Tolkien – Fuyez, pauvres fous.

Imaginez, vous avez produit une œuvre littéraire de Fantasy devenue une référence culturelle universelle majeure et le scénariste responsable de votre biopic (qui sont en fait deux car il faut au moins se mettre à deux pour pondre ça) ne semble pas meilleur à écrire des films que sa liste de course…

L’adresse de mon skyblog c’est D4rk-T0lkii3n avec un 4 à la place du A car je suis vraiment très dark.

Tolkien, une immense déception.

Le film narre les jeunes années de Tolkien, pas forcément connues du grand public, tout en le croisant avec un souvenir des tranchées que l’auteur a rapporté de la première guerre mondiale. Jusque-là, rien de mal, c’est même une excellente idée pour nous faire plonger dans les bases de l’univers grandiose de ce génie. Malheureusement, l’exécution est fainéante et complaisante, à l’image des personnages.

L’amûr excuse tout, c’est bien pratique.

D’abord, ayant un soft spot pour Nicholas Hoult et Lily Collins, j’attendais beaucoup de leur alchimie à l’écran. Après tout, l’histoire d’amour d’Edith et Tolkien est censée être aussi centrale que ne le montre le poster promotionnel du film. Quel ennui. Edith n’a aucune profondeur alors que, quitte à déformer la réalité, elle aurait pu prendre son destin en main un peu plus. A la place, elle s’efface constamment devant Tolkien et ses ambitions. Mais ce n’est pas le plus rageant, puisqu’effectivement Edith a suivi son mari durant leur vie commune. Le problème ici, c’est que pour adoucir le sexisme d’époque dont Tolkien a été très coupable, on nous montre Edith lui tenir tête deux ou trois pauvres fois, histoire de bien souligner qu’il était quand même noble envers elle, amoureux, qu’elle était forte et que finalement… c’est elle qui a fait le choix de tout sacrifier pour lui. Sans parler du degré de responsabilité de Tolkien, c’est franchement malvenu de nous la dépeindre de la sorte pour enjoliver la réalité de l’époque, si, en plus, c’est pour détruire ce message d’émancipation au nom de l’amûûûr romantique. Ce n’est pas une histoire d’amour qui vend le rêve que nous a promis le film. J’ai très vite été agacée par leurs scènes communes et la relation qu’y s’y profilait.

Heureusement qu’ils ont coupé au montage la scène où tu me mets une ceinture de chasteté avant de partir à la guerre, lol. Ils l’ont bien coupée, hein? Nico? Nico!

Mais ce n’est même pas le problème majeur. Quelle fabuleuse perspective de découvrir comment Tolkien a grandi et créée son œuvre. Comment son génie s’est développé… On nous le montre fugacement dans ses interactions avec un des professeurs qui a été déterminant dans sa carrière, le reste… c’est du vent. On nous montre qu’il a de l’imagination car comme tout ado edgy, il tapisse les murs de sa chambre de dessins et de poèmes dark (y’avait pas de Skyblogs, à l’époque)… mais au-delà de ça, rien. On a bien un moment génial entre lui et Edith, dans un salon de thé, à propos de la langue qu’il est en train de créer, mais on s’en sert juste pour alimenter leur idylle, pas pour autre chose

La communauté de l’auto-satisfaction.

Sinon… Sa source d’inspiration ? Son laboratoire de créations ? Son moteur ? De quoi faire rouler des yeux à s’en vriller les nerfs optiques. J’ai parlé de complaisance : elle est personnifiée par quatre adolescents insupportables. J’ai éprouvé de l’affection pour ces quatre joyeux bambins, le fameux cercle intellectuel d’amis que Tolkien s’est créé, environ… 17 secondes et demi. Je crois. Peut-être moins, je ne sais pas. Aucun parallèle possible avec la communauté de l’Anneau et les valeurs qu’elle véhicule. Nada.

On a affaire à quatre jeunes hommes blancs, dont trois sont extrêmement bien nés, tous privilégiés et qui sont tous si brillants, oh mon dieu, si vous ne l’avez pas compris en les voyant la première fois, rassurez-vous. Le film et les protagonistes eux-mêmes n’auront de cesse de vous le dire et le redire, explicitement et inlassablement. Ouh que nous sommes l’élite intellectuelle, ou que nous sommes rigolos, et fins et brillants. Notre club, que dis-je, notre fraternité, va révolutionner le monde par les arts. Nous sommes si brillants ouh, oui, que nous sommes bons.

Je ne vais pas me montrer vulgaire, mais il leur en reste un peu au coin des lèvres.

