Il est des films que l’on croise au détour d’un festival et dont on se surprend à vouloir parler plus qu’on ne s’y attendait. Derrière son apparence de gentil film enfantin, La dernière vie de Simon est une chouette surprise dans le paysage dévasté du film de genre fantastique en France. Il raconte la vie d’un jeune orphelin, Simon, élevé dans une pension et capable de prendre l’apparence de chaque personne qu’il a déjà touché. Un jour, il rencontre Thomas et sa sœur Madeleine, atteinte d’une pathologie cardiaque. Il se lie d’amitié très vite avec les deux jeunes enfants et intègre leur cellule familiale. Un jour, un accident arrive, un accident qui aura des répercussions sur la vie de ces jeunes bien des années plus tard, à leur arrivée dans l’âge adulte.
Souffrant peut-être de certains défauts que peuvent avoir certains premiers films, aisément compensé par son goût du risque et des ruptures de ton, La dernière vie de Simon éveille autant la curiosité qu’il n’interroge sur sa capacité à trouver son véritable cœur de cible. Ça tombe bien, le réalisateur Léo Karmann et l’un de ses acteurs principaux, Benjamin Voisin, étaient sur place à Arras pour répondre à ces nombreuses interrogations.
Pour votre premier long-métrage, vous empruntez directement le chemin du cinéma de genre, ce qui n’est probablement pas l’approche la plus « safe » qui soit dans le cinéma français. Qu’est-ce qui vous a motivé à tout de même tenter votre chance ?
Léo Karmann : L’inconscience probablement ! (rires) Avec Sabrina B. Karine, la co-scénariste du film, on se connaît depuis maintenant dix ans et on avait vraiment envie de faire du cinéma ensemble. Et on s’est pas posé d’autre question que : « Qu’est-ce qu’on a le plus envie de faire ? ». Tourner et monter des films, c’est tellement long qu’il nous fallait quelque chose qui nous passionne. On a grandi avec le cinéma Amblin, ce cinéma de spectacle, de forme et de genre, grand public et métaphorique de la vie. On a cherché une idée qui rentre dans ce cinéma magique et romanesque et l’idée du personnage capable de prendre l’apparence d’autres est vite arrivée, parce qu’on pouvait tourner autour du fait de faire tourner un rôle identique par plusieurs acteurs.
A propos d’Amblin, c’est surtout dans le premier acte du film, que cela se fait ressentir. On ressent presque aussi une influence venue de Roald Dahl…
LK : La référence absolue c’était E.T., et ce pour plusieurs raisons. Pour la poésie, le message, mais aussi son caractère intimiste. Le film se déroule presque intégralement dans une maison et parvient à rester toujours magique. Et surtout c’est un film sur le deuil d’un enfant et sur une douleur extrêmement intime et universelle et ce sans jamais lésiner sur le spectacle. Qui plus est, c’est un genre de spectacle qui ne coûte pas excessivement cher à mettre en place. C’est un film qui nous laisse en larmes, mais des larmes qui régénèrent plutôt qu’elles détruisent.
Vous avez travaillé ensemble avec vos acteurs sur ces références, l’esprit de ce cinéma à essayer de retrouver ?
Benjamin Voisin : On a pas maté des films ensemble, ça il le faisait plus avec son chef opérateur pour l’esthétique. Par contre ce qu’on s’était dit avec Martin [Karmann, frère de Léo et interprète de Thomas adolescent] qu’on allait travailler pendant un mois ensemble pour travailler sur nos personnages et sur ce qui les lient. Avec Léo, on a travaillé les démarches et les regards principalement. Mais on a créé nos personnages sans inspiration extérieure particulière, même si chacun est venu avec son propre bagage.
