Olivier van Hoofstadt : « Dikkenek, c’est 80% de vécu »

Pour sa deuxième édition, le festival CinéComedies de Lille déroule le tapis rouge à ses voisins belges, avec en point d’orgue une projection en plein air de Dikkenek. Sorti en 2006, les truculentes aventures de Claudy Focan et compagnie se sont taillées une place de choix dans la culture Internet francophone. « Maman, j’viens d’me faire carjacker », « Où tu sors, où j’te sors », « Va pas falloir commencer à jouer avec mes couilles »… Autant de répliques qui savent aujourd’hui se faufiler au détour de la moindre conversation en ligne, faisant de ce film un poids lourd de la comédie populaire au même titre que Les Visiteurs, La Cité de la Peur ou encore OSS 117, dont le premier volet est sorti la même année. Un succès colossal et inattendu, construit dans le sillage de ce qui fut pourtant un gros flop à sa sortie en salles. Bien aidé par le succès glané depuis par certains acteurs de son casting, Dikkenek est aujourd’hui un incontournable de la comédie franchouillarde qui sent bon la fricadelle et la Vedett en cannette. Alors on s’est installés avec son réalisateur, Olivier van Hoofstadt, le temps d’une interview pour faire le point sur la genèse d’un phénomène.

C’est la première fois que vous venez à Lille, y compris pour y présenter Dikkenek ?

Oui, oui, c’est la première fois. Au moment de la sortie du film on l’avait montré au Kinépolis, mais je crois qu’il est pas à Lille (NDLR : à Lomme, en banlieue de Lille).

Quand vous avez lancé le projet Dikkenek, vous avez composé avec un casting franco-belge assez hétéroclite, entre amateurs, stars à peine débutantes (Marion Cotillard, Mélanie Laurent…) et acteurs plus confirmés (Dominique Pinon, Catherine Jacob…). Comment on monte un casting pareil ?

Déjà, je fais tous mes castings moi-même, les directeurs de casting très peu pour moi. Marion Cotillard, j’avais déjà fait un court-métrage avec elle quand elle avait quatorze ans et demi (Snuff Movie, 1995). Elle voulait absolument jouer dans le film. [Florence] Foresti commençait tout doucement, elle sortait juste de la Bern Académie sur Canal… Catherine Jacob on la voulait absolument, j’imaginais personne d’autre qu’elle dans le rôle et [Dominique] Pinon je le connaissais de longue date. François [Damiens] faisait encore ses caméras cachées…

Dikkenek, c’est d’ailleurs l’un de ses tous premiers rôles ciné avec le premier OSS 117 sorti quelques semaines plus tôt…

Et encore, il l’a tourné après Dikkenek.

Et c’est ce rôle l’a qui l’a définitivement lancé au cinéma en lui offrant le rôle le plus culte du film. Comment on crée un personnage comme Claudy Focan, ses répliques, ses tirades ?

Tout a commencé quand il a fallu convaincre [Luc] Besson de monter le film. Sans lui, le film pouvait pas se faire. Avec François, on a énormément travaillé en amont pour le convaincre comment transposer le scénario en images. On a travaillé chacune de ses scènes en vidéo et pendant six prises, c’était un vrai ping-pong avec François. Et chaque soir je faisais un best-of de ce qu’on avait fait dans la journée et je l’ajoutais au scénario quand c’était nécessaire. Luc a adoré les vidéos. Et on a continué comme ça par la suite, même si avec François on aime pas trop travailler autant ! Mais au fond c’était très pratique car au moment du tournage on avait plus grand chose à faire et je pouvais m’occuper des autres. Claudy, c’est clairement le personnage que j’ai le plus écrit du film, et c’est celui avec lequel on s’est le plus amusés. Quand on est ressortis de Dikkenek, on avait plus du tout envie de refaire la même chose, François a totalement changé de style par la suite.

Vous parlez de lui comme le personnage que vous avez le plus écrit, mais il y a chez lui une énergie et une liberté qui semblent improvisées. Quelle place prenait l’improvisation au moment de tourner ?