Bref, c’est insupportable car, non seulement on n’arrête pas de se complaire dans ce micro-univers pas vraiment attachant, mais en plus, on ne nous montre même pas le fruit de leur génie. C’eut été trop d’efforts, donc on se contente de nous dire qu’on a de quoi être éblouis par eux, sans nous éblouir pour autant.

Et puis si le but était de nous faire nous identifier à eux, c’est compliqué. Bonjour les enjeux de ces pauvres, pauvres enfants. Le moment ultime vendu comme celui de la gloire est tout bonnement mémorable. Les quatre lardons, devenus jeunes adultes, boivent un verre et jouent au billard chez l’un deux, Robert (Patrick Gibson, d’ailleurs, dont le charisme est mort durant le tournage de Darkest Minds) en secret quand soudain le papounet de Robert rentre à l’improviste (c’est chaud, non ?). Là, l’audience retient son souffle car, diantre, du bout de nos sièges de cinéma, nous savons que Robert va se prendre un soufflet magistral et être au moins privé de cricket pendant une semaine ! Mais NON ! Car alors qu’il se fait réprimander comme le freluquet qu’il est, voilà qu’il ose gonfler la poitrine et tenir tête à son pôpa pour que ses amis gentlemen aient le droit de rester dormir. Effectivement, il leur a promis la pyjama party du siècle (on va découcher en buvant du Bordeaux à 1500 livres la bouteille, y’a quoi !). Robert Sr. lui, n’était point chaud mais là, en voyant son fiston s’émanciper comme ça, là… fiou, ça lui fait tout drôle, il en a la larmiche à l’œil. Ca y est, Tolkien et ses amis sont des vrais zhoms avec la bénédiction du daron.

Voilà, voilà… je n’ai pas exagéré cette scène une seule seconde. C’est exactement ce qu’il se passe. C’est exactement aussi ridicule que ça. Et c’est le leitmotiv du film, un peu, l’émancipation de ces jeunes hommes d’envers leur figure paternelle. Pour Tolkien, ça passe par défier le prêtre qui a veillé à son éducation en allant faire des bisous en secret à Edith… du maxi enjeu quoi.

Bordel mais qu’est-ce qu’on est cools, ah, comment survivre à toute cette cool-attitude! Ô rage, ô désespoir.

Même si en tant que jeune femme, ce n’est pas le genre de problématique qui me transcende, objectivement, ça représente un bon potentiel cet arc d’émancipation et d’affranchissement. En plus, mêlé à la condition sociale de Tolkien (mal né par rapport à ses amis mais quand même suffisamment privilégié pour aller à Oxford), il y avait de quoi créer des scènes intéressantes et parlantes pour les spectateurs.

Du coup c’est vrai que mon moi de mes 12 ans qui chouine devant mes parents parce que j’ai pas le droit d’inviter Déborah à dormir à la maison un jeudi soir s’est vraiment reconnue dans ce portrait humain édifiant. Merci pour ce moment.

Allez, j’arrête de parler de l’arc narratif principal de nos quatre joyeux lardons et la complaisance constante pour embrayer sur la fainéantise qui compose le reste.

Si Bilbon avait eu une telle flemme, on se serait tapé un court-métrage au lieu d’une trilogie. Dommage

Dites-vous que ces quatre jeunes, ils ont dû partir à la guerre séparément et que c’est extrêmement dramatique. Après tout, ils se considèrent comme de véritables frères. Si vous avez réussi à éprouver de l’attachement pour eux et le lien qui les unie, ça vous fera un petit quelque chose de les voir se dire adieux avant le départ. Et donc c’est la seconde moitié du film (insérée maladroitement en flash-back ou forward selon l’avancée chronologique de l’autre partie du récit) : Tolkien, au front, dans les tranchées, qui cherche des nouvelles de ses amis et particulièrement de Geoffrey. Je reviens sur le cas Geoffrey dans quelques lignes d’ailleurs.

Donc là, on bascule dans un autre monde. Un monde de mort et douleur, puisque c’est la guerre et l’enfer des tranchées avec sa dose de maladie, de saleté, et d’insalubrité. Enfin, ça, c’est ce que vous pensez ! Mais non, Nicholas Hoult a dû passer en coup de vent au HMC pour se faire poudrer le bout des doigts avec un peu de suie et puis hop, on est partis faire la guéguerre, les amis.

Peut-être qu’il faudrait que j’écrive mes mémoires viteuf pour que des scénaristes fassent pas n’importe quoi en 2019…

Du coup, le personnage est censé souffrir de fièvre des tranchées mais il est vaillant et il veut rejoindre un autre avant-poste quand même pour prendre des nouvelles de ses frères. Et là c’est le drame !