LK : De mon côté ce qui était très important, c’est le rythme du jeu du film. Je voulais un film tout sauf naturaliste, peu bavard, qui se concentre sur les silences et où chaque mot pèse. Je ne voulais pas que les comédiens portent sur eux toute la responsabilité de l’histoire. Dans le cinéma naturaliste français, 80% de l’intrigue repose sur les dialogues entre les personnages. Et pour montrer à mes acteurs ce que je souhaitais d’eux, je leur ai montré une scène en particulier : celle du baiser dans Titanic, sauf que je leur ai montré sans son. Je leur ai demandé d’imaginer le plateau de tournage avec les énormes ventilateurs qui tournent à plein régime et les fonds verts derrière eux. Et en se concentrant sur les acteurs, on comprend qu’ils ne jouent rien d’autre que la situation de l’instant présent, à savoir un gros bisou. Ils ne ressentent pas le besoin de raconter ce qui se passe avant et après, ni la pression du romanesque. Je leur ai dit de faire confiance au scénario, sur lequel on a bossé pendant plus de sept ans, et de simplement jouer sincèrement ces situations en apparence impossibles. Plus on est dans la sincérité et le présent, plus la scène marchera.
Benjamin, vous devez composer un rôle compliqué, qui exige une grande coordination, notamment avec Martin. Quelle a été la scène qui vous a posé le plus de problèmes ou celle qui vous a apporté le plus de plaisir à tourner ?
BV : La scène du miroir dans laquelle on passe de l’un à l’autre car c’est la plus importante. Si on arrive à prendre le spectateur à ce moment-là, on sait qu’on le gardera et qu’on aura réussi notre coup.
Dans le cinéma naturaliste français, 80% de l’intrigue repose sur les dialogues entre les personnages.
La fantaisie visuelle du film s’incarne en plus dans un décor particulier, la Bretagne, déjà lui-même chargé de sa propre identité visuelle. Comment avez-vous trouvé ces lieux ?
LK : On a écrit le film sans penser à une région particulière où le tourner. On avait juste écrit forcément dans l’intrigue une scène avec une falaise au-dessus de la mer, et il y a pas 36.000 lieux en France où on peut tourner ça. Sabrina est partie en vacances un été à Crozon, là où on a tourné, dans le Finistère sud, au bout du bout de la Bretagne, et elle en est tombée amoureuse. En faisant des repérages sur place, on a demandé aux gens du coin s’ils ne connaissaient pas une maison isolée dans les bois qui puissent faire conte, et ils nous ont montré cette maison à côté d’un petit phare. C’était magnifique, exactement ce qu’on recherchait, magique sans faire maison de riches.
Comment s’est organisé le tournage entre enfants et ados ? Avez-vous planifié les deux parties séparément ?
LK : Non, et de toute façon on pouvait pas. Avec la réglementation sur le tournage des enfants, on ne pouvait pas les avoir plus de quelques heures par jour. Il fallait donc qu’on travaille sur les deux époques tous les jours.
BV : Je savais pas ça, je pensais qu’après huit ans c’était bon, on était tranquille.
LK : Ah non non non, c’est pas plus de 4/5 heures par jour.
BV : Et c’est jusque quel âge ?
LK : Je crois que c’est seize ans minimum ou quelque chose comme ça.
BV : Ah ouais d’accord…
LK : J’avais demandé à l’équipe déco qu’on puisse passer d’une époque à l’autre sur le plateau sans que ça prenne trop de temps. Finalement on a trouvé un intérieur maison ailleurs, toujours en Bretagne, mais les scènes d’intérieur et d’extérieur ne sont donc pas tournées au même endroit. La maison des scènes d’intérieur était suffisamment grande pour ne pas avoir à changer la déco dans la journée et qu’on puisse alterner plus facilement chambre d’enfant et chambre d’ado dans la même journée.
Et la cohabitation sur le plateau entre les deux générations, comment s’est-elle passée ? Vous vous échangiez des conseils sur vos rôles ?