Quasiment aucune, ça doit représenter même pas 5% du film. Olivier Legrain [co-scénariste du film] écrivait beaucoup les personnages féminins. Il écrivait tellement bien Catherine Jacob que quand elle était sur le plateau, on avait l’impression que c’était le scénario qui la faisait parler. Avec François, on avait écrit presque une heure et demie de contenu rien qu’avec son personnage. On s’était dit : « On laisse comme ça et on verra au moment du tournage si on improvise le reste ». Sauf qu’on avait vraiment pas beaucoup de temps pour tourner. Et de toute manière, je crois pas du tout à l’idée d’arriver sur le plateau le matin en se disant qu’on va inventer ce qu’on va tourner aujourd’hui.

Vous évoquez souvent en parlant de ces personnages la part de vécu chez chacun d’eux…

Oui, oui, bien sûr, c’est toute mon enfance à la campagne de toute façon. À 13 ans on allait jouer dans les abattoirs, on faisait de la moto, j’ai conduit ma première moissonneuse-batteuse à dix ans. Sans déconner, y a 80% de vécu dans le film.

Il y a aussi dans Dikkenek une forme d’énergie à la fois brute et très libre qui a accompagné toute un pan de la comédie belge, d’un film comme Week-End ou la qualité de vie programmé dans ce festival à C’est arrivé près de chez vous…

Et Laurent Baffie, surtout. Laurent, c’est mon frère. J’ai toujours aimé la comédie comme une forme de liberté. Quand j’étais petit, je me souviens de mon père qui écoutait les émissions de Desproges ou Coluche à la radio. Gainsbourg, Dewaere, ou même aujourd’hui Depardieu, c’est ces gens-là qui m’inspirent, des électrons libres qui vivaient sans filtre. Le but, c’est pas de choquer ou faire du mal à des gens, c’est juste de s’amuser à travers des genres différents et faire rigoler les gens qui aiment bien ça.

C’est vrai que Dikkenek embrasse différents sous-genres de la comédie. La scène où J-C (Lean-Luc Couchard) finit les fesses à l’air pendu à son balcon, c’est quasiment du vaudeville.

Tu connais Pierre Rey ? C’était un romancier français, qui avait écrit Le Grec (une biographie romancée d’Aristote Onassis), qui est devenu un film avec Anthony Quinn (The Greek Tycoon de J. Lee Thompson, 1978). Il m’avait passé un de ses livres qui s’appelait Liouba et m’avait demandé ce que j’en ferais si je devais l’adapter. Ç’aurait été un projet à quarante millions de dollars, qui se passe en Russie. Je lui avais répondu que j’aurais filmé ça comme j’aurais filmé un père de famille qui dit au revoir à sa femme et ses enfants avec son sac de sport à la main pour aller faire un tennis, mais qui en vérité irait buter quatorze personnes. Mon univers c’est de m’imprégner de la réalité auprès de gens anonymes aux vies décalées. J’avais enchaîné après Dikkenek avec Go Fast, qui était un film de commande mais pour lequel je me suis immergé auprès de gens dont c’était la spécialité. Des types anonymes, qui vont jamais en boîte de nuit, qui boivent pas, qui font juste leur boulot mais qui le font à fond. C’est ce genre de personnages que j’aime.

Dikkenek n’a pas connu immédiatement le succès qu’on lui connaît aujourd’hui…

Il s’est même bien planté en salles oui, on a fait à peine 130.000 entrées.

On va dire que son succès s’est construit sur le temps long.

On a surtout eu la mauvaise idée de le sortir en pleine Coupe du Monde 2006 (le 21 juin). On a pris un gros risque, mais on s’attendait pas à ce que le France aille jusqu’en finale et que Zidane mette son coup de boule. Résultat, tout le monde était devant le foot et personne n’allait au cinéma. Heureusement, on a eu un bouche-à-oreille incroyable qui est arrivé avec la vidéo. Le film a commencé à entrer chez les gens qui se le refilaient quand ils cherchaient quelque chose à regarder le soir. Y avait Les Bronzés font du ski, Le père Noël est une ordure, L’aventure c’est l’aventure et puis là, ce nouveau truc qui venait d’arriver, Dikkenek. C’est comme ça que le film a commencé à prendre. Et maintenant, je sais qu’il a encore été programmé la semaine dernière à la télévision. J’avais reçu un message de Florence Foresti qui me disait : « De toute façon, quand on tombe sur ton film on peut pas zapper! ». Ça reste fou à y repenser.