On a un personnage gag-esque qui débarque (alors qu’on est en plein dans le dramatique), on ne connait pas son nom, il a l’air d’un joyeux simplet qui nous rappelle vaguement un truc (mort. De. rire, vous n’êtes pas près) et qui accompagne Tolkien envers et contre-tout, en l’épaulant et en le soutenant jusqu’au moment où Tolkien n’en peut plus et s’effondre. Il est alors envoyé pour achever la mission de Tolkien et là… Se déroule la scène la plus ridicule du film :

Tolkien est étendu dans un charnier boueux et rempli de cadavres et il attrape son compagnon par l’épaule en jouant la tristesse-dramatique pour lui enjoindre de retrouver Geoffrey à sa place et en le laissant aller d’un : « Va, Sam, et rempli ma mission. »

Ce mec, c’est SAM ? Samsagace Gamegie? J’ai ri. Ah oui, car en plus le film est très subtil quand il s’agit de nous montrer où Tolkien a puisé son inspiration. Pas de clins d’œil à l’œuvre de Tolkien dans ces tranchées sur-romantisées… non. Des violents coups de coude dans les côtes ! En permanence ! Le personnage de Sam n’est que l’un d’entre eux. C’est vraiment flemmard à ce niveau. Aussi flemmard que Sam qui s’en va en trottinant après avoir tiré Tolkien seulement à moitié hors du charnier (il pouvait le tirer plus mais on sait pas pourquoi, il lui laisse les pieds dans l’eau infectée en déplorant qu’il fait froid et qu’il va tomber malade…). Pas si sagace, le Sam. Il le drape d’un plaid miteux à la place parce qu’il a la flemme, comme une métaphore triste de ce film, en fait.

Un vrai leitmotiv: le Strict minimum

Effectivement, même les effets spéciaux ne vont pas au bout des choses non plus, donc pas de spectaculaire malgré la tentative de nous plonger dans l’univers fantastique de l’auteur… Tout est effleuré, rien n’est creusé. On dirait que toutes les personnes qui ont travaillé sur ce film ont donné le strict minimum, même en terme technique. Ca ne coutait, par exemple, rien, au chef opérateur, de demander à son assistant caméra de mettre un filtre ND sur leur caméra surement très chère hein. Mais non, le ciel est blanc cramé sur la moitié des plans en extérieur, mais c’est pas grave, là encore, on a eu la flemme…

La fainéantise technique, et la fainéantise scénaristique, de creuser des sujets comme on l’a déjà vu plus haut. Je reviens donc sur Geoffrey avant de clore notre aventure… Car là aussi, on avait un réel sujet à aborder et on a plutôt choisi de faire un peu de queer baiting bien maladroit. Cocasse quand on sait que Tolkien a été accusé d’homophobie dans son œuvre par plusieurs analyses littéraires depuis. Une homophobie due à son éducation et les mœurs de l’époque qui n’est pas surprenante en soit.

La bonne bro-zone des familles

Ici on nous fait comprendre que Geoffrey est amoureux de Tolkien, pas juste son meilleur ami. Et qu’il est en paix avec le fait qu’il ne soit pas aimé romantiquement en retour. Ok, c’est cool, mais déjà, rassurez-vous, à aucun moment on ne prononce le mot « homosexuel » ou quoi que ce soit. Faut pas déconner, non mais. Mais en plus, la façon dont est représenté Tolkien lorsqu’il comprend qu’il est l’objet de cet amour est un peu problématique. Il les accepte, autant l’amour de Geoffrey que son ami, tel qu’il est, et il est doux et compréhensif et j’en passe. Alors c’est un beau message, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit… Mais l’hypocrisie est grande puisque du coup, c’est honteusement mentir sur la réalité pour rendre ce personnage bien meilleur qu’il ne l’est et, en plus, certes on le rend noble, mais quand même, on n’abuse pas trop, on ne dit jamais vraiment de quoi il est question. Et ce n’est pas par pudeur ! Si c’était l’intention des scénaristes, ce n’est pas du tout perçu comme ça, donc c’est un échec qui laisse un gout plutôt amer…

En définitive, Tolkien ne m’a donc pas séduite. Ne m’a donc pas fait mieux comprendre ce grand auteur (ni sous un bon, ni sous un mauvais jour). Et ne m’a pas fait comprendre son univers… Et si là n’était pas l’intention, et bien même en tant que simple drame romantique, il échoue à maintes reprises, laissant, en plus d’une véritable frustration, une totale envie de grincer des dents.

Tolkien de Dome Karukoski. Avec Nicholas Hoult, Lily Collins, Derek Jacobi, Anthony Boyle et Patrick Gibson.

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