grand enfant fatiguant, qui se fixe presque un peu, enfin.
Si, toujours aussi pudique, Judor ne se risque jamais à parler frontalement d’amour derrière et devant la caméra, il garde cette intelligence de ne pas s’y forcer, préférant filouter en faisant ce qu’il sait faire, à savoir blaguer autour, blaguer avec les deux femmes de la vie de son héros éponyme. Car qui aime bien vanne bien, après tout.
Alors il offre de savoureuses joutes verbales, ping-pong de punchlines à sa bien aimée et sa fille (toutes deux parfaites). Mais avec ces personnages qui, contrairement aux guests de la saison (mention spéciale à Mathieu Kassovitz, pour deux scènes qui deviendront assurément cultes), restent et ne font pas que passer, il installe surtout un nouveau système, faisant radicalement changer la mécanique du début de saison : aux gags faisant avancer, reculer, bifurquer et faire n’importe quoi à l’intrigue viennent s’ajouter ceux qui disent je t’aime, ceux qui disent merci, ceux qui disent pardon et puis ceux qu’Eric se refuse de faire. Parce qu’avec sa femme et sa fille, il tient là deux personnages, des intrigues, des morceaux de vie qu’il ne veut plus laisser partir à cause de la vanne de trop – d’aucuns appelleraient ça la maturité, mais « beurk », leur glissera-t-il dans une jouissive pirouette finale.
Un parfum d’Apatow
Ainsi, la seconde partie de la saison garde évidemment la préoccupation très judorienne de toujours user jusqu’à la moelle un bon dialogue comme on tordrait un tube de dentifrice pour ne pas en perdre un gramme, mais baigne aussi – et c’est nouveau chez le réalisateur – dans une émotion pudique, comme dans un film de Judd Apatow, où rien n’a besoin d’être dit tant tout est évident. Ainsi l’amour réside-t-il autant dans les vannes que dans l’interdiction que donne Judor à Eric de s’embrouiller avec ces deux nouveaux personnages comme il se fâche avec tous les autres, depuis trois saisons, en faisant des spectres que l’on croise de temps en temps, à l’instar de Flex, son inénarrable sidekick, encore plus présent dans cette saison.
Et jamais la niaiserie – qu’Apatow effleure souvent – ne point dans Platane, saison « tree ». Car Eric semble toujours garder cette petite voix qui lui chuchote de prendre garde, qu’il approche presque-bientôt-fais-gaffe du ridicule : « y a juste pleurer, que je ne sais pas faire », fait-il d’ailleurs à un moment dire à son personnage.
Cette incapacité à lâcher prise, cet esprit cartésien à toute épreuve, il les raconte très bien dans une scène géniale, résumant à elle seule toute la carrière de l’homme. Invité à danser devant des invités par sa chérie, il s’exécute timidement et voit sa cavalière au contraire se déchaîner à ses côtés. Il regarde les spectateurs, gêné, répétant toujours le même mouvement ridiculement timide, pendant que sa femme s’éclate sans se soucier du regard des gens.
Face à cet auditoire, dans l’ultime épisode de cette saison, on imagine qu’Eric le réalisateur raconte la genèse de cette troisième saison. Incapable de totalement lâcher prise après les revers (injustes !) de ses derniers films, il a mis six ans à l’écrire, puis quatre épisodes à laisser des personnages s’installer, à leur faire confiance.
Ramzy, jamais loin
Il ne leur aura jamais fait dire combien ils s’aimaient, ni ne leur aura vraiment dit combien il les aimait. Pourtant, on aura régulièrement eu les frissons, les sourires émus, et toujours les rires.
Vraie saison pudique, pour une grande série comique : Eric Judor est un grand doublé d’un mec bien, et on a une chance folle en vivant à la même époque que lui, de le voir ainsi s’évertuer à faire mûrir proprement son personnage, sans être capable de se résoudre à coller à ce que le public voudrait qu’il soit, mais sans trop s’éloigner non plus de cet humour débile qui lui sied tant, et dont il ne saurait de toute façon pas se défaire. Parce qu’il revient toujours au galop, le naturel, semble nous dire la fin de saison en forme de déclaration d’amour à son partenaire de toujours : on n’enterrera jamais complètement l’Eric Judor régressif de H, génial acolyte de Ramzy depuis longtemps et pour toujours.