Après Dikkenek, vous avez directement enchaîné avec Go Fast, un projet totalement différent, puis plus rien jusqu’en 2016 (Sketté, inédit en France)…

Cette année-là j’ai fait un court-métrage pour le Festival de Cannes, A/K, produit par Dominique Besnéhard, que j’aime beaucoup. On devait tourner obligatoirement avec des talents de l’Adami, deux filles et deux garçons (dont Jean-Baptiste Maunier, des Choristes, NDLR). Je pense être le seul des cinq réalisateurs cette année-là à avoir fait le casting lui-même, ce qui fait que je me suis retrouvé devant 225 acteurs de moins de 30 ans à auditionner. Je me souviens de la fille de Boujenah qui était en larmes le jour de l’audition parce qu’elle avait trente ans et un jour, c’était dommage car elle était très chouette. Mathias [Malzieu] de Dionysos en avait fait un aussi. On a fait ce court-métrage qui a eu un succès fou, et qui a fait le tour du monde. On l’a présenté à New York, à Richmond, on a gagné un prix en Albanie, en Italie… Tout ça m’a pris du temps, je voulais juste m’amuser. Entre temps j’ai aussi pas mal écrit, je me suis occupé de mes enfants. C’est difficile de faire un film qui a eu le succès de Dikkenek et de tout de suite replonger pour en refaire un autre. Je voulais prendre du recul et réfléchir, ce que j’ai fait.

Vous avez cependant un nouveau long-métrage dans les cartons.

Ca s’appelle Lucky, ça va sortir le 26 février (NDLR : le film n’a pas encore de date de sortie officielle française, il se peut qu’il s’agisse de la date de sortie outre-Quiévrain). Et ce n’est pas Dikkenek 2. Ce sera un nouvel univers, très singulier. C’est deux types (Michaël Youn et Alban Ivanov) qui sont au bout du bout du rouleau et qui vont avoir une idée de génie qui va les pousser à devoir bosser avec une flic corrompue jouée par Florence Foresti. Il y aura aussi Corinne Masiero, Berléand, Daniel Prévost… C’est un monde avec des femmes très fortes et où tout le monde aura perdu les pédales, à l’exception d’un personnage joué par Sarah Suco. Tout est marrant, sauf la première scène. Quand on faisait les projections-test, personne ne rigolait à cette première scène, qui est l’enterrement du chien d’Alban Ivanov.

Avec un tel succès, on a du mal à penser que vous n’avez jamais été approché pour un éventuel Dikkenek 2. Ca n’a jamais été le cas ?

Si, mais j’ai pas du tout envie. On avait déjà tellement de matière rien qu’avec le premier qu’on pourrait faire une édition collector. Je pense qu’il y a au moins trente minutes de contenu qui aurait pu devenir culte, et que personne n’a vu. Faire un 2 ça n’a pas de sens. Je veux pas voir Reservoir Dogs 2, et je pense que les gens veulent pas voir un Dikkenek 2. J’ai deux enfants, et je voudrais pas que le deuxième soit le jumeau du premier.

Vous pensez qu’on aura un jour la chance de les voir, ces trente minutes ?

En 2046, quand j’aurais récupéré tous les droits ! Je le ferai un jour, certainement, mais pas tout de suite. C’est encore trop tôt.

Et qu’en est-il de votre projet d’adaptation d’Albator ?

C’est un projet qui me plaisait énormément, le producteur était un peu mégalo mais bon… J’avais travaillé avec Luc Brunschwig, un scénariste extrêmement doué venu de la BD. On s’est beaucoup amusés ensemble. Luc avait développé les vingt premières minutes du projet et il avait fait un travail fantastique. C’était digne de L’Empire contre-attaque ! Malheureusement, on avait pas l’argent pour mener tout ça à terme.

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