BV : Avec Martin on se sentait pas de vouloir imposer quoi que ce soit à Simon (Susset) et Albert (Geffrier) (les acteurs jouant leurs personnages à l’âge d’enfant, NDLR). Sur le tournage, on était surtout là à s’amuser, rigoler ensemble, on sortait faire des foots ensemble. Faut pas oublier que ce sont des enfants, une fois la journée de tournage terminée, pour eux le film est fini et il faut aller jouer au badminton. Après dans ces moments-là où on déconnait tous ensemble, on a pris des choses en tant qu’acteurs pour s’en inspirer. Surtout chez Albert : quand pendant les matchs je le voyais écarquiller les yeux de bonheur je me disais qu’il fallait que je fasse le lendemain devant la caméra.
LK : L’acteur qui s’est inspiré le plus d’Albert c’est Pierre Caccia qui joue l’éducateur du foyer à cause de la scène d’ouverture du film. Parce que contrairement à Benjamin, lui il devait jouer un enfant dans le corps d’un adulte. Lui, il a vraiment passé plusieurs jours sur le plateau à observer Albert pour s’inspirer de ses gestes et ses mimiques.
Est-ce que ce genre de considérations vous est apparu dès les phases de casting ? Je suppose par exemple que pour Martin vous n’avez pas eu besoin d’aller chercher bien loin…
LK : Détrompez-vous, Martin au départ il voulait pas du tout passer les essais car il se trouvait trop vieux. Je lui ai dit que ça n’avait aucune importance. C’était plus Twilight, où tous les ados sont joués par des acteurs de 25 ans, que Les Beaux gosses. Et il a passé les essais où il était super, ce qui a entériné le choix de Simon pour jouer son personnage enfant. Dans l’ensemble, on a d’abord trouvé les acteurs qui jouent les adolescents, et on a eu ensuite eu près de 200 enfants qui ont passé le casting.
BV : Dès qu’on a été confirmés sur le projet, on a pris part au casting des enfants et à chaque fois on se retrouvait devant la liste : « Oh putain lui il te ressemble trop, c’est incroyable ! ».
Vous vous êtes en fait retrouvés liés tous les deux dès le début du tournage…
LK : La toute première qu’on a trouvé c’est Camille Claris qui joue Madeleine car je la connaissais depuis dix ans. C’est ma mère qui m’a dit que je devrais lui faire passer des essais, et j’ai trouvé que c’était pas une mauvaise idée. Sur la cinquantaine d’actrices qu’on avait listé elle a été la deuxième à passer les essais et elle a été si incroyable que je l’avais toujours en tête en faisant passer les 48 autres. C’était une évidence. Benjamin, lui, je ne le connaissais absolument pas par contre.
Tous les cinéastes s’accordent à dire que tourner avec plusieurs enfants est une expérience à part gratifiante mais particulière. Comment ça s’est passé de votre côté ?
LK : Je voudrais vraiment souligner le rôle de la coach enfant, Maryam Muradian. Je tenais vraiment à ce que le tournage ne traumatise pas les enfants. Il y a certains réalisateurs qui aiment bien les malmener pour arriver à en tirer quelque chose, je ne voulais pas ça. Je voulais qu’ils ressortent du tournage encore plus heureux qu’en y arrivant. C’était leur premier film à tous les trois et Maryam a coaché chaque scène avec eux pour leur apprendre les bonnes techniques.
On nous a même dit une fois : « Le scénario est génial, on l’aurait fait si le réalisateur était coréen »
Ce qui m’a le plus marqué dans votre film, c’est à quel point l’ellipse temporelle marque aussi une rupture très nette de ton, qui bascule de l’enfantin vers quelque chose de beaucoup plus mature. On a presque l’impression alors de se retrouver vers une démarche qui est de l’ordre de l’envers du film de super-héros.
