Port Authority n’est pas le classique coming-of-age movie auquel nous avons été habitués. Pourtant, le coup de foudre de Paul, fraîchement arrivé à New York, pour Wye, alors qu’elle danse avec ses amis devant la station de métro, semble dit comme ça vu et revu – même un peu ennuyeux. Là où le film détourne les schémas habituels pour s’ancrer dans des questionnements actuels et pertinents, c’est que Wye est une femme trans. Et loin d’utiliser cette étiquette comme un faire-valoir, le film agit comme une fenêtre conviant le spectateur à se confronter à un paysage qu’il n’a peut-être pas l’habitude de contempler, mais qui existe de toute manière et a besoin d’être reconnu comme tel.
Là où Port Authority se révèle encore plus intéressant, c’est que sa réalisatrice Danielle Lessovitz prend le contrepied de ce qui peut être attendu de son film. Les grandes lignes de l’intrigue sont prévisibles, car ce n’est pas tant ce chemin-là qui importe ici. S’appuyant sur sa double identité de femme blanche et queer, la réalisatrice s’attelle à dresser le portrait d’une communauté émancipée de l’hétéronormativité, vue à travers les yeux d’un jeune homme blanc mal à l’aise avec les codes virils qu’entretiennent ses pairs. Lessovitz évite les écueils qu’on pourrait attendre, en abordant le poids de la masculinité toxique avec beaucoup de subtilité et la représentation de la ballroom culture avec un regard respectueux, jamais voyeuriste – comme en démontre le temps de casting inhabituellement long, afin de sélectionner de vrais danseurs queers également prêts à divulguer leur visage dans un film.
Au lieu de se focaliser sur Wye comme sur un animal de foire qui (d)étonne, la réalisatrice la traite comme ses autres personnages: c’est-à-dire avec respect et sans jugement. Contrairement à la plupart des films qui mettent en scène la transidentité, ce n’est pas Wye qui cache aux autres qui elle est, mais Paul. C’est ainsi que la fin du film prend tout son sens: qu’est-ce que veut dire aujourd’hui interpréter la « White Boy Realness » (telle qu’est nommée cette catégorie de compétition de voguing inventée dans le film) ? Y aurait-il une sorte de performance, un type de comportement intériorisé, auxquels se livreraient les hommes et tout particulièrement ceux qui ne subissent pas de préjudices raciaux ?..
Cette édition d’Un Certain Regard se sera illustrée par le rôle des femmes dans sa sélection: autant derrière la caméra (sept réalisatrices pour onze réalisateurs, toujours loin d’un rapport paritaire mais en progrès) que devant. Plus des deux tiers des films présentés mettent en effet en avant des personnages féminins de premier plan, et questionnent l’application concrète de leurs droits: Papicha, La Femme de mon frère, Nina Wu, La Vie invisible d’Euridice Gusmao… Port Authority permet, lui, la représentation de toutes les femmes au sein de cette sélection; Leyna Bloom est en effet la première actrice trans noire à présenter un film à Cannes. Si l’on regrette qu’il ait fallu attendre 2019, la 72e édition du festival, et Scorsese en producteur exécutif pour que cela arrive, on sort de cette projection le cœur gonflé d’espoir pour le visage du cinéma à venir.
Port Authority de Danielle Lessovitz, avec Fionn Whitehead, Leyna Bloom, McCaul Lombardi, Devon Carpenter, Christopher Quarles… Date de sortie à confirmer.