LK : Je ne voulais pas traiter de ce pouvoir comme celui d’un super-héros mais comme d’un handicap. Qu’est-ce qu’il y a fondamentalement de pire pour un adolescent que d’avoir le pouvoir d’être dans la peau de quelqu’un d’autre ? C’est terrible puisque c’est l’âge où justement les jeunes se découvrent. Ce pouvoir peut devenir un fardeau à cet âge-là, alors qu’on pense que c’est une chance. L’essentiel était de conserver la métaphore. Le pire dans les films high-concept, c’est d’oublier la métaphore en cours de route. La souffrance de Simon, elle commence bien avant, dès l’enfance, à travers son désir d’être aimé par des parents. Sa volonté d’amour évolue avec son âge, mais elle est toujours là. On peut changer de genre au cours d’un film, tant que la continuité émotionnelle est là et qu’on oublie pas les personnages. J’ai parfois entendu en montrant le film certains décideurs reprocher qu’il y a trop d’action dans le dernier acte du film. C’est comme si on avait dit à l’époque qu’il y avait trop de vélo dans E.T. ! On a compris qu’il fallait absolument lier l’action à l’enjeu émotionnel en place, et qu’il fallait éviter de tomber dans des codes américains avec des super-flics désincarnés pour que le public accepte ces changements de genres.
Ces changements de genre sont un risque artistique certes, mais aussi en terme de promotion. Est-ce que vous n’avez pas eu peur que cela brouille la manière de vendre et que cela puisse rebuter certains publics ?
LK : Les réticences ont toujours été là de toute manière. Dès les débuts on nous disait frontalement : « On fait pas ça en France, point ». On nous a même dit une fois : « Le scénario est génial, on l’aurait fait si le réalisateur était coréen ». Et on a eu droit à ça pendant tout le financement du film, c’était insupportable. Tous les techniciens, artistes avec qui on a travaillé nous ont dit aussi qu’ils avaient jamais travaillé sur un projet de genre comme celui-là, alors qu’ils étaient hyper excités de le faire. Il y a une différence d’attentes terribles entre les financiers du cinéma français et les retours qu’on a pu avoir, notamment dans les projections avec le public. D’ailleurs la moyenne d’âge de toutes les personnes impliquées sur le film est de 30 ans. C’est très jeune, y compris pour un premier film. Et c’est aussi un regret parce que beaucoup trop de jeunes techniciens issus des écoles françaises partent à l’étranger. On a les plus belles écoles d’effets spéciaux, d’animation, on a de très grands artistes audiovisuels en France et beaucoup de jeunes décident de partir parce qu’ils pensent qu’en France on ne fait pas le cinéma qu’ils aimeraient faire.
La dernière vie de Simon sur ce point n’hésite pas à faire appel à ces talents et ne se refuse pas aux effets spéciaux, malgré son petit budget de premier film. Comment se débrouille-t-on logistiquement pour contourner ces contraintes ?
LK : Quand on a peu d’argent, il vaut mieux suggérer que montrer. C’est toute l’histoire du requin en panne sur le tournage des Dents de la Mer ! Comme ça quand on montre, parce que le film nous y oblige, on peut faire quelque chose d’un peu chiadé. Tout le budget là-dessus est passé dans les quelques plans de morphing indispensables à l’intrigue. Le reste du temps, on peut se permettre de le suggérer tant qu’on y réfléchit.
C’est le cas de ce très beau plan avec la lampe électrique qui clôt la scène d’ouverture, au point où on se demande s’il y a un cut ou non…
LK : Y en a pas, c’est juste un acteur adulte qui s’accroupit et la passe à un acteur enfant. On dit souvent que de la contrainte naît la création. Jusque sur le tournage j’ai dû supprimer des plans d’effets spéciaux et trouver des astuces. Certains réalisateurs peuvent être frustrés par cela, pour moi ça fait partie intégrante de la mission du réalisateur. C’est comme improviser parce qu’il pleut et que vous vouliez du soleil ou que votre acteur est malade alors qu’il doit tourner. Il y a des aléas partout et tout le temps. Mais la réalité est toujours plus riche que ce que l’on a dans la tête, il suffit de savoir quoi en tirer. J’ai adoré tourner avec un budget restreint, ça m’a permis de trouver des idées que je trouve finalement meilleures que celles que j’avais sur papier.
La dernière vie de Simon de Léo Karmann avec Benjamin Voisin, Martin Karmann, Camille Claris…, en salles le 5 février 2020